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Formation professionnelle - Fonds de formation : un enjeu de pouvoir

A une semaine de la présentation du projet de loi sur la formation, Etat et régions tentent d'occuper le terrain du financement des actions d'urgence face à la crise, notamment pour les formations des salariés en chômage partiel. Une "clarification des compétences" s'impose.

La crise économique accélère la mise en place de dispositifs dédiés à l'emploi et à la formation. Le 7 janvier 2009, les partenaires sociaux et l'Etat, après des mois de négociation, ont signé un accord donnant naissance, entre autres, à un Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP). Ce fonds, dédié à la formation des salariés les moins qualifiés et des demandeurs d'emploi, sera effectif en 2010. Il sera financé par une part des contributions obligatoires des employeurs, 13% maximum, et se substituera petit à petit au Fonds unique de péréquation (FUP). Mais pour répondre à l'urgence de la crise, les partenaires sociaux et l'Etat ont décidé d'utiliser dès 2009 les sommes issues du FUP et non utilisées, soit 200 millions d'euros qui seront abondés par l'Etat d'au moins 160 millions d'euros (dont la moitié en provenance du Fonds social européen). Montant total : 360 millions d'euros. Le secrétaire d'Etat à l'Emploi, Laurent Wauquiez, et le président du FUP, Francis Da Costa, ont signé, mardi 21 avril, en présence des partenaires sociaux, une convention sur la mise en oeuvre de ces fonds qui devraient profiter aux 130.000 salariés et chômeurs les plus touchés par la crise. Plus précisément, la convention vise 15.000 salariés exposés à la perte de leur emploi (76 millions d'euros), 30.000 salariés en chômage partiel (54 millions d'euros) et les chômeurs ayant besoin de se former. Pour ces derniers, l'allocation de fin de formation (AFF) sera réactivée "à titre exceptionnelle" pour un an. Elle devrait bénéficier à 20.000 à 25.000 chômeurs pour un coût de 160 millions d'euros. Sans se prononcer sur la pérennité de l'AFF, Laurent Wauquiez a déclaré qu'elle avait obtenu "d'excellents résultats chez les aides soignantes et les services à la personne". Enfin, 60.000 licenciés économiques bénéficieront de la convention de reclassement personnalisé (CRT), soit 70 millions d'euros de plus.

 

Fonds d'investissement social

"Cette convention préfigure les modalités de coopération qui prévaudront dans le cadre du FPSPP", a précisé Francis Da Costa. Mais le FUP sera également l'une des composantes du futur Fonds d'investissement social (Fiso). Ce fonds, doté de deux milliards d'euros, dont 1,5 milliard issu de l'Etat et 500.000 euros des partenaires sociaux, doit permettre de coordonner les politiques d'emploi et de formation face à la crise. Il sera destiné à financer la formation des salariés en chômage partiel, des salariés victimes de licenciement économique et des demandeurs d'emploi. En clair, l'architecture comprendra un fonds conjoncturel, le Fiso, qui ne devrait pas durer après la crise et destiné à financer le chômage partiel et la gestion prévisionnelle des emplois et compétences, et un fonds structurel, dédié à la formation des moins qualifiés, le FPSPP. "Cela va dans le bon sens, car sur le plan structurel, on n'allait pas assez loin, explique Pierre Ferracci, président du cabinet Alpha et président du groupe de travail multipartite sur la formation professionnelle. Le Fiso n'a pas le même périmètre que le FPSPP, mais il va amener les partenaires sociaux à mettre la barre plus haut, à faire un effort plus important sur le terrain de la formation des salariés et des demandeurs d'emploi ; c'est une manière de les pousser à aller plus loin que les 13% prévus, reste à voir au moment de la sortie de crise ce qu'on va maintenir comme montant." Mais pour compliquer encore le contexte de l'emploi et de la formation, les régions, fortes de leur compétence en la matière, se sont elles aussi mises à créer des dispositifs locaux.

 

En finir avec cette complexité

La dernière en date est la région Ile-de-France qui a signé, avec l'Etat et les partenaires sociaux, une convention pour la sécurisation des parcours professionnels et la consolidation de l'emploi en Ile-de-France, la semaine dernière. Dotée de 50 millions d'euros, cette convention doit permettre aux différents acteurs de coordonner leurs actions pour donner une réponse unique aux salariés et demandeurs d'emploi en difficulté. "Notre démarche a été engagée en parallèle aux dispositifs nationaux, détaille Yves Calvez, directeur régional de la DRTEFP Ile-de-France. Nous allons maintenant travailler sur l'articulation avec le Fiso." Les partenaires ont beau jouer la complémentarité, les montages financiers risquent d'être complexes. "L'accord marche indépendamment des nouvelles annonces ; au départ, on va prendre nos crédits de droit commun, auxquels s'ajouteront les crédits issus du plan de relance, les sommes dégagées du FUP et celles du Fiso, qui est arrivé entre-temps", explique-t-on à la DRTEFP. Si les responsables régionaux assurent qu'il n'y a pas concurrence entre leur dispositif et les mesures prises sur le plan national, la tactique revient à prendre la main, ou en tout cas à ne pas céder du terrain. De son côté, l'Etat garde ses distances. "Rien n'interdit de mobiliser les régions, a déclaré Laurent Wauquiez mardi. Mais c'est un peu facile d'apporter la cerise sur le gâteau et de dire : c'est moi qui ait fait le gâteau."
L'enjeu de la gouvernance sera au coeur des discussions à venir sur le projet de loi sur la formation, question qui pour l'heure n'est pas résolue, les régions s'estimant lésée dans la version actuelle du texte. "Le problème du système de formation, c'est la complexité de gouvernance qui demeure, chacun est légitime et donc chacun gouverne, explique Pierre Ferracci. L'accord du 7 janvier n'a pas réglé cette question ; il faudrait qu'après la crise, on se mette autour de la table pour en finir avec cette complexité. Soit on va au bout de la décentralisation, soit on recule, mais la pire des choses serait de rester entre deux eaux."

 

Michel Tendil et Emilie Zapalski