Fragilisés économiquement, les festivals demandent un déplafonnement de la taxe sur les spectacles

Face à une hausse des coûts et une baisse des subventions publiques, les festivals sont dans un état de fragilité qui tend à devenir structurel, malgré des taux de remplissage satisfaisants. Leurs représentants demandent aux parlementaires, à l'occasion du prochain projet de loi de finances, de déplafonner le produit de la taxe sur les spectacles collectée par le Centre national de la musique.

Les festivals en France vivent un véritable paradoxe. Malgré une fréquentation record, ils enregistrent des déficits tendant à devenir structurels. En cause : l'explosion des coûts, la baisse des subventions publiques et une taxe sur les spectacles de variétés qui ne profite pas autant au secteur que ses acteurs le souhaiteraient. Acteurs qui ont pu exposer un état des lieux des festivals au sortir de l'été 2025 et faire entendre leurs revendications lors d'une table ronde organisée au Sénat le 24 septembre dernier.

Une érosion économique persistante

L'état des lieux empirique confirme la dégradation de la situation économique des festivals. En 2024, le baromètre du ministère de la Culture établissait à 48% la part des manifestations affichant un déficit. Taux qui s'élevait même à 44% parmi ceux qui avaient réalisé plus de 90% de remplissage. Pour 2025, Malika Seguineau, directrice générale d'Ekhoscènes, sur les 105 adhérents de sa structure qui ont déjà fait des retours, "83% ont connu des difficultés financières en dépit d'un remplissage plutôt positif". Pour Stéphane Krasniewski, président du SMA (Syndicat des musiques actuelles), les deux tiers des festivals dont le taux de remplissage est supérieur à 90% sont en déficit, soit une augmentation de 26 points sur un an. Alexandra Bobès, directrice de France Festivals, est à peine moins alarmiste pour les évènements organisés sous son égide : "En 2025, on enregistre une billetterie en hausse de 20%, mais paradoxalement la moitié des festivals qui ont enregistré des hausses de billetterie sont quand même déficitaires."

Au-delà de ces chiffres, Aurélie Foucher, directrice déléguée aux politiques culturelles de Scène ensemble, fait état de plusieurs indicateurs socioéconomiques inquiétants : des cotisations sociales non réglées, des  procédures de recouvrement en cours ou encore "une saisine particulièrement importante" en matière de ruptures conventionnelles et de licenciements économiques.  Avant de synthétiser : "L'érosion économique des festivals persiste et leur fragilité est désormais structurelle."

La rémunération des artistes en question

L'unanimité est encore présente parmi les acteurs du secteur à l'heure d'évoquer les causes de cette fragilité économique. "Les coûts sont en augmentation de façon continue depuis cinq ans", souligne Malika Seguineau, non sans rappeler qu'organiser un festival, "c'est sortir une ville de terre chaque année". Et cette hausse touche tous les postes : salaires, matériel, prestations techniques, frais de location, aménagement des sites, mais aussi sécurité et assurances – en raison de la "sévérité croissante des aléas climatiques".

À cette inflation constante, les festivals de musique doivent également faire face aux bouleversements économiques engendrés par la dématérialisation des supports. Désormais, une grande majorité d'artistes, jadis rémunérés principalement par la vente de disques, voient aujourd'hui leurs revenus dépendre majoritairement des concerts, et donc des festivals, devenus un élément des tournées. Résultat : on enregistre une hausse généralisée des cachets. Là où des artistes représentant 20% de la programmation d'un festival en 2017-2018 captaient 40% du budget artistique, aujourd'hui ces mêmes 20% s'accaparent 60 à 70%. Le tout au détriment de la diversité artistique.

Outre les importantes répercussions sur les finances des festivals, la question de la hausse des cachets a un effet collatéral : elle touche à l'équilibre territorial. "L'impact des grandes enceintes telles que les stades et les arénas est de plus en plus prégnant sur les salles comme sur les festivals. Le risque d'un déséquilibre entre les territoires et d'un appauvrissement de l'offre est réel", remarque Stéphane Krasniewski, qui met aussi en avant une concurrence entre territoires quand "les élus locaux veulent tel ou tel artiste parce qu'ils réduisent l'action culturelle à une simple action de marketing territorial qui va définir, ils l'espèrent, l'image ou l'identité de leur ville, de leur commune, de leur département, de leur région".

Des baisses de subventions parfois "brutales"

À cette hausse des coûts, il faut ajouter la baisse des subventions publiques, les difficultés à trouver des mécènes privés ou les incertitudes liées au Pass culture. Là encore, le bilan de 2025 est édifiant. Sylvie Hugues, présidente du réseau LUX, qui fédère 31 festivals et foires de photographie, note "des baisses inquiétantes des subventions entre 2024 et 2025 qui proviennent principalement des régions et des Drac". De son côté, Alexandra Bobès observe "à peu près 20% de festivals qui ont eu des baisses de subventions, souvent avec un retrait brutal en cours d'année, avec des programmations déjà faites, et donc un financeur-clé au niveau collectivité territoriale qui s'est retiré". 

La fragilité du modèle des festivals s'inscrit plus largement dans "certaines dynamiques à l'œuvre au niveau territorial et au niveau national et montre qu'il s'agit plutôt d'une dégradation des politiques publiques de la culture", selon Alexandra Bobès. Aurélie Foucher confirme en soulevant qu'"on est à l'heure où certaines régions quittent les comités régionaux des professions du spectacle (Coreps), où certains départements n'ont plus les moyens de faire face à leurs compétences obligatoires". Cette baisse des subventions s'ajoute à un autre phénomène que déplore Stéphane Krasniewski : "Dans les collectivités territoriales, les fonds dédiés à l'action culturelle font de plus en plus l'objet d'appels à projets. Mener à bien des projets d'éducation artistique et culturelle nécessite ainsi de répondre à des dizaines d'appels à projets. Les chargés d'action culturelle passent finalement plus de temps à monter des dossiers administratifs qu'à mener des actions concrètes sur le terrain."

Rendre à César...

Aux collectivités, les acteurs des festivals demandent, à l'image d'Aurélie Foucher, "de réinstaller un partenariat durable, basé sur la confiance, la stabilité et la visibilité". Autrement dit, "reconnaître la capacité des acteurs à faire leur travail", "offrir un cadre juridique et financier stable, car nous sommes depuis cinq ans dans des cadres qui bougent en permanence et qui nous fragilisent", et enfin "revenir à une vision politique sinon budgétaire pluriannuelle".

Mais à l'heure où le Parlement s'apprête à discuter le projet de loi de finances (PLF) pour 2026, les professionnels du secteur réclament avant tout et unanimement le déplafonnement de la taxe sur les spectacles de variétés gérée par CNM (Centre national de la musique). Pour Stéphane Krasniewski cette "surtaxe voulue par les professionnels pour des professionnels et qui assure une péréquation au sein du secteur" est aujourd'hui "détournée" au profit de l'État. Pourquoi "détournée" ? Parce que, son plafond étant actuellement fixé à 50 millions d'euros, son excédent est écrêté au profit du budget général de l'État. Or le produit de la taxe sur les spectacles de variétés dépasse désormais le plafond fixé par la loi. Selon les travaux du PLF 2025, durant lesquels un amendement visant à déplafonner la taxe avait été rejeté, son rendement était de 53,15 millions d'euros en 2024. Pour les professionnels des festivals, ce plafonnement est d'autant plus injuste que le Centre national du cinéma (CNC) bénéficie de son côté de taxes affectées non plafonnées. Malika Seguineau a donc "revendiqué et demandé un déplafonnement de cette taxe. À un moment où on doit aborder toutes ces crises, nous ne comprenons pas le détournement du budget de l'État des recettes issues de taxes sectorielles". Prudent, Laurent Lafon, président de la commission de la culture du Sénat, a rétorqué que lui et ses collègues allaient être "très attentifs et vigilants" durant la période budgétaire qui va s'ouvrir au Parlement. Le bras de fer avec Bercy ne fait que commencer...

 

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