Freins à la réindustrialisation : le rapport de la commission d'enquête rendu public
La commission d'enquête sur les "freins à la réindustrialisation" a rendu public son volumineux rapport qui contient pas moins de 130 propositions. Au menu : suppression du ZAN pour les projets industriels, suppression de la CNDP, poursuite de la baisse des impôts de production, création d'un fonds souverain, mobilisation de la commande publique et de l'épargne, fin des subventions aux énergies intermittentes... Situation rare : divergeant des orientations du rapport sur les questions environnementales, le président de la commission a ajouté une sorte de "contre-rapport".

© Capture vidéo Assemblée nationale/ Audition de Alexandre Loubet et Charles Rodwell le 13 juin
Alors que la France semble s’installer dans une phase durable de fermetures d’usines (avec un solde net de 23 sites fermés au premier semestre, selon le cabinet Trendeo, soit 58 sur un an), la commission d’enquête de l’Assemblée sur les freins à la réindustrialisation a rendu public son rapport, jeudi 17 juillet. Un énième constat sur ce mal qui ronge l’industrie française depuis des décennies, qui vient notamment s’ajouter à celui du député LR Olivier Marleix, disparu le 7 juillet. Mise en place à l’initiative du RN dans le cadre de son "droit de tirage", cette commission d’enquête a donné lieu à 54 auditions de 147 personnalités en quatre mois. Adopté le 10 juillet, le rapport de plus de 500 pages intitulé "Bâtir la puissance industrielle : un défi français" formule pas moins de 130 propositions pour encourager le retour de l'industrie en France.
Saluant l’esprit d’ouverture du président de la commission - le député macroniste des Yvelines Charles Rodwell -, le rapporteur RN Alexandre Loubet a évoqué, lors d’une conférence de presse, le 10 juillet, une "grande victoire" à l’Assemblée pour son parti. Pour autant, Charles Rodwell a refusé d’avaliser ses conclusions, invoquant des "différences fondamentales et irréconciliables", notamment sur les questions environnementales. Situation assez cocasse : le président a donc fait précéder le document d’un long "avant-propos", sorte de contre-rapport reprenant quelques-unes des propositions qu’il avait lui-même formulées dans un rapport sur l’attractivité remis au gouvernement en 2023, comme la création d’un contrat d’implantation assorti d’un bouclier réglementaire de cinq ans accessible à tout projet industriel (voir notre article du 13 décembre 2023).
Dix freins
Il faut dire que le rapporteur RN n’est pas tendre avec la politique menée ces dernières années. Selon lui, l’objectif de 15% d’industrie dans le PIB d’ici à 2035 fixé en 2023 relève d’une "opération de communication" ne reposant sur "aucune étude viable". Quant à la politique de l’offre initiée par Emmanuel Macron, elle a été "neutralisée par l’impôt paperasse" et "l’écologie punitive" issue du Green Deal européen qui a engendré une explosion des factures d’énergie et une inflation normative. Le député remet également en cause le choix stratégique de se concentrer sur les innovations de rupture et les startups, notamment à travers France 2030, en laissant à l’abandon "le tissu industriel de base" et le principal vivier industriel des PME et ETI.
Elu de la Moselle, département qui a subi la fermeture des hauts fourneaux d’ArcelorMittal à Florange en 2013, le parlementaire identifie dix "freins" à la réindustrialisation parmi lesquels : une stratégie peu lisible, une image de l’industrie qui reste dégradée, un système de formation défaillant, une compétitivité-prix plombée par le coût de l’énergie, la fiscalité et les normes, une commande publique sous-employée, un potentiel de financements inexploité, des politiques d’export insuffisantes… et une Europe accusée de "naïveté" et d’entraver la relance industrielle dans un contexte de guerre économique mondiale.
Pour lever ces freins, le parlementaire préconise de fonder une stratégie industrielle sur trente ans autour de trois priorités : la puissance par le développement des innovations de rupture, l’indépendance par le développement des filières de substitutions aux importations stratégiques et la modernisation de l’appareil production (décarbonation, robotisation, numérisation et montée des compétences). Il suggère au passage de fixer un objectif national de réindustrialisation exprimé par l’équilibre de la balance commerciale des biens plutôt qu’en part de PIB. Il souhaite "rendre sa place à l’Etat stratège", tout en soutenant les collectivités territoriales "dans une démarche partenariale" et en donnant au bloc communal la latitude nécessaire pour piloter sa réindustrialisation dans des stratégies locales élaborées avec les industriels. En face, le préfet serait "le seul chef d’orchestre de la politique économique de l’État dans les territoires", avec un pouvoir de dérogation. Les "maisons de l’industrie" constitueraient le point d’entrée unique des aides aux entreprises, qu’elles proviennent de l’Etat, des collectivités ou de l’Union européenne.
Exemption du ZAN
Beaucoup de propositions convergent avec le débat sur le projet de loi de simplification économique en cours d’examen. Ainsi, l’élu préconise-t-il de pérenniser l’exemption de cinq ans de l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) pour les projets industriels, leurs aménagements et logements connexes, adoptée le 28 mai. Et va jusqu’à proposer de supprimer la commission nationale du débat public (CNDP).
A "l’impôt paperasse", le député oppose un "choc de simplification" : report de l’interdiction de vente des véhicules thermiques prévue pour 2035, refus d’appliquer les directives CSRD et CS3D, étendre les dérogations aux normes sur les espèces protégées prévues pour les projets d’intérêt national majeur à l’ensemble des projets industriels, dès lors qu’ils s’installent dans des friches ou des plateformes industrielles…
En termes de financement, il compte mettre la commande publique au service de l’industrie, en introduisant une dose de préférence européenne et un critère de production locale : conditionner le versement des fonds européens à des projets réalisés par des entreprises européennes, conditionner l’accès aux marchés publics européens à une fabrication sur le sol européen, introduire un critère qualitatif de production locale et un critère permettant de prendre en compte les retombées économiques locales dans le droit de la commande publique… Il préconise aussi la création d’un fonds souverain alors que "les besoins de financement pour réindustrialiser la France à hauteur de 15% du PIB sont estimés à 200 milliards d’euros sur dix ans". Or selon lui, Bpifrance "n’a ni la vocation ni les moyens d’un véritable fonds souverain". Ce fonds serait "alimenté par les portefeuilles de participations de l’État, la rente énergétique nationale", et pourrait "gérer l’épargne des Français sur la base du volontariat, en apportant des garanties en termes de rendement, de liquidité des actifs et de protection du capital". Alexandre Loubet propose par ailleurs de poursuivre la baisse des impôts de production, notamment en s’attaquant à la cotisation foncière des entreprises (CFE) et à la part résiduelle de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Il suggère aussi "des conventions négociées d’exonérations fiscales pluriannuelles pour la relocalisation des activités identifiées comme stratégiques".
Pour ce qui est de l’énergie, dont le coût grève aujourd’hui la compétitivité de l’industrie européenne, le député estime que la France a les moyens de devenir un "eldorado industriel" en Europe, en misant sur "l’alliance du nucléaire et de l’hydraulique". Il propose tout bonnement d’"arrêter les subventions publiques aux énergies intermittentes", telles que l’éolien et le solaire.