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La Cour de cassation banalise la récupération sur succession sur l'assurance vie

Dans un récent arrêt, la Cour de cassation aborde la question de la récupération sur succession des prestations d'aide sociale versées par les départements, notamment dans le cas de l'aide sociale à l'hébergement des personnes âgées. Et, en l'occurrence, sur les éléments à prendre en compte pour pouvoir requalifier un contrat d'assurance-vie en donation susceptible de faire l'objet d'un recours sur succession.

Dans un arrêt du 3 mars 2021, la Cour de cassation apporte des précisions sur la question récurrente de la récupération sur succession des prestations d'aide sociale versées par les départements, essentiellement dans le cas de l'aide sociale à l'hébergement (ASH) des personnes âgées. Le sujet est d'actualité, puisque le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA) a récemment remis un rapport sur le sujet et formulé des propositions de scénarios (voir notre article du 30 octobre 2020). Pour mémoire, le principe de la récupération sur succession, souvent contesté, a été validé par le Conseil constitutionnel dans une décision QPC (question prioritaire de constitutionnalité) du 21 octobre 2016 (voir notre article du 27 octobre 2016).

Assurance-vie ou donation déguisée ?

L'affaire jugée par la Cour de cassation concerne le département de l'Allier. En l'espèce, celui-ci avait ouvert une action en récupération de la somme de 9.224,17 euros versée au titre de l'aide sociale à M. F... L'action visait la récupération d'un contrat d'assurance vie souscrit par M. F... au bénéfice de M. T... A l'appui de sa demande, le département invoquait l'article L.132-8 du Code de l'action sociale et des familles (CASF). Celui-ci dispose en effet que "des recours sont exercés, selon le cas, par l'État ou le département [...] contre le donataire, lorsque la donation est intervenue postérieurement à la demande d'aide sociale ou dans les dix ans qui ont précédé cette demande [...]". Ce même article prévoit également, que des recours peuvent être exercés "à titre subsidiaire, contre le bénéficiaire d'un contrat d'assurance-vie souscrit par le bénéficiaire de l'aide sociale, à concurrence de la fraction des primes versées après l'âge de soixante-dix ans. Quand la récupération concerne plusieurs bénéficiaires, celle-ci s'effectue au prorata des sommes versées à chacun de ceux-ci".
Dans le cas de figure, le président du conseil départemental de l'Allier considérait, en s'appuyant sur la jurisprudence du Conseil d'État, que les assurances sur la vie avec clause d'attribution en cas de décès (désignation d'un bénéficiaire en cas de décès du souscripteur) peuvent être considérées comme des donations de fait. Néanmoins, la question était de savoir si, en l'état de la législation applicable aux faits – soit antérieurement à la loi du 28 décembre 2015 relative à l'adaptation de la société au vieillissement –, le contrat d'assurance-vie était susceptible d'être soumis à récupération. Dans sa décision du 18 juin 2019 rejetant la demande, la cour d'appel de Riom considérait qu'il appartenait donc au président du conseil départemental de rapporter la preuve de l'intention libérale pour que soit requalifié comme donation indirecte le contrat d'assurance-vie.

Le juge doit analyser l'intention du souscripteur

Dans son arrêt, la Cour de cassation ne suit pas ce raisonnement. Elle rappelle qu'un contrat d'assurance-vie peut être requalifié en donation "si, compte tenu des circonstances dans lesquelles il a été souscrit, il révèle, pour l'essentiel, une intention libérale de la part du souscripteur vis-à-vis du bénéficiaire". Cette intention libérale s'apprécie au regard de l'âge, ainsi que des situations patrimoniale et familiale du souscripteur et de l'utilité du contrat pour ce dernier.
Or en l'espèce, la cour d'appel s'est bornée à affirmer que le président du conseil départemental ne rapportait pas la preuve d'une intention libérale de M. F... lors de la souscription d'un contrat d'assurance-vie au bénéfice de M. T..., pour en déduire que le président du conseil départemental ne pouvait exercer une action en récupération sur les capitaux du contrat d'assurance-vie. Mais elle n'a pas recherché l'utilité présentée par le contrat souscrit par M. F..., notamment en considération de son âge (77 ans au moment de la souscription), de l'importance des fonds placés (correspondant à la quasi-totalité de son patrimoine) et de l'absence de déclaration du contrat lors du dépôt de la demande d'aide sociale. En clair, la combinaison de ces trois éléments démontrait clairement l'intention libérale derrière la souscription du contrat d'assurance vie. Du fait de la non prise en compte de ces éléments, "la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 132-8 du code de l'action sociale et des familles et 894 du code civil, ensemble des articles L. 132-13 et L. 132-14 du code des assurances". La décision est donc cassée et l'affaire renvoyée devant la cour d'appel de Lyon. 

Références : Cour de cassation, première chambre civile, arrêt n° 19-21.420 du 3 mars 2021.
 

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