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Habitat - La Fondation Abbé-Pierre veut un New Deal pour le logement

La Fondation Abbé-Pierre présentait, ce 1er février 2011 à Paris, son seizième rapport annuel. Un rapport que le secrétaire d'Etat au Logement a qualifié de "véritable piqûre de rappel pour l'ensemble de la société, afin (...) qu'elle ne s'habitue jamais à l'infortune d'un certain nombre de nos concitoyens".

"Et toi, t'as quoi comme devoir?" Un échange du quotidien, entre deux frères. A vue de nez, CE2-CM1, en tout cas pas plus de 10 ans. Un air un peu espiègle. Dans un instant, ça sera table de multiplications ou poème de Verlaine. Bref, un soir d'hiver comme un autre, après le goûter et le foot. Tout est normal, sauf le cadre : un fourgon, dans lequel ces deux enfants font leurs devoirs, en attendant de savoir où ils vont dormir. Toujours entre deux centres d'hébergement. Alors le journaliste essaie de les faire parler de cette vie sans domicile : "Qu'est-ce qui a changé pour vous ces derniers temps?" Un haussement d'épaules, et un demi-sourire un peu gêné : "Bof, rien, rien de spécial." Le journaliste insiste : "Et vous avez dormi où la nuit dernière?" Alors là, les enfants hésitent, et puis ils rient, franchement, se moquent du journaliste : "On sait pas"! Il y avait des images comme ça lors de la présentation du rapport annuel de la Fondation Abbé-Pierre ce 1er février 2011. Alors, bien sûr, après, il y a eu les politiques, les syndicalistes, les assistantes sociales de Seine-Saint-Denis, les maires-adjoints chargés du logement, les ministres. Tous ont pris la parole devant la salle de 2.000 personnes. Certains ont parlé budget logement, d'autres effet inflationniste des APL, loi SRU, mobilisation du foncier, réforme du prêt à taux zéro... Mais, pour le dire en douceur, pas un ne faisait le poids face à ce rire d'enfant.

3,6 millions de personnes mal logées
 

Revenons au rapport : ces 245 pages s'ouvrent sur les effets de la crise économique sur la situation du logement en France. Cet effet est difficile à mesurer, souligne la Fondation, car les derniers chiffres disponibles ne datent souvent que de 2007 ou 2008 (et donc ne prennent pas en compte la crise). Mais des signes sont révélateurs : ainsi, les demandes d'aide aux fonds de solidarité pour le logement ont "fortement augmenté" entre 2008 et 2009. Plusieurs conseils généraux ont d'ailleurs dû modifier leur régime d'attribution des aides : le conseil général d'Ille-et Vilaine a créé un barème pour les aides énergie, le Val-de Marne a fortement baissé ses plafonds de ressources. Seuls les ménages au RSA ou ayant de nombreux enfants avec des salaires minimaux peuvent encore être aidés (p.25). Ainsi, "la crise économique a renforcé la crise du logement. Elle a amplifié la sensibilité des ménages pauvres et précaires face aux charges de logement ou aux obstacles leur permettant de se trouver un toit". Plus largement, la Fondation constate la forte augmentation des prix de l'immobilier depuis 2000 (+100%), des loyers (+50%), et l'impossibilité pour de très nombreux ménages de se loger dignement. Cette situation "globalement catastrophique" a pour conséquence que "3,6 millions de personnes sont sans logement ou mal logées".

Pour un "New Deal" avec les propriétaires bailleurs
 

Face à ces difficultés, la Fondation condamne la politique gouvernementale de construction "d'une France de propriétaires". Elle critique en particulier l'ouverture du prêt à taux zéro à tous les ménages, quels que soient leurs revenus. Mais attention, précise le délégué général de la Fondation Abbé-Pierre, Patrick Doutreligne, "la Fondation n'est pas contre la propriété", ni même contre les aides publiques aux propriétaires. Elle se félicite de la nouvelle politique de l'Agence nationale pour l'habitat (Anah) en faveur des propriétaires occupants mais déplore la baisse concomitante des aides aux propriétaires bailleurs. Elle plaide au contraire pour une politique de conventionnement du parc privé, un "New Deal", qui permettrait à de nombreux propriétaires privés d'obtenir une aide publique contre l'obligation de respecter des plafonds de loyer.
La fin du rapport est consacré comme toujours aux propositions : on notera notamment l'obligation de réserver dans toute opération de construction de plus de dix logements 30 % de logements sociaux, le plafonnement des loyers à la relocation (c'est-à-dire entre deux locataires), une réforme des aides personnelles au logement permettant leur ouverture aux travailleurs pauvres, une réévaluation de la loi Solidarité et Renouvellement urbains (SRU) avec des amendes plus importantes et une application effective du droit de préemption urbain, la demande d'une meilleure répartition entre les collectivités des dotations d'Etat (DGF et DSU), l'appel à un plan massif de résorption de l'habitat indigne, etc. (voir p.223-233).

Remettre sur le métier la loi SRU
 

Face à ces chiffres et à ces propositions, le secrétaire d'Etat au Logement a argumenté devant une salle calme. En ouverture de son discours, tout en reconnaissant "la réelle importance du mal-logement", Benoist Apparu a rappelé l'amélioration globale de la qualité du parc de logements français, qui a vu son niveau de confort (sanitaires et taille) s'améliorer nettement depuis 30 ans. Il a indiqué que la demande des Etats généraux du logement de consacrer 2% du PIB au logement était déjà largement remplie, puisque selon les comptes du logement 2010, l'effort public (donc y compris collectivités territoriales) s'élève à 1,96 % du PIB, un niveau jamais atteint depuis 1986.
Benoist Apparu est ensuite revenu sur la nécessité de "construire des logements sociaux là où c'est nécessaire", sur la simplification prochaine du droit de l'urbanisme et sur la réforme fiscale en cours, qui doit permettre, comme le demande la Fondation Abbé-Pierre, de taxer davantage les propriétaires qui gardent longtemps des terrains à bâtir. Le secrétaire d'Etat a également rappelé que "la feuille de route de l'Anah prévoyait désormais qu'aucune aide aux propriétaires bailleurs ne serait délivrée sans conventionnement". S'il n'a rien déclaré de neuf sur le logement social, le secrétaire d'Etat veut cependant "ouvrir le débat sur la loi SRU" : "Le gouvernement est profondément attaché à la mixité, il reste favorable à l'application de la loi SRU, il faut que toutes les collectivités fassent des efforts. Mais ceci dans les deux sens : les collectivités qui ont 60 à 70 % de logements sociaux doivent faire un effort en faveur de l'accession à la propriété."
Concernant le droit au logement opposable, le secrétaire d'Etat "entend beaucoup de critiques", les uns estimant qu'il est impossible à mettre en œuvre, les autres qu'il va créer de nouveau ghettos. Il juge qu'avec la mobilisation du contingent préfectoral et celui des collectivités, le pays a les moyens de mettre en œuvre ce droit. Il invite les bailleurs sociaux à travailler avec le gouvernement pour éviter le renforcement des ghettos.
Enfin, en matière de régulation des loyers, Benoist Apparu "ne partage pas totalement l'analyse de la Fondation Abbé Pierre" : "Si les investisseurs ont un rendement locatif qui baisse, ils vont vendre, ce qui restreint l'offre locative." Et sur le PTZ, le ministre estime qu'il est légitime d'aider, à Paris, les couples avec deux enfants gagnant plus de 5.000 euros par mois à accéder à la propriété car "on n'est pas riche avec ces niveaux de revenus".
Reprenant la parole après le ministre, le délégué général de la Fondation Abbé-Pierre s'est félicité que "le principe de mixité guide toujours la politique gouvernementale", a entendu "les inquiétudes du ministre sur la difficulté des ménages gagnant plus de 5.000 euros par mois à se loger et sur les rendements en baisse des investisseurs" et a conclu qu'en dépit d'une salle "très écoutante", "le désaccord était identique".

 

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