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A l'approche des élections, les déserts médicaux investissent le débat public

Emmanuel Macron s'est exprimé sur "le manque de médecins" le 8 décembre lors de son déplacement dans l'Allier. Pas moins de six propositions de loi ont été déposées ces dernières semaines par quasiment tous les groupes de l'opposition de l'Assemblée comme du Sénat, la plupart d'entre elles incluant l'idée d'un conventionnement sélectif. Les associations d'élus locaux continuent d'être attentives au sujet. Dont l'Association des maires ruraux qui s'intéresse aux apports de la télémédecine. A n'en pas douter, l'enjeu de l'accès aux soins sera important dans la période électorale du printemps prochain... et lors de la prochaine législature.

La lutte contre les déserts médicaux et pour l'accès de tous aux soins semble en voie de figurer en bonne place parmi les thèmes qui feront la prochaine campagne des présidentielles et des législatives. Lors de son déplacement dans l'Allier, le 8 décembre, Emmanuel Macron, interrogé par des auditeurs sur France Bleu Pays d'Auvergne, s'est d'ailleurs longuement exprimé sur la question. Après avoir rappelé les mesures prises depuis cinq ans, le chef de l'Etat a présenté la pénurie de médecins (libéraux et hospitaliers) comme "un sujet clé" et "un des problèmes les plus importants aujourd'hui de notre pays". Il a notamment affirmé que, dans les prochaines années, "il va falloir qu'on soit très innovants, très volontaristes".

Six propositions de loi en quelques semaines

Cette montée en puissance de la question des déserts médicaux se traduit aussi par une intense activité parlementaire. Pas moins de six propositions de loi sur le sujet ont ainsi été déposées ces dernières semaines par quasiment tous les groupes de l'opposition à l'Assemblée et au Sénat. Toutes ces propositions présentent une caractéristique commune : elles s'inscrivent clairement dans le champ de la contrainte en prévoyant, sous des modalités diverses, une obligation de fait d'installation des médecins dans les zones sous dotées, ce que le gouvernement (et ses prédécesseurs de droite comme de gauche) ont jusqu'alors toujours écarté. Si ces textes n'ont aucune chance d'être adoptés dans la législature actuelle, ils résonnent en revanche comme autant d'éléments programmatiques dans le cadre de la future campagne des présidentielles et des législatives.

Le 2 décembre, l'Assemblée nationale a ainsi rejeté, en première lecture, la proposition de loi "pour une santé accessible à tous et contre la désertification médicale", déposée par Sébastien Jumel, député (PCF) de Seine-Maritime, et ses collègues de la Gauche démocrate et républicaine. Le texte prévoit notamment de rendre obligatoires le contrat d'engagement de service public, la mise en place d'un conventionnement sélectif à l'installation (installation possible en zone à forte densité uniquement pour remplacer un praticien qui arrête son activité), l'instauration d'une garantie d'accès à un établissement de soins à moins de 30 mn, la possibilité pour les hôpitaux de proximité de pratiquer des activités de chirurgie et d'obstétrique (qui leur sont aujourd'hui interdites, sauf exceptions)...

Une obligation "exceptionnelle et transitoire" de présence et des abattements fiscaux

Ce texte, écarté en première lecture par les députés de la majorité, est toutefois très loin d'épuiser le sujet. Deux nouvelles propositions de loi ont en effet été déposées à la présidence de l'Assemblée nationale ces derniers jours. Guillaume Garot, député (PS) de la Mayenne, et l'ensemble de ses collègues du groupe socialiste ont ainsi déposé une proposition de loi "d'urgence contre la désertification médicale", enregistrée à la présidence de l'Assemblée le 7 décembre. Le texte encadre l'installation des médecins dans les zones où l'offre de soins est déjà suffisante et crée une obligation "exceptionnelle et transitoire" de présence en zone sous‑dense pour les internes de médecine au cours de leur dernière année d'internat, puis dans les deux années qui suivent l'obtention de leur diplôme.

Le groupe Les Républicains n'est pas en reste avec une proposition de loi, enregistrée le même jour à la présidence de l'Assemblée, "visant à lutter contre la fracture médicale sur le territoire national". Elle prévoit, elle aussi, l'instauration d'un système de conventionnement sélectif, allonge la durée des stages des internes en fin de cycle dans les zones sous‑dotées, crée un abattement de 50% sur le bénéfice imposable des généralistes et spécialistes exerçant en zone sous-dotée, ainsi qu'une exonération fiscale pour les médecins retraités acceptant de continuer à exercer dans les zones sous-denses...

Une floraison d'idées au Sénat et... une proposition de loi référendaire

Outre un récent rapport d'information sur les initiatives des collectivités territoriales pour lutter contre les déserts médicaux (voir notre article du 21 octobre 2021), le Sénat, très en pointe sur la question de l'accès aux soins, n'a pas manqué de se saisir du sujet, avec deux propositions de loi déposées en juin dernier, donc un peu plus tôt que l'Assemblée. C'est le cas de la proposition de loi "tendant à lutter activement contre les déserts médicaux", déposée par Stéphane Sautarel, sénateur du Cantal et plusieurs de ses collègues du groupe Les Républicains. Comme les autres, le texte propose d'instaurer, mais à titre expérimental pour trois ans, un conventionnement sélectif des médecins, une extension des négociations conventionnelles à la question des déserts médicaux, le rallongement d'un an de l'internat médical avec un stage territorial d'un an, une incitation des médecins en zone sous-dense à prendre des stagiaires avant leur départ en retraite, la transposition de l'idée de l'atelier-relais à usage artisanal ou commercial en matière de santé, ou encore la revalorisation des indemnités des internes.

De son côté, Philippe Folliot, sénateur (Union Centriste) du Tarn a déposé, seul, une proposition de loi "visant à lutter contre les déserts médicaux". Celle-ci prévoit "un numerus clausus à l'installation des médecins généralistes", doublé d'aides à l'installation des médecins généralistes en zones rurales, mais aussi la mise en œuvre d'une politique d'accès aux soins à l'échelle des territoires, avec création de commissions départementales de la démographie médicale.

Enfin, les initiatives parlementaires sur le sujet montent encore d'un cran avec la proposition de loi "de programmation pour garantir un accès universel à un service public hospitalier de qualité, en application du troisième alinéa de l'article 11 de la Constitution". Cette référence juridique signifie qu'il s'agit rien de moins qu'une proposition de loi destinée à être soumise à référendum (et qui doit être présentée par au moins un cinquième des membres du Parlement – ce qui est le cas – "et soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales"). La proposition de loi est signée par l'ensemble des députés et des sénateurs de toute la gauche (PS, PC, France insoumise, EELV), auxquels s'ajoutent des parlementaires ex-LREM comme Cédric Villani, Aurélien Taché ou la députée Martine Wonner. Contrairement aux précédents, cette proposition de loi est entièrement centrée sur l'accès aux soins hospitaliers. Bien que assez dense avec ses onze articles, ce texte contient toutefois peu de mesures concrètes, mais trace des orientations et prévoit des mesures à prendre par le gouvernement en matière d'objectifs de politique de l'Etat en faveur de l'hôpital public (les établissements de soins privés ne sont pas évoqués), de garantie de soins de qualité, de financement pérenne de l'hôpital public ou de démocratie sanitaire au sein des établissements. 

L'accès aux soins mobilise les collectivités, des plus petites...

Les parlementaires sont loin d'être les seuls élus à s'emparer du sujet de la lutte contre les déserts médicaux. Les associations de collectivités territoriales sont en effet très présentes sur cette question. La plus active est sans conteste l'AMRF (Association des maires ruraux de France), qui multiplie les prises de positions sur ce thème (voir par exemple nos articles du 8 février 2021 et du 8 septembre 2020). A l'approche des campagnes électorales, l'AMRF publie un communiqué, en date du 8 décembre, intitulé "La télémédecine : la bonne solution ?". Elle y explique que "la détérioration de l'offre de soins, due aux choix politiques des 30 dernières années, laisse sur nos territoires le champ libre à de multiples initiatives, propositions, développement d'outils plus ou moins opportunistes, afin de pallier le manque de médecins généralistes comme spécialistes". Dans ce contexte, l'AMRF "affirme que la télémédecine est un outil qui permet et permettra de remédier ponctuellement à l'absence de médecin". Mais elle devra pour cela "s'inscrire dans une organisation repensée de l'aménagement territorial de la présence médicale". La télémédecine pourrait ainsi être intégrée dans le parcours de soins des habitants comme relais d'un parcours de soins de proximité.

Après avoir détaillé les conditions préalables à une mise en œuvre efficace de la télémédecine, l'AMRF rappelle aussi que "d'autres leviers [sont] à actionner pour faire face à la crise". Sont notamment cités le développement de l'exercice des auxiliaires médicaux et des infirmières de pratiques avancées (IPA), le positionnement des pharmaciens et des infirmières au centre de nouvelles pratiques en faveur de l'ambulatoire, ou encore la réorientation de la surveillance des pathologies simples vers des auxiliaires médicaux ayant suivi des formations complémentaires (ce qui commence à se faire avec la multiplication des protocoles). En attendant, "les maires ruraux sont conscients que pour les dix prochaines années, le numérique sera une bouée de sauvetage pour les territoires les plus déshérités en accès aux soins".

...aux plus grandes

A l'autre extrémité du spectre des collectivités, France urbaine – qui représente les métropoles, les agglomérations et les grandes villes – se penche aussi sur la question. Lors de sa réunion du 20 octobre, la commission "Santé" de France urbaine, co-présidée par les maires de Lyon et de Limoges, a tiré les leçons de la crise sanitaire et de l'expérience des vaccinodromes pour réfléchir aux moyens de "faire vivre au quotidien, en matière de santé, l'alliance et la solidarité des territoires". Pour Florent Montillot, premier adjoint au Maire d'Orléans – qui a présenté l'exemple des actions mises en place par la métropole pour faire de la santé un vecteur de développement humain à l'échelle de l'agglomération –, "la santé est une compétence incarnée qui 'parle' aux populations de tous âges et conditions installées dans le péri-urbain, voire le rural, et permet une adhésion forte au projet de territoire intercommunal, dans sa dimension à la fois sociale et solidaire".  

Emmanuel Macron : "rien ne doit être tabou dans la situation où nous sommes"

Face à cette pression croissante des élus locaux et nationaux, à dominante "coercitive", les gouvernements successifs restent sur une ligne "incitative". Dès les premiers jours de sa prise de fonction, en février 2020, Olivier Véran avait ainsi affirmé : "Je ne serai pas le ministre de la fin de la liberté d'installation" (voir notre article du 25 février 2020). Le nouveau ministre des Solidarités et de la Santé excluait notamment la mise en place d'un système de conventionnement sélectif, mais expliquait que "l'exercice isolé doit devenir l'exception d'ici à 2022". 

Dans ses réponses aux questions des auditeurs de France Bleu Pays d'Auvergne le 8 décembre dans l'Allier, Emmanuel Macron a souligné que "notre problème, c'est qu'on manque de médecins, depuis un bon moment à cause du numérus clausus", désormais remplacé par le numerus apertus (voir notre article du 18 octobre 2021). Il s'en est pris aussi aux  "médecins mercenaires", qui "ont quitté l'hôpital et reviennent travailler à des tarifs journaliers qui correspondent au salaire mensuel de certains", et s'est félicité de la décision de plafonnement de leurs honoraires. Le chef de l'Etat a également rappelé les mesures prises sur l'investissement et les revalorisations salariales à travers le Ségur de la Santé.

Tout en plaidant pour des mesures incitatives – "On a pris une série de mesures très incitatives sur les territoires où il manque des médecins, pour y répondre et mettre en place un accompagnement pour installer des médecins" –, le chef de l'Etat a expliqué qu'"il est très difficile de forcer une profession libérale à s'installer quelque part". Pour autant, "rien ne doit être tabou dans la situation où nous sommes, compte tenu de la déprise qu'il y a dans certains territoires". En tout cas, une telle orientation vers davantage de contraintes à l'installation "n'est pas exclue partout", ce qui marque un revirement de position, même au conditionnel. Avec à la clé un engagement, qui pourrait figurer dans un programme électoral : "On ne laissera pas des déserts médicaux supplémentaires se faire. La mobilisation là-dessus est complète".

  • Tout ça pour quoi ?

Alors que parlementaires et élus locaux s'emparent de la question de l'accès aux soins et des déserts médicaux, la Drees (direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques des ministères sociaux) publie, dans sa collection des "Dossiers de la Drees" une très intéressante étude intitulée "Remédier aux pénuries de médecins dans certaines zones géographiques : les leçons de la littérature internationale". Il s'agit en l'occurrence d'une revue de littérature scientifique sur la façon dont d'autres pays développés développent des solutions pour favoriser l'accès aux soins dans des territoires sous-dotés. Cette étude s'assortit d'un certain nombre de réserves méthodologiques – 80% des références recensées concernent les Etats-Unis, l'Australie ou le Canada, dont les systèmes de santé ont peu à voir avec le nôtre –, mais n'en présente pas moins des enseignements pertinents.

Ainsi, elle met en évidence l'efficacité réduite des incitations financières dans les choix d'installation des médecins. Celles-ci revêtent bien sûr de l'importance aux yeux des intéressés, mais leur efficacité "est  variable  selon  les  caractéristiques  des  systèmes  de  santé  et  des  zones  concernées,  et  leur  poids  apparaît  secondaire  par  rapport  aux  autres  conditions  de  l'épanouissement  professionnel". Il apparaît en effet "que le choix de s'installer dans une zone mal desservie est lié en premier lieu à un ensemble de facteurs personnels : les liens qu'on peut avoir avec ce type de territoire, parce qu'on y a grandi ou qu'on y a des attaches familiales ou amicales, le souhait d'exercer la médecine de famille. La formation (par des contenus ou des lieux de stage spécifiques) peut contribuer, dans des proportions difficiles à estimer, à renforcer ces orientations". S'y ajoute aussi le contexte du territoire, autrement dit les aménités et la gamme de services éducatifs, culturels et récréatifs qu'il peut fournir. Au final, il ressort des études collationnées que "les incitations financières, largement mises en œuvre, ont plutôt des résultats décevants", tandis que "la formation initiale [constitue] un levier puissant, mais à long terme".

Une telle conclusion devrait réjouir les partisans d'une approche plus contraignante dans l'installation des médecins. Effectivement, la régulation de l'installation permet "une distribution plus équilibrée", mais cette approche "n'évite cependant pas les pénuries locales". Plus précisément, "les  exemples  internationaux  vont  plutôt,  globalement,  dans  le  sens  d'un  impact  positif  d'une  politique  de  régulation  des  installations sur l'équité de la distribution géographique, celle-ci étant appréciée à un niveau assez agrégé, le niveau régional en général. S'agissant de savoir si, en tout point du territoire (à un niveau infrarégional), l'accès au médecin est assuré de façon satisfaisante, et si la régulation des installations permet d'éviter les pénuries localisées dans les zones peu attractives, la  réponse  est  moins  affirmative". En outre, les  publications  disponibles  sur  l'impact  des  dispositifs  récents  de  régulation  dans  des  zones  peu  attractives mis  en  œuvre  en  Allemagne  ou  au  Québec  "sont  peu  nombreuses  et  ne  permettent  pas  d'en apprécier de manière fine les résultats". 

L'étude de la Drees relève aussi que certains dispositif incitatifs sont très peu évoqués dans la littérature internationale et ne permettent donc pas d'en tirer des conclusions : organisation et financement des remplacements, facilités de formation et de développement professionnel continu, aménagement des conditions de travail pour les médecins seniors, stratégies de soutien et interventions ponctuelles pour améliorer  la santé et le bien-être psychologique des médecins ruraux...

Enfin, pour la France, où "de nombreuses incitations sont déjà mises en œuvre", la Drees voit néanmoins "quelques améliorations [...] suggérées par l'analyse de la littérature internationale". C'est le cas de la recherche d'une plus grande diversification de l'origine territoriale et sociale des étudiants en médecine. Ceci pourrait passer par "quelques  démarches  ponctuelles de délocalisation de lieux de formation". De même, "l'effort pour proposer des conditions de vie et de travail épanouissantes pourrait être accru". L'amélioration en la matière suppose notamment de renforcer la politique de promotion  des  structures  d'exercice  collectif  mise  en  place  en  France  depuis  une  dizaine  d'années, mais aussi de simplifier les modalités de création de telles structures et de développer l'accompagnement des professionnels  sur  le  terrain,  grâce à  des  mesures  de soutien visant à améliorer leur cadre de vie et de travail.

 

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