Finances locales - Le contrôle financier des collectivités va-t-il disparaître ?

Le président de la Cour des comptes, Philippe Seguin, a remis début février un projet de réforme concernant, au premier chef, les chambres régionales. Le syndicat des juridictions financières sera reçu à Matignon le 4 mars pour avoir des éclaircissements. Question : le contrôle de gestion des collectivités est-il remis en cause ?

"Il nous faut sortir d'une logique de contrôles organiques récurrents pour dégager les moyens à affecter à des évaluations transversales." C'est à l'occasion de ses vœux à la Cour, le 18 janvier, que le premier président de la Cour des comptes, Philippe Seguin, a abordé dans ces termes le contrôle de gestion des collectivités territoriales par les chambres régionales des comptes (CRC). Créées par la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, les CRC ont trois missions : le contrôle juridictionnel des comptes, le contrôle budgétaire et l'examen de la gestion des collectivités locales. C'est cette dernière qui est visée. Elle a vocation à contrôler la gestion de l'ordonnateur, la régularité des opérations mais aussi l'économie des moyens mis en œuvre pour atteindre les objectifs fixés par les assemblées délibérantes... autrement dit la stratégie financière d'une collectivité.

La déclaration de Philippe Seguin a eu pour effet de provoquer une réaction défensive du syndicat des juridictions financières qui représente les magistrats des CRC. Marc Chabert, son président, a saisi la presse pour communiquer son inquiétude : "Est-ce, pour les chambres régionales des comptes,  la fin du contrôle de la gestion globale d'une seule collectivité ? Aurait-on alors pour vocation de contrôler toutes les cantines municipales ? Par ses propos, Philippe Seguin en dit trop et pas assez." 

 

Pour des chambres régionales des comptes interrégionales

A la lumière de cette intervention, Marc Chabert  rappelle à la presse, le 26 février à l'issue du congrès extraordinaire du SJF, que cet épisode est "le résultat d'une période de quatre à cinq ans durant laquelle les magistrats des CRC ont eu le sentiment d'une perte d'impact  de leurs travaux". Et de s'appuyer sur le cadrage fait en novembre par le président de la République. "Nicolas Sarkozy a alors donné deux axes à la réflexion de la Cour des comptes : la construction d'un grand corps d'audit et la réorganisation des juridictions financières. Cette réorganisation est d'autant plus facile que d'ici à 2012, sur les 330 magistrats, près d'un tiers sera à la retraite !", commente le président du syndicat des juridictions financières. "Cette restructuration, a précisé Philippe Seguin dans son discours du 18 janvier, est nécessaire car tout le monde sait que nombre de CRC n'ont pas la taille critique pour un fonctionnement optimal. Le regroupement permettrait de mutualiser les fonctions supports et surtout de constituer des équipes fortes avec des possibilités de spécialisation sur un ou plusieurs métiers." De nouvelles entités interrégionales ? "Selon nos premières informations, cela aurait pour effet de réduire le nombre des CRC à six", commente Marc Chabert. 

 

Du contrôle de gestion à la certification des comptes

Cette réorganisation militerait pour une diminution voire une suppression de la mission de contrôle de gestion des collectivités car les juges, en nombre réduit, n'auraient plus les moyens d'exercer cette mission. Au-delà de cette annonce,  les raisons de s'inquiéter ne manquent pas. La Cour des comptes se voit, dans le cadre de la Lolf, de plus en plus sollicitée par les parlementaires qui s'appuient sur ses expertises transversales. "Nous sommes tout à fait d'accord sur la nécessité de renforcer le partenariat entre les CRC et la Cour des comptes, affirme Marc Chabert. Mais cela ne doit pas avoir pour conséquence de supprimer notre mission de contrôle." Pour le président du syndicat, c'est justement cette mission de contrôle qui alimente de façon pertinente les analyses de la Cour : "Tout le monde a constaté la qualité du rapport de la Cour des comptes sur l'intercommunalité, une qualité possible car nourrie par les contrôles des EPCI assurés par les CRC." Socle de l'expertise, le contrôle de gestion se voit menacé par une nouvelle mission "dans l'air du temps", la certification des comptes qui consiste à vérifier  la conformité des états financiers d'une entité vis-à-vis d'un ensemble donné de règles comptables. Pour Olivier Nys, DGA adjoint de la ville de Lyon, cette réforme aurait un effet redondant car la certification des comptes des collectivités existe : elle est du ressort des comptables du Trésor public.

Le président du syndicat des juridictions financières considère, quant à lui, que "cela aurait pour effet de transformer les CRC en instances de validation". "Si l'on va au bout de la logique, et en s'appuyant sur la réforme des hôpitaux, cette nouvelle mission pourrait être assurée par un commissaire aux comptes agréé ou, comme  le suggère la proposition de loi redéposée récemment par le député Pierre Morel-A-L'Huissier, par un nouveau corps d'inspection, l'inspection générale des comptes des collectivités territoriales", conclut Marc Chabert. Un glissement qui pourrait avoir un impact sur le porte-monnaie des collectivités. Attendu à Matignon, le 4 mars, le syndicat des juridictions financières espère avoir des éclaircissements.

 

Clémence Villedieu

 "Des contrôles ciblés sur l'analyse des risques"

La réforme repose sur l'idée d'une responsabilisation des ordonnateurs, fer de lance du premier président de la Cour. Favorables à une telle évolution, les magistrats rappellent que la responsabilisation n'est justement concevable que si elle s'accompagne d'un renforcement des contrôles. La décentralisation est la justification de l'intervention des CRC. Le 18 janvier, Philippe Seguin déclarait : "La prescription extinctive exonère d'ailleurs désormais de ces contrôles qui étaient menés uniquement pour décharger les comptables." Marc Chabert n'admet pas cet argument : "On ne peut s'appuyer sur la prescription extinctive pour justifier la fin de cette mission. En principe, les collectivités sont jugées tous les quatre ou cinq ans mais la charge de travail étant trop importante, la prescription permet à un comptable public d'être automatiquement déchargé de sa gestion pour un exercice donné si aucun jugement n'est intervenu dans les six années qui suivent la production du compte." Reconnaissant que les CRC ne peuvent pas suivre le rythme du contrôle de gestion des collectivités, le président du syndicat des juridictions financières estime nécessaire de réorienter les contrôles : "On est parti du contrôle de tous les organismes, nous devons les programmer en fonction des risques et des signalements. Aujourd'hui, on réagit trois ou quatre ans après avoir été saisi sur des dysfonctionnements. Il y a en effet des contrôles dont on pourrait faire l'économie." Le 18 janvier, Philippe Seguin rajoutait : "Le contrôle organique reste nécessaire mais il pourrait être programmé de manière plus efficace et davantage ciblé sur la base d'une analyse des risques." Alors : d'accord ou pas d'accord ?

 

 

 

 

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