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Le dispositif Pinel : critiquable, mais finalement indispensable... sous réserve de le réformer

Un rapport IGF / CGEDD pointe les faiblesses et failles du Pinel, dispositif d'aide fiscale à l'investissement dans le logement locatif, que ce soit pour les bailleurs, les locataires et le niveau des loyers... ou pour les collectivités et leurs politiques de l'habitat. Il propose principalement l'introduction d'un agrément des opérations afin de mieux répondre aux priorités nationales et locales de construction de logements.

Quelques jours après leur rapport sur le prêt à taux zéro (voir notre article ci-dessous du 7 novembre 2019), l'Inspection générale des finances (IGF) et le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) récidivent avec un nouveau rapport, consacré cette fois-ci à l'"Évaluation du dispositif d'aide fiscale à l'investissement Pinel". Ce dernier est destiné à encourager, sous forme d'une déduction fiscale sur l'IRPP, l'investissement des particuliers en faveur du logement locatif. Comme dans le cas de celui sur le PTZ, le rapport pointe les faiblesses et les failles du dispositif et préconise une transformation en profondeur. Une position qui rejoint celle déjà exprimée à plusieurs reprises par la Cour des comptes, mais aussi par la commission des finances de l'Assemblée nationale (voir nos articles ci-dessous du 24 juillet 2018 et du 21 mars 2019).

Un dispositif qui ignore les politiques de l'habitat des collectivités

Les nombreuses critiques exprimées par l'IGF et le CGEDD sur le dispositif Pinel sont toutefois assorties d'un bémol important, dans la mesure où "la mission ne préconise pas de supprimer toute aide aux particuliers investisseurs" : "En raison de l'importance des dispositifs d'aide à l'investissement locatif depuis plus de 30 ans dans les programmes immobiliers, une suppression du dispositif entraînerait des perturbations dans la capacité de construction d'une ampleur et d'une durée difficile à anticiper."

Cette précaution posée, le rapport n'est pas avare en critiques sur le dispositif actuel. Celui-ci présente en effet "de nombreux effets négatifs". Tout d'abord, le dispositif n'atteint que faiblement son objectif de réduction des loyers par le développement d'une offre locative à prix maîtrisés (les loyers concernés étant encadrés en contrepartie de la déduction fiscale). La mission estime ainsi que seuls 9,3% du montant de l'aide accordée par l'État via la réduction d'impôt se traduisent par des baisses de loyer.

Ensuite, le Pinel a des effets secondaires pour les collectivités. En effet, "l'automaticité de la réduction fiscale ignore les priorités des politiques locales de l'habitat, notamment en termes de localisation fine, de nombre et de types de logements". En outre, les collectivités rencontrées par la mission ont signalé l'impact de ce dispositif "en matière de dégradation de copropriétés voire de quartiers".

Les pièges du Pinel

Le bilan n'est pas vraiment meilleur pour les investisseurs-bailleurs comme pour les locataires. Certains des investisseurs, poussés par des promoteurs peu scrupuleux et aveuglés par la promesse de déduction fiscale, se retrouvent finalement face à des rendements négatifs au bout des neuf années de mise en location, qui les mettent en grande difficulté. Vis-à-vis des futurs locataires, le rapport pointe "une certaine standardisation des logements et parfois une faible qualité d'usage".

S'ajoutent à ces éléments les difficultés de pilotage du dispositif. La mission relève ainsi que "le ministère en charge de la politique du logement ne dispose pas des données fiscales permettant l'identification et la caractérisation des logements financés par le dispositif". Le travail réalisé à l'occasion de ce rapport a toutefois permis, pour la première fois, de disposer d'une caractérisation fine des logements ainsi produits.

Un dispositif trop attractif pour être supprimé

Car la mission reconnaît au moins une qualité au dispositif : le Pinel "a l'avantage majeur de jouer un rôle d'accélérateur, voire de déclencheur, des projets de logements collectifs en France, puisque la moitié des Vefa [vente en l'état futur d'achèvement, ndlr] sont réalisées en le mobilisant. De l'avis des acteurs rencontrés, la réduction d'impôt Pinel constitue la motivation principale de 80% des investisseurs. Ce dispositif a donc favorisé un développement important de l'offre locative privée".

Mais, compte tenu des faiblesses évoquées plus haut, la mission recommande de revoir en profondeur le dispositif. La réforme devrait être guidée par trois principes : inciter à la construction de logements répondant davantage aux besoins des habitants (localisation de l'offre locative, niveau des loyers, type et qualité du logement...), être coordonné avec les politiques locales d'habitat et d'aménagement et, enfin, ne pas évincer des projets et des acteurs qui ne s'appuient pas sur le dispositif Pinel. Dans le même temps, l'IGF et le CGEDD prônent un renforcement de la connaissance du dispositif et de son pilotage par l'État.

Le respect de ces trois principes suppose lui-même trois éléments : une capacité de maîtrise du volume de l'investissement locatif aidé, la possibilité de cibler les programmes éligibles de manière plus fine et la nécessité de conserver l'élément attractif que constitue la réduction d'impôt pour le particulier.

Pour un agrément sélectif des opérations

Fort de ces principes, le rapport envisage une hypothèse principale et une solution de repli. L'hypothèse principale consisterait à passer de l'actuelle logique de "droit de tirage" à un contingentement de la réduction fiscale, via l'introduction d'un agrément. La mission est consciente de l'existence d'un risque constitutionnel vis-à-vis d'une possible atteinte au principe d'égalité, mais elle estime que "l'exigence constitutionnelle d'égalité pourrait être satisfaite par la publicité accordée aux opérations éligibles". Tout sera néanmoins fonction de la définition, par la loi, des critères de répartition et d'attribution du contingent, "qui devront être suffisamment flexibles pour permettre le pilotage effectif du dispositif sans obérer sa sécurité juridique".

À défaut d'une telle évolution, la solution de repli consisterait à transformer le dispositif de déduction fiscale en aide budgétaire directe, mais "en étant attentif à en préserver l'attractivité pour des particuliers qui recherchent principalement à réduire leur impôt" (ce qui équivaut quelque peu à la quadrature du cercle).

Dans tous les cas, la répartition du contingent aidé se ferait par les préfets au niveau infrarégional, sur la base des priorités nationales et locales. Enfin, pour contrebalancer la dépendance au Pinel, le rapport recommande de susciter "une plus grande implication des investisseurs institutionnels qui produisent des logements intermédiaires à un moindre coût pour les finances publiques avec l'avantage d'une gestion professionnelle de ces logements". Un retour des institutionnels dans le logement intermédiaire qui est d'ailleurs à l'œuvre depuis quelques années.