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Projet de loi d'orientation des mobilités - Le péage urbain refait surface

Le ministre de la Transition écologique, François de Rugy, a confirmé ce 18 octobre,que le futur projet de loi d'orientation des mobilités permettra aux élus locaux d'avoir recours aux péages urbains. Cette possibilité avait été introduite à titre d'expérimentation dans la loi Grenelle 2 mais jamais appliquée. Pourtant, de grandes villes européennes ont déjà instauré il y a plusieurs années des tarifs de congestion pour réguler la circulation automobile dans leur centre. La sénatrice Fabienne Keller s'est intéressée aux cas de Stockholm et de Londres et a présenté ce 17 octobre un rapport sur le sujet devant la commission des finances du Sénat.

Le futur projet de loi d'orientation des mobilités donnera la possibilité aux élus locaux de mettre en place des péages urbains, a indiqué ce 18 octobre sur BFMTV le ministre de la Transition écologique, François de Rugy. "Un certain nombre de choses ont été réclamées par les élus locaux, et notamment la question du péage urbain", a reconnu le ministre, confirmant des informations du site internet Contexte. "Il y aura des possibilités, des limites. C'est-à-dire qu'on ne pourra pas dépasser un certain niveau de péage et ensuite les élus locaux décideront."
"Deux euros et demi par véhicule par jour dans une ville de plus de 100.000 habitants, c'est le plafond qui sera sans doute débattu", a-t-il précisé en ajoutant que cela pourrait monter à "5 euros dans les villes de plus de 500.000 habitants et 10 euros maximum pour les poids lourds". "Les lois Grenelle ont déjà autorisé le péage urbain il y a une dizaine d'années mais elles n'avaient pas prévu les conditions, ce qui fait que les élus intéressés in fine n'ont pas pu le mettre en place", a-t-il également rappelé. "Jusqu'à présent, il n'y avait pas de cadre clair, de plafond. C'est la première fois depuis 1982, ce n'est pas tous les jours, que l'on fait une loi d'orientation sur les transports en France. Il y aura énormément de mesures."

Discrétion des grandes villes

Parmi les grandes villes, Marseille et Lyon restent discrètes. Paris "ne ferme pas la porte" mais exige que "ce péage se fasse avec l'accord de toutes les communes concernées, qu'il ne soit pas discriminant pour les ménages modestes". "On n'est pas demandeur, mais si un péage devait voir le jour cela sera sous conditions" et "pas aux portes de Paris", résume la municipalité pour laquelle il est "hors de question d'un péage urbain à 20 euros comme à Londres". "Plutôt qu'un péage urbain, nous attendons du gouvernement la suppression du péage autoroutier qui envoie des camions en coeur de ville", a réagi la métropole de Nice, dont la réduction prochaine de 20% du trafic sera rendue possible par l'extension du tramway.
"Les collectivités devront étudier les impacts en matière de qualité de l'air, de congestion (...), solliciter l'avis des communes concernées, réaliser une campagne d'information", précise le ministère des Transports. "Il sera prévu la possibilité de tarifs réduits ou la gratuité pour tenir compte de la situation particulière de certains usagers, comme les résidents ou travailleurs vulnérables, ou encore de la performance environnementale du mode de transport", détaille-t-il.
"Il ne faut pas prendre les gens pour des imbéciles, ce n'est pas pour l'environnement", enrage Pierre Chasseray, délégué général de l'association 40 millions d'automobilistes. "Ils ne savent plus quoi inventer pour faire payer les gens". "Il faut des mesures qui aident la population, pas qui la saignent. Peut-être que Le Havre sera intéressé", ironise-t-il encore avant de lancer une pétition contre la mesure.

Stockholm et Londres scrutés en détail

Sur BFMTV, François de Rugy est revenu sur l'exemple de Stockholm, une ville pionnière en la matière puisque la phase de tests a commencé en janvier 2006. "Les Suédois l'ont validé (1er août 2007, NDLR) et il y a même eu un référendum, mais au bout de plusieurs années. Ce qui est assez intelligent d'ailleurs puisque les Suédois avaient le choix. Ils ont obtenu des résultats", a-t-il enfin assuré.
L'exemple de Stockholm - et celui de Londres – a justement été étudié par Fabienne Keller, sénatrice du Bas-Rhin et rapporteure spéciale des crédits du programme "Infrastructure et services de transport" de la mission "Ecologie, développement et mobilité durables", dans le cadre d'un rapport sur "les outils financiers permettant d'optimiser la gestion des flux de transports en milieu urbain" présenté devant la Commission des finances du Sénat ce 17 octobre.
La sénatrice s'est rendue dans ces deux capitales au cours du premier semestre 2018 pour examiner sur le terrain les caractéristiques et surtout les résultats concrets obtenus par leurs "congestion charges" ou tarifs de congestion respectifs. D'emblée, elle insiste en effet sur le choix des termes. "Je suis persuadée que rebaptiser les péages urbains 'contribution anti-congestion' ou 'contribution qualité de l'air' permettrait de beaucoup mieux faire comprendre et accepter ce type d'outils", affirme-t-elle.

Principe du pollueur-payeur 

Il s'agit en effet de lutter contre les nombreuses nuisances engendrées par le trafic routier, qui représente 65% des déplacements dans les grandes agglomérations françaises. Or, les nombreuses "externalités négatives", selon le vocable des économistes, qu'engendre la voiture en ville (pertes de temps dues à la congestion, émissions de dioxyde de carbone qui participent au réchauffement climatique, pollution de l'air responsable de 48.000 décès prématurés en France, accidents de la route, etc.) ne sont actuellement pas prises en compte par le système de prélèvements obligatoires. Selon des calculs réalisés par la direction générale du Trésor, en milieu urbain dense, les coûts provoqués par un véhicule roulant à l'essence ne sont couverts qu'à hauteur de 13% par des prélèvements et ceux d'un véhicule roulant au diesel ne le sont qu'à 7%. "La mise en place de tarifs de congestion obéissant au principe du pollueur payeur et destinées à orienter les usagers vers les transports en commun ou les mobilités actives paraît donc justifiée d'un point de vue économique et pourrait utilement venir compléter les outils non financiers reposant sur des interdictions de circulation telles que les zones à faibles émissions (ZFE)", estime la sénatrice dans son rapport.

Trois conditions à réunir 

Les points communs entre Londres et Stockholm qui ont mis en place, dans les années 2000, des congestion charges destinées à réduire la circulation automobile en centre ville permettent de dresser selon elle un portrait-robot des agglomérations pour lesquelles l'instauration d'un tarif de congestion peut avoir du sens. Trois éléments doivent être réunis. En premier lieu, les deux zones soumises à congestion charge correspondent au centre-ville, voire à l'hyper centre d'une grande métropole et sont l'une comme l'autre très denses en termes de population et riches en activités économiques. "Les comparaisons conduites par la direction générale du Trésor et l'Ademe montrent en effet que la mise en place d'un péage urbain ne constitue un outil pertinent de politique publique que s'il est utilisé dans de grandes agglomérations dont la taille minimale est estimée à 300.000 habitants", ajoute Fabienne Keller. Deuxième point : "ces zones souffraient toutes les deux d'une congestion automobile provoquant retards et pollution atmosphérique, particulièrement dommageables pour l'économie de la ville ainsi que pour la qualité de vie de ses habitants, relève la sénatrice. Enfin, dans les deux cas, ces villes étaient pourvues avant même la mise en service de leur dispositif de péage de réseaux de transports publics très performants à même de fournir une véritable alternative à la voiture individuelle. Ils étaient en outre très utilisés puisque 85% des Londoniens fréquentaient les transports en commun." En outre, à Londres comme à Stockholm, la congestion charge a bénéficié d'un portage politique très fort de la part de la municipalité comme de l'Etat central, souligne-t-elle.

Modalités adaptées aux spécificités locales

 La sénatrice détaille dans son rapport les modalités des tarifs de congestion, "qui peuvent être ajustées de façon très fine pour s'adapter le mieux possible aux caractéristiques locales", note-t-elle. Les technologies utilisées à Londres comme à Stockholm sont très proches – il s'agit dans les deux cas de systèmes de reconnaissance optique automatique des plaques d'immatriculation par des caméras installées sur des bornes qui se trouvent aux différents points d'accès de la zone soumise à péage – et le coût de tels systèmes se situe aujourd'hui à un niveau jugé "raisonnable" (l'investissement initial est de l'ordre de 100 à 150 millions d'euros). Si les horaires de perception sont similaires – en journée, du lundi au vendredi -, Londres pratique un tarif forfaitaire (11,50 livres) alors que Stockholm fait varier le tarif en fonction des heures creuses et des heures pleines pour renforcer le caractère incitatif du dispositif. La capitale britannique a aussi prévu un ensemble d'exonérations alors que Stockholm a opté pour une attitude plus restrictive tout en mettant en place un système de déductibilité d'impôts pour les automobilistes qui gagnent plus de deux heures par jour en prenant leur voiture pour se rendre à leur travail au lieu de prendre les transports en commun, pour ceux qui roulent plus de 3.000 km par an dans le cadre de leur activité professionnelle ainsi que pour les véhicules de société. Dans les deux villes, les résultats obtenus ont été significatifs : baisse de 15% du trafic automobile et de 30% des embouteillages à Londres, diminution du trafic de 20% et du nombre de véhicules entrant dans le centre-ville de 28% à Stockholm, chute des émissions de dioxyde d'azote de 8% et de particules fines PM10 de 7% à Londres, baisse générale des émissions de polluants atmosphériques de 14% à Stockholm, diminution de 40% du nombre d'accidents de la route à Londres.

Fléchage des recettes 

Outre ces résultats visibles par la population, un autre facteur essentiel d'acceptabilité tient au bon usage des recettes du tarif de congestion, souligne Fabienne Keller. Les recettes annuelles de la congestion charge – 185 millions d'euros nets en 2016 à Londres et 87,5 millions d'euros nets en 2015 à Stockholm – ont été prioritairement affectées à l'amélioration des transports en commun voués à accueillir le report le report de trafic engendré par sa mise en place. Mais Stockholm les utilise également de plus en plus pour financer des infrastructures routières, de sorte que les automobilistes puissent également bénéficier de retombées positives, souligne la sénatrice. Au final, relève-t-elle, les congestion charges de Londres et de Stockholm font désormais largement consensus, alors qu'elles étaient très contestées à l'origine. "Ce changement de perception s'explique largement par la qualité de la concertation mise en œuvre en amont de leur instauration, ainsi que par une communication très dynamique des autorités destinées à sensibiliser la population sur les résultats positifs obtenus, tant en matière de décongestion que d'amélioration de la qualité de l'air", conclut la sénatrice.

 

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