Les collectivités territoriales et la protection de leurs attributs : quelles possibilités en droit de la propriété intellectuelle ?
Contexte :
Une collectivité territoriale possède divers attributs, tels que ses domaines — public ou privé —, ainsi que ses emblèmes, armoiries ou blasons. Face à cet ensemble d’éléments identitaires et patrimoniaux, il convient de s’interroger sur la possibilité, pour une personne publique, de les protéger au titre du droit de la propriété intellectuelle, et, le cas échéant, selon quelles modalités.
Réponse :
En vertu de l’article L711-4 du Code de la propriété intellectuelle (ci-après CPI), les collectivités disposent d’un droit particulier sur leur nom et leur image, même sans avoir procédé à un dépôt de marque. Ce droit leur permet de protéger ces éléments vis-à-vis des tiers, sous certaines conditions. En revanche, il ne s’agit pas d’un monopole au sens strict ; les collectivités peuvent pallier les limites du régime spécifique protégeant leurs attributs en déposant des marques auprès des offices compétents.
S’il est reconnu de longue date en jurisprudence cette faculté pour les collectivités d’agir contre les tiers au titre de l’usurpation abusive de leur dénomination (2), force est de constater qu’elles ne disposent pas d’un réel monopole sur leur nom. En effet, le nom des collectivités n’est pas considéré comme un “signe réservé” au sens des sigles officiels et emblèmes de l’Etat (articles L711-3 a) CPI). Toutefois, les collectivités peuvent s’appuyer sur les dispositions du CPI prévoyant que ne peut être adopté comme marque un signe portant atteinte à des droits antérieurs, et notamment au nom, à l’image ou à la renommée d’une dite collectivité (article L711-4 CPI).
En supplément, la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation est venue renforcer la protection des collectivités de deux manières. D’une part, elle leur permet, ainsi qu’aux établissements publics de coopération intercommunale, de demander à l’INPI d’être alertés en cas de dépôt d’une marque contenant leur dénomination ou, pour les conseils régionaux, la collectivité territoriale de Corse et les conseils départementaux, un nom de pays situé sur leur territoire. D’autre part, elle a instauré les indications géographiques protégeant les produits industriels et artisanaux liés à un territoire, interdisant le dépôt de marques portant atteinte à ces indications (3).
Tout l’enjeu de la protection du nom de la collectivité dépendra du risque créé ou non dans l’esprit du public. Si le nom d’une collectivité peut être déposé en tant que marque par la collectivité concernée, il peut également être déposé par toute autre personne justifiant d’un intérêt légitime, dès lors que l’utilisation du nom ne crée aucun risque de confusion avec les activités de la collectivité (4). Dans l’hypothèse inverse, l’atteinte au nom, à l’image ainsi qu’à la renommée de la collectivité serait caractérisée et le dépôt de la marque tierce ne saurait aboutir ou serait annulé (5).
En outre, à la différence du motif de refus “absolu” fait pour les signes réservés, le CPI ouvre droit à un motif que l’on pourrait qualifier de “relatif” pour les signes des collectivités.
Au sujet de l’utilisation commerciale des armoiries de la collectivité, sur des produits mis en vente, s’il est certain que les armoiries familiales, considérées comme des accessoires au nom de familles, sont protégées comme telles, que les armoiries et emblèmes des États et des organisations internationales le sont également. En revanche, une réponse ministérielle de 2007 précise que les armoiries communales, qui ne sont soumises à aucune réglementation particulière, ne bénéficient d’aucune protection (6). La réponse reprend également un arrêt du Conseil d’Etat en date du 7 mars 1990 (7) qui valide l’utilisation des armoiries d’une ville sur les tracts et bulletins de vote de candidats aux élections municipales. Il est donc possible de reproduire les armoiries d’une ville, de même que tout autre emblème ou image s’y rapportant et ce, même à des fins commerciales.
Sur les biens de son domaine public, il est classique pour une collectivité de se demander si celle-ci jouit d’un droit de propriété sur l’image de ceux-ci. La jurisprudence a ainsi construit les réponses à cette question. Sur les biens du domaine public, le Conseil d’Etat a estimé, dans un arrêt d’Assemblée du 13 avril 2018 (8), que ne faisaient pas l’objet d’un droit de propriété au profit des personnes publiques l’image des bâtiments publics, mais également que leur usage devait rester libre même lorsque celui-ci était réalisé à des fins commerciales. Il a notamment considéré en premier lieu que les personnes publiques ne disposaient pas d’un “droit exclusif” sur l’image des biens qui leur appartiennent, faisant alors obstacle à ce que l’image constitue une dépendance au domaine public, et en second lieu, que la prise de vue en tant que telle ou que l’utilisation à des fins commerciales desdites images ne pouvaient être regardées comme un usage privatif du domaine public justifiant une autorisation préalable ainsi que la perception d’une redevance. En outre, si la personne publique ne dispose pas du droit de s’opposer à l’exploitation de l’image des biens appartenant à son domaine public, elle pourrait cependant demander réparation du préjudice éventuellement subi si cette utilisation lui a causé un trouble anormal. Pour rappel également, la loi du 7 juillet 2016 (9) vient soumettre l’exploitation commerciale de l’image de certains domaines nationaux à l’autorisation du gestionnaire dudit domaine et, le cas échéant, au paiement d’une redevance.
Enfin, sur les biens de son domaine privé, la règle est la même, posée par la jurisprudence de la Cour de cassation dès 2004. En ce sens, dans un arrêt du 7 mai 2004 (10), la Cour énonce que le propriétaire d’une chose ne dispose pas, sur celle-ci, d’un droit exclusif sur son image. La règle est, ici aussi, nuancée, car la Cour admet que le propriétaire puisse s’opposer à l’utilisation de l’image par un tiers lorsque celle-ci lui cause un trouble anormal pouvant être constitué, par exemple, par une atteinte à la vie privée (11).
Sources :
(1) Code de la propriété intellectuelle (CPI) : article L711-4, articles L711-3 a) ; (2) Conseil d’Etat, 16 août 1862, Rec. 1862, p.679 ; (3) Réponse ministérielle “Protection du nom des communes” à la question écrite n°12776, publiée le 8 janvier 2015 ; (4) CA Versailles, 13 septembre 2007, n°06/03071 : JurisData n°2007-346646 ; (5) CA Paris, pôle 5 chambre 1, 26 juin 2018, n°17/06317 ; (6) RM publiée au Journal Officiel le 23 janvier 2007 au, question écrite n°108769 ; (7) CE, 25 septembre 2007, Élections municipales d’Ostwald ; (8) CE, Ass. 13 avril 2018, Etablissement public du domaine national de Chambord, req. n°397047 ; (9) Loi n°2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine ; (10) Cass. 7 mai 2004, Société Hôtel de Girancourt, n°02.10450 ; (11) Voir pour l’exemple, rejetant une telle atteinte : CA Paris, 27 mars 2019, Maison des rochers, n°18/04947 ; (ex) TA Orléans, 24 septembre 2025, n°2102661
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