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Les transports publics, le syndrome du bon élève ?

À l’occasion d’un colloque organisé le 1er mars dernier, plusieurs membres de l’Union des transports publics et ferroviaires ont déploré que les transports publics, pourtant "fers de lance de la mobilité durable et intelligente", soient ignorés des pouvoirs publics, et singulièrement des projets de texte proposés par la Commission européenne. Dans une vidéo introductive, Jean-Baptiste Djebarri a annoncé le lancement d’un nouvel appel à projets pour soutenir l’électrification des poids lourds et des bus.

Les transports publics, "oubliés de la transition écologique" ? C’est le sentiment exprimé par Marie-Ange Debon, présidente de l’Union des transports publics et ferroviaires (UTP), en conclusion d’un colloque organisé par l’organisation le 1er mars dernier. Certes, la présidente du directoire de Keolis concède qu’en France le 4e appel à projets "a mis de l’huile dans les rouages" ("162 projets soutenus, avec au total 900 millions d’euros d’aides", a précisé le ministre Jean-Baptiste Djebarri dans une vidéo introductive). Mais elle relève que "le secteur sort affaibli de la crise du Covid". Les projets de textes de la Commission — paquet Fit for 55 et paquet Mobilité verte —sont également accusés d’ignorer la profession.

"Efforts publics insuffisants"…

Un sentiment partagé par Jean-Baptiste Eyméoud, président d’Alstom France, qui réclame "un choc pour reconnaître qu’il n’y a pas d’alternative" et met en avant le fait que "même si l’on figure déjà parmi les plus vertueux, on continue d’innover et d’investir". Ou encore par Marc Delayer, vice-président de l’UTP et directeur général des Transports publics du Choletais, qui regrette que Bruxelles n’ait pas profité de sa stratégie de mobilité durable et intelligente pour fixer "des objectifs chiffrés et ambitieux de développement des transports publics urbains", alors qu’ils constituent "un levier formidable pour lutter contre le changement climatique". L’élu le déplore d’autant plus qu’à "environ 100 mois d’ici l’objectif de réduction de 55% des émissions de GES (par rapport à 1990) et 10.000 jours de l’objectif de neutralité climatique fixés par la loi Climat" – décompte tenu par Herald Ruijters, de la DG Move – "le secteur des transports est le seul qui n’a pas réduit ses émissions". "Le contrat n’est pas rempli. Les efforts publics sont insuffisants. Ils n’ont pas été mis là où c’était nécessaire", conclut sans détour Karima Delli, présidente de la commission Transports du Parlement européen.

… mais quelques "bonnes nouvelles"

Pour autant, quelques "bonnes nouvelles" ont été recensées, notamment par Thierry Mallet, à la tête de Transdev. "Première bonne nouvelle, les transitions climatique et numérique se rejoignent désormais", salue-t-il. "Autre très bonne nouvelle, on va s’occuper des mobilités du quotidien, qui représentent 70% des émissions – 10% en milieu rural, 60% en milieu urbain –, plutôt que de la mobilité transfrontalière", se réjouit-il encore. Herald Ruijters, lui, s’est employé à défendre le travail accompli par la Commission. Évoquant notamment les projets de révision des règlements Afir et RTE-T, il met ainsi en relief "le pas énorme" que constitue selon lui le fait "de prescrire des seuils minimum aussi bien au niveau de la flotte que de la distribution géographique des infrastructures partout en Europe". Il souligne encore que la refonte du RTE-T prescrite "brise un autre tabou", en rendant obligatoire pour les 424 nœuds urbains la mise en œuvre des plans de mobilité urbaine durable, et les indicateurs idoines. "C’est une révolution pour le Conseil. On ne laisse plus le choix, y compris pour le dernier kilomètre", insiste-t-il, déplorant qu’"encore trop de villes n’ont pas encore suffisamment réfléchi à la mise en place de la multimodalité". Et côté investissements, le fonctionnaire bruxellois relève que le "cadre financier est plus large que jamais", évoquant notamment l’accord conclu début janvier entre la Commission et la Caisse des Dépôts qui permet à cette dernière d’apporter un soutien au financement de bornes de recharges et de stations d’approvisionnement en hydrogène sur les réseaux routier, fluvial et maritime, et ce "en priorité aux collectivités et aux entreprises de transport titulaires de délégation de service public".

L’autosolisme, ennemi affaibli par la crise énergétique

Naturellement, on a également sonné la charge contre l’autosolisme – "même électrique", estime Marc Delayer –, même si l’on sait qu’il faudra encore composer avec la voiture. "Elle reste essentielle, mais il faut l’utiliser autrement", explique Michel Neugnot. "Il ne faut pas opposer les moyens de transport les uns aux autres, que ce soit pour les voyageurs ou le fret", plaide-t-il encore, évoquant "une complémentarité nécessaire" et insistant par ailleurs sur la nécessité "de ne pas vendre du rêve partout". "En grande couronne, le véhicule individuel reste indispensable", confirme Sylvie Charles, vice-présidente de l’UTP et DG de SNCF Transilien. Reste que la crise énergétique – d’autant plus aiguë compte tenu des relations avec la Russie – risque de bouleverser la donne. "L’enjeu de disposer d’une alternative à la voiture n’est plus seulement écologique, mais est désormais un enjeu de pouvoir d’achat", souligne Thierry Mallet, appuyé par le député Damien Pichereau.

Aides à l’électrification des cars et bus

Pour favoriser le basculement, Sylvie Charles insiste sur "la nécessité de développer une offre de qualité", en formant le vœu que la "concurrence soit l’occasion de renforcer" cette dernière. Si elle attend davantage d’investissements dans les infrastructures, elle plaide également pour l’aide au verdissement des flottes, notamment via l’acquisition de nouveaux matériels ou le retrofit. Un appel semble-t-il entendu puisque Jean-Baptiste Djebarri a annoncé le lancement "dans les prochains jours" d’un nouvel appel à projets au soutien de l’électrification des véhicules, "avec une aide jusqu’à 150.000 euros de l’État pour l’achat d’un poids lourd électrique et jusqu’à 100.000 euros pour un bus ou un car électrique". Sylvie Charles a également insisté sur le "besoin d’une feuille de route claire, notamment sur le biogaz", qui reste ignoré de la Commission, comme l’a déploré Guy Le Bras, du Groupement des autorités responsables de transport (Gart). Cette fois, l’appel restera sans doute lettre morte. Karima Delli n’a laissé guère d’espoir sur un éventuel changement de doctrine, plaidant plutôt "pour un plan B" pour aider financièrement ceux qui ont misé sur cette énergie à se diriger "vers un nouveau mix énergétique". Michel Neugnot insiste, lui, sur le fait que "tout commence par la qualité du réseau". Mais il relève que "la France est en retard dans trois domaines : l’ERTMS [le système européen de gestion du trafic ferroviaire], l’automatisation des aiguillages et la 5G".

Le Maas, une cerise…

Un réseau 5G qui devient essentiel pour le développement du Maas, auquel une table-ronde était consacrée. Si des échanges a pu se dégager "un consensus sur l’importance de la donnée, je ne suis pas sûr qu’il aille au-delà", synthétise Marie-Ange Debon. Elle met néanmoins en avant "le vrai fort besoin d’interopérabilité, de standardisation de la donnée", d’autant plus grand que, de l’avis de Marie-Claude Dupuis, vice-président de l’UTP et directrice Stratégie, développement durable et immobilier du groupe RATP, "un Maas multimodal européen paraît inatteignable". Thierry Mallet insiste lui sur la nécessité de "se focaliser les conditions d’ouverture et de réutilisation des données", qui "doivent contribuer à l’organisation des mobilités, et non à leur désorganisation".  L’impérialisme des Gafa est ici particulièrement visé, Florian Maitre, vice-président du Gart et de la communauté d’agglomération Grand Lac, redoutant notamment un "moissonnage" des données. Le message semble reçu par la Commission : "Il faudra renforcer la LOM [loi d'orientation des mobilités], qui a très bien placé les jalons entre opérateurs et intermédiaires et se garder de reproduire les erreurs commises dans l’aérien", indique Harold Ruijters. Celui-ci se dit également favorable à une "approche phasée". "Pourquoi pas une directive plutôt qu’un règlement pour commencer ?", suggère d’ailleurs Marie-Claude Dupuis, craignant qu’un règlement ne soit "trop ambitieux alors que les Maas cherchent encore leur modèle économique".

… qui nécessite un gâteau

Reste que si le Maas est un moyen de "lever les freins à la multimodalité" en permettant "un accès aisé aux services", estime Damien Pichereau – pour lequel "l’offre ne suffit pas" –, il ne saurait faire figure de panacée. "Le Maas rend l’offre plus lisible… si l’offre existe", rappelle Thierry Mallet. Cristina Pronello, professeur à l’école polytechnique de Turin, va plus loin encore, en remettant au cœur du sujet "le grand absent des débats, l’être humain". L’experte enseigne que l’usager n’aime ni changer ses habitudes, ni changer de mode de transport et prévient que si "le consommateur veut avoir l’information, cela ne signifie pas qu’il va l’utiliser". Et d’insister in fine sur le fait qu’il "choisit son mode de transport en fonction d’un très grand nombre de variables", dont les principales sont "le confort, la qualité, la ponctualité et la sécurité".

 

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