L'espace de données territorial, un second souffle pour l'open data ?

Dans le contexte géopolitique et budgétaire actuel, l'open data montre certaines limites. Le modèle économique autour de l'économie de la (géo)donnée était au cœur d'une table ronde organisée aux Géodatadays de Marseille. L'occasion de présenter le concept de "data space" qui pourrait contribuer à démultiplier les échanges de données tout en évitant le pillage .

Si la France peut se targuer d'être championne de l'ouverture des données – IGN en tête avec une ouverture de l'ensemble de ses productions - la stratégie d'ouverture tous azimuts montre clairement ses limites. C'est plus particulièrement le cas pour les géodatas, dont une bonne partie est produite par les collectivités. S'il n'est pas question de revenir sur l'ouverture des données, c'est plus la question de "l'open bar" à l'heure de la nouvelle donne géopolitique qui a été débattue à Marseille lors des Géodatadays qui se sont tenus mi-septembre 2025.

Des données coûteuses à produire

"La gratuité laisse croire que la donnée n'a pas de valeur alors qu'une donnée ça coûte cher à produire", souligne Antoine Barrau, en charge de projets sur l'agriculture au Cnes (Centre national d'études spatiales). Bertrand Monthubert, président du Conseil national de l'information géolocalisée (Cnig) et du GIP Ekitia ajoute que "les coûts de production et de mise à jour augmentent alors que le budget des infrastructures destinées à les produire n'augmente pas ou peu". Face à ces coûts de production, les collectivités sont obligées de mutualiser. La région Sud s'est par exemple associée à six départements et à la métropole Aix-Marseille pour établir la maquette orthophoto nécessaire à la création du jumeau numérique de leur territoire. Enfin, des données gratuites comme celles de Copernicus - données satellitaires sur les terres, les océans et l'atmosphère - "profitent avant tout aux Américains et aux Chinois", observe Bertrand Monthubert.

L'accès aux données privées indispensable

S'ajoute à cela le fait que l'open data ne suffit pas. "80% des données nécessaires aujourd'hui à toutes les problématiques, y compris pour les politiques publiques, sont des données qui viennent du privé", affirme Audrey Gortana-Vallet, directrice du programme TechSprint à la Caisse des Dépôts. Beaucoup de données d'opérateurs de services publics, des opérateurs télécoms, du secteur agricole ou d'entreprises impactant les territoires ne sont par exemple pas en open data. Aujourd'hui, les collectivités sont obligées de les acheter, en se regroupant "car la plupart des communes n'ont pas les moyens", souligne Françoise Bruneteaux, conseille régionale de la région Sud. À l'heure des restrictions budgétaires et des besoins exponentiels en données de l'IA, un nouveau modèle paraît nécessaire, ne serait-ce que pour pérenniser l'offre gratuite.

L'Europe revisite le partage des données

Et la solution pourrait bien venir de l'Europe qui vient de finaliser la mise en place d'un nouveau cadre avec le Data Governance Act et le Data Act (voir notre article du 15 septembre 2025) . "C'est un cadre de confiance souverain qui vise à 'dérisquer' le partage massif de la donnée entre acteurs publics et acteurs privés", indique Audrey Gortana-Vallet. "Et il va nous permettre de valoriser certaines données", ajoute Françoise Bruneteaux. En pratique, l'Europe instaure des espaces de données européens (data spaces) et crée le statut d'intermédiaire de la donnée. Les premiers sont des écosystèmes sectoriels fédérés permettant le partage sécurisé de données protégées ou personnelles. Quatorze espaces de données ont été définis comprenant l'énergie, la mobilité, le pacte vert, l'agriculture ou encore le patrimoine et le tourisme… L'association européenne GAIA-X définit les standards techniques et organisationnels pour garantir la souveraineté et l'interopérabilité de ces infrastructures.

Parallèlement sont mis en place des prestataires d'intermédiation de la donnée (PSID), des tiers de confiance neutres qui facilitent les échanges de données au sein de ces espaces. En octobre, 26 PSID avaient été notifiés à l'Europe, dont 9 établis en France. Parmi eux, M-iTrust et Hub One DataTrust viennent d'obtenir le label de confiance de l'Arcep.

Vers des data spaces territoriaux ? 

Si ces espaces doivent être interopérables pour que la donnée circule, ils ont vocation à fonctionner de manière décentralisée. C'est ainsi que la Caisse des Dépôts contribue, via le programme Techsprint, à la création d'un data space national, centré sur la transition écologique. "L'objectif est de réussir à répartir la valeur de manière équitable entre les acteurs publics et privés", explique Audrey Gortana-Vallet, avec l'idée de créer un "notaire virtuel qui va gérer la sécurité, la gestion des droits et des habilitations".

Bertrand Monthubert entend pour sa part décliner le concept à l'échelle régionale en créant "un data space territorial multisectoriel", porté par Ekitia. Le projet, qui associe une vingtaine d'acteurs locaux (publics, privés, académiques), a identifié des thèmes comme l'impact de l’environnement sur la santé des habitants, l'optimisation des flux de transports multimodaux décarbonés ou encore un cadastre solaire intégrant les données (personnelles) de consommation. La première étape du projet a consisté à mettre en place un cadre de confiance ainsi qu'une gouvernance partagée, l'objectif du consortium étant de garantir la fiabilité des flux de données plutôt que d'en assurer le stockage. Un modèle dont s'inspire le projet City Orchestra de Rennes que le président du Cnig imagine étendu à tous les centres de ressources en information géographique (Crige).

 

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