Logement social : un remède à la ségrégation… ou un révélateur ?

Un rapport de l'Institut des politiques publiques (IPP), présenté jeudi 26 juin, met en lumière les mécanismes de la ségrégation résidentielle en France métropolitaine. Il décrit la façon dont la répartition des ménages, notamment les plus modestes, s'organise sur le territoire et le rôle, parfois paradoxal, joué par le logement social dans ces dynamiques. Le rapport propose également un nouvel outil, l'IPS Logement, pour mieux comprendre et agir sur ces enjeux cruciaux de cohésion sociale.

Bien que le logement social vise la mixité, il révèle parfois l’inverse : une ségrégation encore bien ancrée. C’est ce que constate une nouvelle étude de l'Institut des politiques publiques (IPP), un centre de recherche rattaché à l'École d'économie de Paris, qui lève le voile sur la façon dont les Français sont répartis dans les villes et les quartiers. Le rapport, fruit d'un travail financé notamment par la Fédération des entreprises sociales pour l’habitat (ESH), montre combien la ségrégation sociale, c'est-à-dire la séparation des habitants selon leur niveau de vie, reste très présente, et que le logement social, malgré ses efforts, joue un rôle parfois ambivalent dans cette dynamique. Pour mieux comprendre et agir, les chercheurs proposent un nouvel outil : l'IPS Logement (indicateur de position sociale pour le logement), une sorte de "score social" pour les habitants et les quartiers.

Concrètement, l'IPS Logement est calculé en prenant les revenus d'activité du ménage et en les divisant par le nombre d'unités de consommation (UC). Ces UC constituent une manière de rendre les revenus de ménages de tailles différentes comparables entre eux, en reconnaissant que vivre à plusieurs coûte moins cher par personne. Par exemple, le premier adulte du ménage compte pour 1 UC, le deuxième pour 0,5 UC, et chaque enfant de moins de 14 ans pour 0,3 UC. Cet IPS Logement, s'il ressemble à l'indicateur utilisé dans l'Éducation nationale pour la mixité scolaire, n'a pas exactement le même but. Son rôle est double : aider les bailleurs sociaux (organismes HLM) à attribuer les logements aux bonnes personnes et guider les décideurs publics pour choisir où construire de nouveaux logements sociaux, dans l'objectif de favoriser plus de mixité.

Pour élaborer cet indicateur, les chercheurs se sont appuyés sur des données très complètes de l'Insee (Fidéli) et du Répertoire des logements locatifs des bailleurs sociaux (RPLS). Le résultat est frappant : en 2022, l'IPS Logement moyen des ménages dans le parc social (13.555 euros) est près de deux fois inférieur à celui du parc privé (25.385 euros). Confirmant, s’il en était besoin, que le logement social accueille bien les ménages aux revenus les plus modestes.

La ségrégation sociale : un constat stable, mais des nuances importantes

Pour mesurer la ségrégation, le rapport utilise un indicateur appelé R2. En termes simples, le R2 mesure à quel point le quartier de résidence d'un ménage permet de "prédire" son niveau social (son IPS). Plus le R2 est élevé, plus les personnes de niveaux sociaux différents sont séparées dans des quartiers distincts, et plus la ségrégation est forte. L'étude se concentre sur une unité géographique fine, le quartier, mais qui correspond à la section cadastrale, pour une analyse précise et comparable partout.

L'étude montre que la ségrégation sociale globale est restée très stable en France métropolitaine entre 2016 et 2022, autour de 16,5%. Cela signifie que 16,5% des différences de niveau social entre les ménages s'expliquent par le quartier où ils habitent.

Cependant, en regardant de plus près, des évolutions différentes apparaissent selon le type de logement. Dans le parc social, la ségrégation de l'IPS a diminué de près de 19% entre 2016 et 2022, ce qui suggère que les politiques publiques visant la mixité dans le logement social ont pu porter leurs fruits. Ensuite, la ségrégation des ménages les plus précaires (ceux avec les plus faibles IPS) est moins forte dans le parc social que dans le parc privé. Néanmoins, certains types de ménages, comme les familles monoparentales, les personnes au chômage ou en préretraite, et les ménages avec une personne à charge, sont paradoxalement plus ségrégués au sein du parc social qu'au sein du parc privé.

La répartition du logement social : un levier essentiel mais inégal

La capacité du logement social à favoriser la mixité dépend fortement de sa présence partout sur le territoire. Or, le rapport montre une réalité inégale : près de 43,5% des communes n'ont aucun logement social dans les zones étudiées, et environ 78,9% des "quartiers" n'abritent aucun logement social. 

En 2022, l'étude constate que le quartier de résidence d'un ménage permet de prédire à 32,8% s'il vit ou non dans un logement social. C'est ce que l'on appelle la ségrégation du parc social. Cette concentration a légèrement diminué entre 2016 et 2022.

En analysant la ségrégation à différentes échelles géographiques, le rapport révèle des points clés pour l'action publique. Ainsi, plus d'un quart de la ségrégation sociale globale (27,2% pour l'IPS) s'explique par des différences entre communes au sein d'une même intercommunalité (EPCI). Cela signifie que même au sein d'une même agglomération, des inégalités de répartition du logement social persistent entre les villes. Le rapport suggère de fait que des obligations de logements sociaux définies au niveau de chaque commune pourraient être plus efficaces pour lutter contre cette ségrégation, plutôt que des règles mutualisées à l'échelle de l'intercommunalité.

Forte concentration dans les "quartiers sensibles" (QPV)

Le rapport confirme une réalité bien connue : le logement social est très concentré dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Dans les EPCI comptant au moins un QPV, près d'un tiers des ménages du parc social résident en QPV, contre à peine 2,8% des ménages du parc privé. Au sein des communes où se trouvent des QPV, le taux de ménages en logement social est près de cinq fois plus élevé dans les QPV eux-mêmes (69,6%) que dans les autres quartiers de ces mêmes communes (14,6%).

Cependant, l'étude montre aussi que des inégalités importantes de distribution du parc social existent en dehors des QPV. Les communes ou les EPCI sans QPV ont un taux de logement social nettement plus faible.

La ségrégation au sein même du parc social

Le rapport examine aussi la mixité à l'intérieur du parc social. La ségrégation de l'IPS des ménages au sein du logement social est comparable à celle du parc privé, mais avec une nuance importante : la ségrégation des ménages les plus modestes est moins forte dans le parc social que dans le privé.

Un constat majeur est que plus de 40% de la ségrégation de l'IPS au sein du parc social s'explique par des différences entre régions ou entre EPCI. C'est une part plus élevée que dans le parc privé. Cela veut dire que les ménages les plus fragiles logés dans le social sont eux-mêmes inégalement répartis entre les grandes zones géographiques (régions, grandes agglomérations). La ségrégation entre communes au sein des EPCI reste également élevée dans le parc social (16,1%).

Pour renforcer la mixité et réduire les inégalités territoriales, il apparaît donc essentiel d'agir sur deux fronts : d'une part, une meilleure répartition géographique des logements sociaux sur tout le territoire, et d'autre part, une plus grande mixité au sein du parc social lui-même, notamment entre les communes d'une même agglomération. Le rapport suggère même d'explorer des pistes comme les "chèques-logement", inspirés du modèle américain, pour aider les ménages les plus fragiles à vivre dans des zones où les prix sont plus élevés.

 

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