Archives

Finances locales - L'optimisation par les budgets annexes sur la sellette

Certaines collectivités ont constitué des budgets annexes par opportunité financière. Les recettes qui s'y trouvent échappent en effet à la contribution au redressement des finances publiques. Certains, comme le député Olivier Dussopt, pointent une source d'iniquités. La prise en compte de ces budgets annexes dans le calcul de la baisse des dotations reste donc un sujet en suspens.

Nul besoin d'être directeur financier d'une collectivité pour le savoir : la diminution des dotations de l'Etat aux communes et intercommunalités est proportionnelle aux recettes réelles de fonctionnement des seuls budgets principaux. Autrement dit, les budgets annexes n'entrent pas en compte, ceux-ci bénéficiant donc d'un régime plus favorable. Pour limiter leur participation aux efforts demandés par l'Etat, des collectivités et des communautés se sont engouffrées dans la brèche. Le directeur général des services d'une communauté de communes de l'Hérault évoquait par exemple ouvertement sa démarche en ce sens lors d'une rencontre à Paris de spécialistes des finances locales en décembre dernier. Les autres qui y ont pensé font preuve de plus de discrétion. Pierre-Olivier Hofer, directeur associé du cabinet Exfilo, croit savoir que ces collectivités "ont des recettes élevées et des services étoffés pour organiser la réflexion". Ce sont "principalement des EPCI", conclut-il. Le député de l'Ardèche, Olivier Dussopt, qui par ailleurs préside l'Association des petites villes de France (APVF), assure que des communes et communautés de petite taille ont elles aussi usé de la ficelle. Lorsque ces collectivités ne disposaient pas en interne de l'expertise suffisante, elles ont fait appel à des cabinets privés. Les experts en finances locales présents sur le marché "ont tous travaillé sur le sujet", indique Laurence Tartour, conseillère à l'APVF. De son côté, Pierre-Olivier Hofer reste flou, déclarant simplement que c'est un sujet qu'il "évoque" avec ses clients.

Des calculs reposant sur l'année n-2

Il y a aussi les collectivités et les EPCI qui ont effleuré l'idée mais n'ont finalement pas franchi le pas. Comme la communauté de communes Cœur de Tarentaise, en Savoie. Son directeur général des services, Dominique Assier, assure que la piste a été étudiée, "au même titre que la mutualisation des services et le transfert de nouvelles charges à l'intercommunalité".
Si des collectivités et EPCI ont bien pratiqué une forme d'optimisation financière par la création de budgets annexes, il ne faut toutefois pas exagérer le phénomène. Les collectivités en cause sont "minoritaires en nombre", selon Olivier Dussopt. Les modalités fixées par le législateur prévoyant que la contribution au redressement des finances publiques est calculée sur les recettes de l'année n-2 ont sans doute freiné certains candidats. Une collectivité qui aurait créé un budget annexe en 2014 pour une mise en place début 2015 ne verra un effet sur le prélèvement qu'en 2017. Avec un tel décalage, la collectivité n'est pas à l'abri d'un changement de législation. Les responsables de la communauté de communes Cœur de Tarentaise l'ont eu à l'esprit. "Une modification des règles par le Parlement pouvait nous faire perdre les avantages de la création du budget annexe, nous laissant seulement les contraintes liées à cette initiative. Cela nous a fait peur", explique Dominique Assier.
En outre, on ne crée par un budget annexe comme on veut et quand on veut. Pour les services publics administratifs, le recours à un budget annexe est exceptionnel et doit être justifié. Le comptable public y veille et, d'ailleurs, "il fait de plus en plus attention", observe Sylvie Jansolin, chargée de mission "finances" à Mairie-conseils, service de la Caisse des Dépôts. Alors, pour éviter que la Direction générale des finances publiques n'émette son veto, "les collectivités invoquent par exemple la volonté de disposer d'une comptabilité analytique afin d'avoir une meilleure connaissance de leurs dépenses et de leurs recettes", indique l'experte.

Ordures ménagères : des choix de financement qui ne sont pas neutres

A l'inverse, il y a des services pour lesquels le budget annexe est presque toujours la règle : il s'agit des services publics industriels et commerciaux. Ils dérogent au principe d'unité budgétaire dès lors qu'il est nécessaire d'établir un prix de revient de la prestation.
Enfin, il existe de nombreux services publics locaux qui ont des recettes propres et pour lesquelles la gestion en budget annexe est une faculté. Il en va ainsi de la location de locaux aux entreprises, ou de la gestion d'une salle de spectacle. Dans le cas de la location de locaux, la collectivité peut ainsi, en optant pour un budget annexe, sortir les recettes tirées des loyers de la contribution due à l'Etat. Pour le traitement et la collecte des ordures ménagères, la nature du budget est liée au mode de financement du service : budget annexe dans le cas de la redevance (Reom) ; budget principal, ou budget annexe dans le cas de la taxe (Teom).
"A situation strictement équivalente, une collectivité qui choisit de financer le service des ordures ménagères par la redevance, en budget annexe donc, est avantagée car le montant de cette redevance n'est pas pris en compte pour la minoration de la DGF", décrypte Pierre-Olivier Hofer. "A contrario, une collectivité qui finance ce service par la Teom et qui l'inscrit au budget principal subit un prélèvement plus important". Ce prélèvement devrait être égal à 9,6% de la recette en 2017. On peut ainsi imaginer la tentation pour une collectivité finançant les ordures ménagères par la Teom de choisir de travailler avec un budget annexe. Cette option laissée à sa libre appréciation lui permet de "récupérer" près d'un dixième de ses recettes.
Jouant avec les règles, certaines collectivités ont constitué une multitude de budgets annexes pour les services publics locaux, quand d'autres en ont très peu. L'absence de prise en compte de ces budgets pose donc une question d'équité entre collectivités. D'autant que les économies réalisées par les uns se traduisent automatiquement par un alourdissement du tribut payé par les autres.

Une connaissance très floue des budgets annexes

Pour Olivier Dussopt, la réponse à cette situation consiste à intégrer les recettes réelles de fonctionnement des budgets annexes des services publics administratifs dans le calcul de la contribution au redressement des finances publiques. Les services publics à caractère industriel et commercial resteraient exclus, afin de "ne pas interférer dans les choix de gestion des collectivités locales".
Mais cela en vaut-il la chandelle ? Il faut en effet se rappeler que le poids des budgets annexes des services publics administratifs est négligeable par rapport à celui des services publics industriels et commerciaux. "L'objectif n'est pas de parvenir à une révolution en terme de masse", répond le président de l'APVF. Pour qui il importe d'arriver avant tout à "un recensement qui soit le plus complet et précis possible" en vue du calcul de la contribution due par les collectivités.
Le 9 novembre, à l'Assemblée nationale, le député-maire d'Annonay a cru toucher au but lorsqu'une majorité de ses collègues ont voté en faveur de son amendement au projet de loi de finances pour 2016 qui actait la prise en compte des budgets annexes des services publics administratifs pour le calcul de la contribution due en 2017. Mais c'était contre la volonté du gouvernement. Lequel, le 13 novembre, a convaincu les députés de faire machine arrière par un vote en seconde délibération. L'exécutif a invoqué la difficulté de recenser précisément les budgets annexes. Pour Olivier Dussopt, l'obstacle n'est pas insurmontable. Mais il ajoute reconnaître une "vraie difficulté" : il s'agira de parvenir à l'agrégation des données des budgets annexes et des budgets principaux, qui ne sont pas toujours régis par la même nomenclature budgétaire et comptable.

La prise en compte des budgets annexes bientôt à l'étude ?

La prise en compte des budgets annexes n'est pas une piste complètement abandonnée. Dans le cadre des travaux de réflexion sur les ajustements de la réforme de la DGF qui débutent, les parlementaires et le gouvernement doivent aborder le sujet. Il devrait être notamment question du périmètre des budgets annexes à prendre en compte pour le calcul de la contribution au redressement des finances publiques. Un périmètre que le secrétaire d'Etat au budget, Christian Eckert souhaite constitué sur la base du principe de "sélectivité". Logique : Bercy encourage la création de budgets annexes pour prendre en compte certaines spécificités. Comme celle des communes forestières, dont la réduction des dotations s'accroît dès que les recettes issues de la vente du bois augmentent. A ces collectivités, Bercy conseille sans détours de créer des budgets annexes "forêts". "Cette solution constitue une vraie incitation à l'investissement et à une gestion durable de la ressource forestière", indiquait en septembre le ministère dans des réponses écrites à des parlementaires (question écrite n° 17307 du sénateur Alain Houpert et question n° 82660 du député Martial Saddier).
Si les réflexions des parlementaires et du gouvernement devaient déboucher sur une mesure dans la loi de finances pour 2017, celle-ci s'appliquerait en 2017, soit la quatrième et dernière année de baisse des dotations programmée par l'exécutif.

 

Voir aussi

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis