Marc Dufumier, président d'AgriParis Seine : "Les collectivités ont un rôle à jouer pour encourager l'agriculture biologique"
Organisées à l'initiative d'AgriParis Seine, les premières Assises de la restauration collective durable qui se sont tenues mardi 13 mai à l'hôtel de ville de Paris ont rassemblé plus de 300 participants. Un succès pour son président, Marc Dufumier, agronome, enseignant chercheur, professeur honoraire à AgroParisTech. Pour Localtis, il revient sur les ambitions d'AgriParis Seine : "proposer un nouveau modèle résilient d'agriculture à l'échelle du bassin versant de la Seine" et structurer des filières d'approvisionnement en produits biologiques et durables issus de circuits de proximité pour les proposer aux 600.000 convives que comptent les sept collectivités territoriales membres.

© Laura Jouaux/ Marc Dufumier
Localtis - Pouvez-vous tout d'abord, pour celles et ceux qui ne vous connaissent pas, rappeler ce que fait AgriParis Seine ?
Marc Dufumier - AgriParis Seine est une association de coopération territoriale qui fédère aujourd'hui sept entités : la communauté urbaine Le Havre Seine métropole, la Métropole Rouen Normandie, la ville de Paris, la Métropole du Grand Paris, le département de la Seine-Saint-Denis, Eau de Paris et le PETR du Nord de l'Yonne. Elle concerne 373 communes et environ 8 millions d'habitants, ce qui représente environ 600.000 convives à nourrir chaque jour en restauration collective publique. Elle a été créée le 7 juillet 2023, elle a donc moins de deux ans, nous sommes encore tout jeune. Par ailleurs, l'association est en phase de démarrage du programme Territoires nourriciers de la Banque des Territoires. Nous structurons les filières agricoles pour permettre d'approvisionner en produits biologiques, durables et de proximité les cantines. En se fédérant, en mutualisant nos moyens, nous surmontons les grosses difficultés de logistique. AgriParis Seine se pose aussi en intermédiaire entre les acteurs qui cherchent les produits et ceux qui les produisent. Il s'agit d'essayer de garantir aux agricultrices et aux agriculteurs concernés un marché relativement stable. Ces hommes et ces femmes mettent en œuvre localement des systèmes de culture et d'élevage relevant de l'agroécologie, intensifs en emplois.
Qu'entendez-vous par "intensifs en emplois" ?
Leur travail a pour effet de fournir des aliments de haute qualité nutritionnelle mais il permet aussi d'assurer une protection durable de l'environnement : pas de pollutions chimiques, pas d'érosion des sols, moins d'émissions de gaz à effet de serre et préservation de la biodiversité. Ces formes d'agricultures, plus artisanales, sont souvent exigeantes en travail et peuvent créer des emplois.
AgriParis Seine semble porter une attention toute particulière aux jeunes usagers des cantines scolaires…
Oui car c'est à cet âge-là que souvent se développent les mécanismes qui peuvent être à l’origine de cancers prématurés à force d'expositions répétées et quotidiennes à des perturbateurs endocriniens ou développer une antibiorésistance à force de consommer de la viande d'animaux soignés à titre préventif avec des antibiotiques. C'est pour cette raison que nous mettons un point d'honneur à ne pas exposer les jeunes dans les cantines à ces perturbateurs et antibiotiques et que nous souhaitons leur proposer des produits bio, locaux et de haute qualité nutritionnelle. Il faut savoir aussi par exemple qu'une tomate provenant d'un circuit-court a conservé toutes ses qualités : tous ses polyphénols et antioxydants, quand celle qui a voyagé longtemps les a perdus.
Quel rôle particulier joue Eau de Paris au sein du collectif ?
La qualité de l'eau est aussi au centre de nos préoccupations. Eau de Paris travaille donc à la prévention à la source des pollutions pour améliorer la qualité de l'eau potable. Eau de Paris travaille avec les agriculteurs et agricultrices situés sur les aires de captage (5.200) pour les accompagner vers une réduction du recours aux pesticides. Elle paie le surcroit de travail des agriculteurs et ce qu'on appelle "le coût de l'occasion perdue" ou les "paiements pour services environnementaux" (PSE). Ce dispositif incite les agriculteurs et agricultrices à s'engager à réduire, voire supprimer l'usage d’engrais et de pesticides, à adopter des modes de culture durables et/ou biologiques ou encore à cultiver davantage de prairies. En échange, Eau de Paris les accompagne, leur fournit un conseil technique et leur apporte un appui financier (entre 150 et 450 euros par hectare). Le projet bénéficie d'un budget de 47 millions d'euros sur 10 ans et est financé à 80% par l'Agence de l'eau Seine-Normandie.
Quelles sont les principales difficultés ?
Elles sont principalement logistiques. Aujourd'hui, l'essentiel des produits est acheminé par la route. AgriParis Seine permet aux membres de s'associer et de se structurer pour limiter les coûts de transport et de stockage aussi. Pour les derniers kilomètres, le vélo cargo est parfois utilisé. On pourrait imaginer qu'à l'avenir le véhicule soit la Seine mais nous n'y sommes pas encore.
Le modèle d'AgriParis Seine pourrait-il être duplicable ?
Ce qui est sûr c'est que notre modèle suscite de l'intérêt. Le modèle du bassin versant me semble être un modèle très astucieux car très complémentaire entre les différents territoires d'AgriParis Seine. Les territoires normands apportent la production de lait, fromage, herbages bio, Le Havre Seine Métropole une diversité de productions comme l'élevage bovin, les grandes cultures céréalières et le maraichage, l'Yonne pour la production d'oléagineux, la métropole de Rouen Normandie pour la polyculture et l'élevage, etc. La logique de bassin versant est vraiment intéressante – on pourrait imaginer quelque chose de semblable autour du bassin de l'Adour, au sud-ouest du bassin de la Garonne, par exemple – mais le bassin versant n'est pas l'unique modèle, d'autres organisations peuvent s'envisager. L'idée serait que les fermes elles-mêmes créent des emplois pour développer une agriculture diversifiée ce qui donnerait une plus grande résilience.
Effectivement, les agricultrices et agriculteurs en bio ont vu la commande baisser ces derniers temps…
Malgré les différentes sensibilités politiques représentées au sein de ParisAgri Seine, il y a unanimité sur le cahier des charges. Une volonté de proposer de bons produits, donner aux agriculteurs l'assurance d'un marché économique stable. Il y a une demande croissante de la société civile, le mouvement s'élargit…même si, en effet, la période du Covid, la guerre en Ukraine, ont fragilisé ce mouvement et créée beaucoup d'incertitude chez les agriculteurs. Ce qui est sûr, c'est que la commande publique en bio des collectivités territoriales les rassure.
Aujourd'hui, il y a une prise de conscience qu'on ne peut plus continuer comme avant, que l'agriculture intensive en produits chimiques est suicidaire. Il faudrait que la Politique agricole commune (PAC) cesse de subventionner l'agriculture à l'hectare et rémunère plutôt le travail. En attendant, les collectivités territoriales l'ont compris en finançant un service environnemental et en prenant en compte le coût des opportunités perdues : elles ont un rôle à jouer.