Marchés publics réservés : est-il possible de déroger aux obligations légales de reprise des personnels ?

Constat :

Afin de favoriser l’inclusion sociale et l’accès à l’emploi des travailleurs handicapés ou défavorisés, les acheteurs publics peuvent avoir recours à la réservation, prévue aux articles L.2113-12 à 14 du code de la commande publique (CCP).

Dans le cas où le marché fait l’objet d’une reprise de l’activité par un nouveau prestataire, celui-ci peut être concerné par une obligation de reprise du personnel, découlant soit de l’application de l’article L.1224-1 du code du travail, soit des dispositions de certaines conventions collectives, qui prévoient des conditions de garantie de l’emploi et de continuité du contrat de travail du personnel en cas de changement de prestataire.

Or, comment appréhender ces obligations et assurer le respect des grands principes de la commande publique ? Dans quels cas la réglementation permet une dérogation à ses obligations de reprise du personnel, et plus spécifiquement, pour un marché public réservé ?

 

 

 

 

 

Réponse :

Lorsque les dispositions des conventions collectives le prévoient, ou que l’article L.1224-1 du code du travail trouve à s’appliquer, la continuité des contrats de travail des salariés affectés au marché faisant l’objet d’un changement de prestataire doit être garantie.

Le pouvoir adjudicateur est alors tenu de communiquer aux candidats le coût de la masse salariale (CE, 19 juin 2011, n°340773) et ce, quand bien même certains candidats ne seraient pas soumis à cette obligation de reprise.

 

Cependant, eu égard à l’activité des entreprises, de type « inclusives », celles-ci peuvent faire l’objet d’une dérogation (1). Par ailleurs, l’obligation de reprise du personnel ne s’appliquera pas, en cas de modification des prestations du marché, réservée ou non, dans son objet ou son lieu d’exécution ou en cas de perte d’identité économique (2).

 

1- Dérogation au cas par cas pour les entreprises dites « inclusives »

La passation d’un marché avec un mécanisme de réservation, tel que prévu par les dispositions des articles L.2113-12 à 14 du CCP, ne permet pas de s’affranchir des règles prévues par les conventions collectives ou celles issues du code du travail. La dérogation à la reprise du personnel s’appuiera donc sur le statut juridique de l’entreprise.

En effet, les obligations ne s’appliquent pas en cas d’affiliation des structures concernées à une convention collective différente. Si l’établissement est affilié à la convention collective du secteur concerné, le reprise du personnel devra s’appliquer.

Ainsi, les établissements et services d'accompagnement par le travail ainsi que les ateliers chantiers inclusions relèvent de leurs propres conventions collectives, ne seront donc pas soumis à l’obligation de reprise du personnel (voir conventions mentionnées en références).

En revanche, concernant le cas des entreprises adaptées et du personnel handicapé qu'elles  emploient, la Cour de cassation a jugé incompatible avec l'application des dispositions de la convention collective nationale des entreprises de propreté, la reprise du personnel en cas de perte d'un marché (Cass. soc. 11-3-2009 n° 07-41.636 FS-PB, Sté GSF Orion c/ R. :  RJS 5/09 n° 477). En effet, revenant sur sa jurisprudence antérieure, le juge judiciaire a considéré que, compte tenu du statut des entreprises adaptées, dont l'un des objectifs prioritaires est de permettre aux personnes handicapées d'exercer une activité professionnelle dans des conditions adaptées à leurs possibilités grâce à l'accompagnement spécifique qu'elles leur proposent, celles-ci ne sont pas soumises à l'égard des salariés non handicapés à la garantie d'emploi  et la poursuite des relations de travail en cas de changement de prestataire dans le secteur concerné (en l’espèce, transport urbain - Cass. soc. 28-2-2018 n° 16-19.450 FS-PB, Sté Défense 2000 courses c/ Sté Fastroad :  RJS 5/18 n° 377).

En conséquence, une entreprise adaptée qui exerce une activité couverte par une convention collective nationale peut être exonérée de l'application des clauses de garantie d'emploi, dès lors que ces activités sont l'accessoire d'une activité principale consistant dans l'emploi de travailleurs majoritairement reconnus handicapés et dans leur accompagnement socio-professionnel (voir Question écrite n° 1115, de Mr. Michel Larive (La France insoumise – Ariège) du 24 juillet 2018, Réponse publiée au JOAN le 1er janvier 2019).

Attention, la réponse ministérielle précitée invite à la prudence et précise que le raisonnement n'est pas une garantie absolue d'exemption, et doit impérativement être mis en œuvre selon une analyse au cas par cas de chaque entreprise concernée.

 

2 -  Lorsque le nouveau marché n’a pas le même objet, ni les mêmes locaux ou la même identité économique

Les dispositions spécifiques prévues par les conventions collectives fixent la condition de reprise des personnels à la condition que marché dévolu au nouveau prestataire ait le même objet, et s’effectue dans les mêmes locaux.

Ainsi, lorsque le juge constate que le pouvoir adjudicateur a modifié les prestations confiées à un nouveau prestataire, et que donc le contrat conclu n'a pas le même objet que celui précédemment conclu avec l'entreprise sortante, il n’existe pas d’obligation de reprise des personnels (Cass. soc. 30-11-2005 n° 03-45.755 F-D, Sté GSF Aries c/ F. ou Cass. soc. 9-3-2022 n° 20-18.563 F-D, Sté Azurial c/ W. ; Cass. soc. 15-6-2022 n° 20-10.285 F-D, Sté Azurial c/ Sté Nettoise ; Cass. soc. 15-6-2022 n° 20-10.286 F-D, Sté Azurial c/ Sté Nettoise).

En dehors des cas d’application des conventions collectives, l’application de l’article L. 1224-1 du code du travail en matière de marchés publics s’attache à la démonstration de l’existence « d’un transfert par un employeur à un autre employeur d’une entité économique autonome, conservant son identité, et dont l’activité est poursuivie et reprise par le nouvel employeur » (CE 07 /01/2015, n°37199).

Une entité économique se définit comme « un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels et incorporels permettant l’exercice d’une activité économique poursuivant un objectif propre » (CE, 1er juin 2011, Bureau Veritas, n° 341323 ; CJUE, 20 novembre 2003, Carlito Abler and Others v Sodexho MM Catering Gesellschaft mbH, aff. C-340/01 ; Cass., soc., 13 mai 2008, n° 07-40.369)

Ainsi, la répartition de l'activité entre plusieurs repreneurs fait perdre à l'entité son identité et exclut donc l'application de l'article L 1224-1 du code du travail.

Quelques illustrations de jurisprudence : dans le cadre d'une redéfinition des missions dévolues et d'une réorganisation de l'ensemble des services antérieurement, en exécution de marchés publics distincts, l'entité économique dont l'association assurait auparavant la gestion a perdu son identité Cass. soc. 23-10-2007 n° 06-45.289 (n° 2187 FS-PB), Benoist c/ Association Courteline :  RJS 1/08 n° 7, Bull. civ. V n° 170 ; suite à la fermeture du service, aucun des moyens nécessaires à l'exploitation de ce service n'avait été repris et l'activité du service avait été répartie entre plusieurs établissements, donc aucune entité économique autonome conservant son identité n'avait été transférée Cass. soc. 3-3-2009 n° 07-45.641 (n° 390 F-D), Sté Clinique Trenel c/ Centre hospitalier de Vienne Lucien Hussel :  RJS 5/09 n° 413.


 

Enfin, dans une décision récente, la Cour de cassation a jugé qu’en l'absence de preuve que l'allotissement d'un marché visait uniquement à empêcher la mise en œuvre des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail, le fait que cet allotissement fasse obstacle au transfert d'une entité économique autonome entre le précédent attributaire et les nouveaux attributaires ne suffisait pas à caractériser une fraude (Cass, 15 octobre 2025, Pourvoi n° 23-19.705).

 

 

Références juridiques :

Article L 1224-1 du code du travail

Articles L.2113-12 à 14 du code de la commande publique

 

Convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966. Mise à jour au 15 septembre 1976.

Convention collective nationale des ateliers et chantiers d'insertion du 31 mars 2011

 

 Question écrite n° 1115, de Mr. Michel Larive (La France insoumise – Ariège) du 24 juillet 2018, Réponse publiée au JOAN le 1er janvier 2019

http://questions.assemblee-nationale.fr/q15/15-11115QE.htm

 

Fiche alliance Villes Emploi : « Les contrats de services avec reprise de personnel », actualisée le 01/02/2024 

https://www.ville-emploi.asso.fr/media/library/images/Recueil-des-fondamentaux-de-la-clause-sociale-d%E2%80%99insertion-Fiche-B2.pdf

 

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