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Mayotte : une circulaire en attendant le projet de loi, reporté

EXCLUSIVITE LOCALTIS - La présentation du projet de loi de "développement accéléré" de Mayotte, rejeté par le conseil départemental de l’île, est reportée sine die. La veille du rejet, ministres de l’Intérieur et des Outre-mer donnaient instruction au préfet de Mayotte de renforcer la lutte contre la délinquance et l’immigration clandestine, en demandant notamment "une stratégie départementale qui mobilise tous les acteurs du continuum de sécurité".

Le projet de loi pour un développement accéléré de Mayotte "sera présenté en conseil des ministres en janvier 2022", annonçait officiellement le ministère des Outre-mer le 21 décembre dernier – Sébastien Lecornu venait alors de le transmettre, pour consultation, au président du conseil départemental de Mayotte. Il n’en sera vraisemblablement rien. Les conseillers départementaux ont en effet rendu un avis défavorable au projet le 13 janvier dernier. Au ministère, qui "prend acte" du vote, on en conclut que les conditions ne sont pas réunies pour une présentation en conseil des ministres. "Elle interviendra au moment politique opportun", indique-t-on à Localtis. Non sans souligner que "des maires et parlementaires se sont montrés bien plus enjoués sur ce projet", article du journal local à l’appui. Composé de 34 articles, le projet de loi s’organise autour de quatre axes : lutte contre l’immigration clandestine, renforcement des droits sociaux, développement accéléré du territoire et modernisation du conseil départemental et des institutions. Dix ans après la départementalisation de Mayotte, il est (était ?) accompagné d’un projet de loi organique qui prévoit "plusieurs dispositions relatives à la modernisation du conseil départemental et à l’affirmation de ses prérogatives régionales" – ce qui semble d’ailleurs avoir semé le trouble.

Au-delà, les contempteurs du projet de loi ordinaire déplorent que les quelque 780 propositions émises par les élus, chefs d’entreprises, responsables associatifs et citoyens consultés au cours de 16 forums soient insuffisamment reprises dans le texte. Parmi elles, le renforcement des moyens des policiers municipaux, particulièrement attendu (v. infra). Ses partisans, qui dénoncent "les postures politiciennes", appellent de leur côté le conseil départemental à réexaminer le projet, à la lumière des autres mesures, réglementaires ou budgétaires, proposées par le gouvernement.

"Une stratégie départementale qui mobilise tous les acteurs du continuum de sécurité"

Parmi elles, figurera peut-être une instruction des ministres de l’Intérieur et des Outre-mer au préfet de Mayotte relative au renforcement de la lutte contre la délinquance et l’immigration clandestine. Datée du 12 janvier, veille du "rejet départemental", elle rappelle en préambule que le gouvernement, "pleinement conscient de la pression migratoire et de l’augmentation des affrontements violents et des agressions commises à l’encontre des citoyens, des élus, des représentants de la force publique et des symboles de la République, a décidé de renforcer encore la stratégie territoriale" en la matière. Les ministres y enjoignent au préfet, et ce "sans tarder", de garantir l’ordre public et d’améliorer le dispositif de prévention et de lutte contre la délinquance de droit commun, de renforcer le dispositif contre l’immigration clandestine, de mener une action "résolue et vigoureuse contre toutes les fraudes qui nourrissent tant les trafics que les filières de l’immigration clandestine"  et de veiller à ce que "les personnes étrangères particulièrement méritantes et souhaitant s’intégrer dans le cadre républicain puissent bénéficier d’un parcours d’intégration". En la matière, le préfet est notamment chargé d’accompagner "en termes d’ingénierie et de logistique l’Office français de l’immigration et de l’intégration dans la préfiguration et l’installation à Mayotte d’une direction territoriale qui devra [sic] être opérationnelle à compter du 1er janvier 2022".

Continuum de sécurité

Dans le détail, le préfet est notamment invité à veiller à ce que la déclinaison de la stratégie nationale de prévention de la délinquance "aboutisse rapidement [à] la signature d’une stratégie départementale" mobilisant "tous les acteurs du continuum de sécurité". Elle devra se fonder sur trois piliers : "la prévention de la délinquance à travers le lien avec les maires […], l’amplification des conventions de coordination entre la police municipale et la gendarmerie nationale, avec un appui aux nouvelles polices municipales pour leur dotation en équipement, et le plan de développement de la vidéoprotection".

Expérimentation en matière de délinquance des mineurs

Afin de "prévenir le ralliement de jeunes mineurs en errance aux bandes violentes", le préfet est par ailleurs chargé d’assurer la coordination de l’expérimentation que les ministres ont "décidé de conduire avec un consortium d’associations, en coordination étroite avec les élus" – évoquant peut-être la prise en charge socio-éducative des mineurs isolés récemment mentionnée dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2022. Contacté, le ministère des Outre-mer n’a malheureusement pas été en mesure d’en préciser les contours.

Comme en métropole (v. notre article), l’attention du préfet est par ailleurs attirée sur la protection des personnes investies d’une mission de service public, les ministres invitant le représentant de l’État, entre autres mesures, à accompagner les victimes en facilitant le dépôt de plainte "avec un accueil spécifique et dédié".

Sentiment d’injustice

Lors du forum Sécurité du dernier congrès des maires, Ahmed Selemani, directeur général des services de la commune de Bouéni (près de 6.200 habitants), était intervenu pour souligner la difficulté pour les autorités locales de faire leur travail dans le contexte mahorais : "Comment une police municipale de quatre personnes peut verbaliser une population informelle, sans papiers ?", interrogeait-il. Le fonctionnaire attirait également l’attention sur les conséquences de ce phénomène : "Quand la population [locale] se fait verbaliser, elle a le sentiment qu’il y a deux poids, deux mesures. ‘Quand c’est une personne en situation irrégulière, on ne fait rien, mais dès qu’il s’agit d’un Français, il est verbalisé’. Cela crée un sentiment d’injustice". Le DGS déplorait encore le "manque de moyens alloués" au territoire, notamment "pour recourir au dispositif prévu par la loi Élan (article 197) permettant au préfet [à Mayotte et en Guyane] de procéder à la destruction des habitats informels sans passer par le juge".