Patrimoine monumental des collectivités : la Cour des comptes sonne le tocsin
Dans un rapport consacré au patrimoine monumental des collectivités, la Cour des comptes estime que le niveau de dépenses est insuffisant pour éviter la dégradation des monuments historiques. Elle prône un meilleur pilotage, de nouveaux usages, voire la cession de ce patrimoine.

© Jean-Marie Clausse CC BY-NC-ND 2.0/Le château de Châteauneuf-en-Auxois
Entre des moyens financiers insuffisants et une complexité administrative et juridique, les collectivités sont confrontées à de fortes difficultés pour sauvegarder leur patrimoine monumental, confirme la Cour des comptes dans un rapport publié ce 17 septembre. Réalisé à partir d'une enquête portant sur 62 collectivités, le rapport rappelle qu'il existe 46.000 monuments historiques à protéger, dont 45% sont propriétés des collectivités, les autres appartenant à l'État (4%) et à des propriétaires privés (51%). De plus, la moitié de ces monuments est située dans des communes de moins de 2.000 habitants. À cela, il faut ajouter la plus grande part des 45.000 églises qui, sans être classées ni inscrites au titre des monuments historiques, font l'objet d'une obligation de préservation.
Depuis 2009, la protection du patrimoine monumental constitue une politique partagée entre l'État et les collectivités territoriales. À ce titre, ces dernières sont responsables de la maîtrise d'ouvrage, de l'entretien, la conservation et la restauration des biens dont elles sont propriétaires. Préalable à toute politique de conservation, la connaissance de l'état sanitaire du patrimoine monumental reste cependant insuffisante, note d'entrée la Cour des comptes, qui plaide pour ouvrir aux collectivités l'accès à la base ministérielle "AgrÉgée" du ministère de la Culture. On sait toutefois qu'un quart des monuments historiques sont en mauvais état ou, plus grave, en situation de péril.
Des dépenses d'entretien "insuffisantes"
Face à ce constat, les moyens existent mais s'érodent. Sur la période 2018-2024, les autorisations d'engagement du programme 175 "patrimoines" du ministère de la Culture, principale source de financement, ont augmenté "de manière continue" pour atteindre 153 millions d'euros. Mais la Cour alerte aujourd'hui : les autorisations d'engagement ont été réduites de 16% dans la loi de finances pour 2025. De leur côté, "les associations d'élus anticipent une réduction des subventions des régions et des départements aux investissements des communes". Cette réduction a déjà commencé : 22% de baisse pour les départements et plus de 20% pour les régions. Si l'on considère que le "reste à charge" pour les communes représente actuellement, en moyenne, 43% du coût des investissements, il y a lieu de s'inquiéter pour l'avenir.
S'ensuit un double constat pessimiste : la Cour juge que l'"obligation de conservation [est] de plus en plus difficilement soutenable sur le plan financier" tout en estimant que les dépenses d'entretien sont "insuffisantes pour éviter une dégradation du patrimoine". Et ce alors que les travaux sur les monuments sont "plus coûteux que dans l'immobilier traditionnel" en raison de choix de matériaux "conformes" à la réalité historique, du recours à des prestataires experts ou de délais résultant du contrôle scientifique et technique. Et aux difficultés financières, il faut ajouter celles liées au manque de disponibilité d'entreprises qualifiées, aux carences en ingénierie des petites communes, à l'"assurabilité" des monuments historiques, et à la "complexité des règles de protection du patrimoine monumental".
Anticiper, mutualiser et simplifier
Pour faire face à ces obstacles, la Cour des comptes propose tout d'abord aux collectivités de faire évoluer leurs modes de pilotage et de gestion. Par exemple en anticipant davantage les avis et prescriptions de l'État – et ce alors que le nombre de recours contre les avis des architectes des bâtiments de France (ABF), qui a augmenté "de manière très significative sur la période 2018 à 2023", "atteste d'un manque de dialogue en amont" – ou en s'engageant dans une démarche de programmation immobilière patrimoniale, non seulement pour connaître l'état sanitaire des monuments, mais aussi pour établir "une vision pluriannuelle partagée des besoins et des dépenses". La mutualisation des ressources techniques à l'échelle d'un territoire ou des échanges réguliers avec le ministère de la Culture et ses services déconcentrés sont autant de pratiques "de bonne gestion à développer", ajoute la Cour.
Plus largement, la Cour juge "nécessaire" de simplifier les procédures afin de concilier protection du patrimoine et missions d'aménagement des collectivités territoriales. À cet égard, elle évoque un "enchevêtrement particulièrement complexe pour les collectivités" et déplore le "déploiement trop lent" de la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP) de 2016 (lire notre article du 11 décembre 2024). Une simplification serait également la bienvenue pour concilier la protection du patrimoine et celle de l'environnement, surtout quand on sait que près du tiers des logements (31,7%) sont situés dans des périmètres de protection, et que dans les centres historiques concernés par des règles de protection, le taux de logements vacants est deux fois plus important qu'ailleurs. Au passage, la Cour demande qu'une formation aux enjeux patrimoniaux soit intégrée au parcours de formation des élus locaux.
Valoriser, partager... ou vendre
Mais bien entendu, rien ne se fera sans moyens supplémentaires. C'est pourquoi, au-delà des leviers juridiques et administratifs, la Cour des comptes incite les collectivités à activer des leviers économiques. Cette valorisation du patrimoine peut notamment passer par son intégration dans "une stratégie économique d'attractivité touristique et de développement local". Pour la Cour, le partage – voire le changement – d'usage des lieux de culte doit en particulier "être facilité". Elle ajoute qu'"en l'absence d'usage partagé et de pratique cultuelle, la question de la désaffectation doit être posée". Parmi les facteurs de réussite des démarches de valorisation, la Cour pointe la "stratégie globale portée par les régions en matière d'attractivité du territoire" ainsi que la capacité à "mobiliser les outils existants en termes d'aménagement et de revitalisation des centres urbains", à commencer par les programmes "Action cœur de ville" et "Petites villes de demain".
Après avoir plaidé pour la valorisation des monuments historiques, la Cour met pourtant en garde : ce modèle économique reste "fragile pour les collectivités territoriales, et non exempt de risques juridiques et financiers", étant donné que "les recettes générées par la fréquentation d'un monument se révèlent [...] toujours insuffisantes pour couvrir les charges de fonctionnement". Elle sort alors une dernière carte de sa manche : la "stratégie de cession", motivée par un manque d'usage ou des coûts d'entretien que les collectivités ne pourraient plus supporter. Dans ce cas, "la cession d'un bien protégé peut s'avérer une condition de sa conservation grâce à l'invention de nouveaux usages par des acteurs publics ou privés". Reste à savoir, après avoir lu ce rapport aux accents alarmistes, s'il existe encore des acteurs publics capables de reprendre le flambeau...