Pollutions industrielles : Amaris réclame plus de moyens pour les collectivités
L’association Amaris a présenté ce 17 octobre les résultats du son programme "Collectivités et pollutions industrielles" qui lui a permis de dresser un diagnostic précis des difficultés auxquelles font face les collectivités en la matière. Alors que les élus sont confrontés à des interpellations croissantes de la part des habitants, les collectivités déplorent le manque de connaissances sur l’exposition des populations et sur les risques sanitaires qu’entraînent ces pollutions, qu’elles soient actuelles ou liées à un passé industriel. Elles réclament plus de moyens pour agir. Dans cette optique, Amaris demande la création d’une instance nationale dédiée aux risques chroniques d’origine industrielle, afin de définir collectivement des orientations et stratégies d’actions et l’organisation du dialogue au niveau local.

© Tusco CC BY-SA 3.0/ La vallée de la chimie sur le territoire de Saint-Fons
Après trois années d’échanges avec une trentaine de collectivités, Amaris, l’association nationale des collectivités pour la maîtrise des pollutions et risques industriels, a présenté ce 17 octobre le rapport de son programme centré sur les difficultés rencontrées par les élus de communes et de métropoles confrontées à des pollutions industrielles, qu’elles soient actuelles ou liées à une activité passée. "Les risques chroniques ne peuvent plus être traités à la marge, estime Alban Bruneau, président d’Amaris. C’est une grave question de santé publique qui suscite l’inquiétude et la mobilisation des citoyens." Mais sur le terrain, les élus interpellés par leurs administrés sont "confrontés à des questions qui dépassent largement leurs moyens d’action", déplore-t-il. D’autant qu’ils font face à un manque de connaissance sur les pollutions, l’absence de données sur les risques d’exposition des populations posant pour Amaris "un véritable problème sanitaire et démocratique".
Des maires dépourvus de moyens
Alors qu’il n’a pas de compétence directe en matière de santé et encore moins d’installations classées, le maire est en première ligne pour protéger les populations en cas d’exposition à une pollution et doit alors mettre en œuvre tous les moyens dont il dispose. Il y a ainsi un "paradoxe", relève l’association, "entre la responsabilité du maire sur sa compétence ‘hygiène et salubrité’ et l’absence de levier pour l’activer. Le maire est donc contraint d’agir sur les cibles (fermetures de jardins potagers, mesures de protection dans les crèches et écoles, etc.) et est complètement dépendant des services de l’État pour agir à la source".
Les contaminations ont en outre des impacts sur les missions des collectivités telles que la distribution de l’eau potable, la protection des milieux, la gestion du foncier et des déchets, etc. "Elles entravent le bon fonctionnement des services publics et la mise en œuvre des politiques locales", souligne le rapport d’Amaris, avec des conséquences qui sont également financières.
"Fardeau des sols pollués"
Deux situations sont fréquemment évoquées par les collectivités, note-t-il. Premier cité, le "fardeau des sols pollués". Alors que la pression foncière, la lutte contre l’artificialisation des sols, la nécessité de renaturer des espaces délaissés conduisent les collectivités à réhabiliter des friches industrielles, "l’identification des sols pollués est aujourd’hui très incomplète, souvent représentée par quelques points sur les cartographies mises à disposition au niveau national, constate le rapport. Pour une collectivité, la réalité peut se décliner, sur des milliers de sites, bien souvent méconnus, et sur lesquels il est nécessaire d’initier des investigations, que seules les grandes métropoles peuvent financer".
Menace sur l'eau potable
Autre sujet d’irritation pour les élus : la menace sur l’eau potable, dont la pollution par les PFAS ou polluants éternels est révélatrice des enjeux dans ce domaine. En 2022, des élus du sud lyonnais et de Savoie ont été informés du fait que l’eau distribuée était contaminée par des substances dont ils n’avaient jamais entendu parler jusqu’alors. "Ce problème se généralise progressivement depuis 3 ans à d’autres territoires et s’accompagne de recommandations, voire d’interdictions, constate le rapport. Les collectivités sont sommées de parer, seules, à l’urgence, puis de mettre en place des plans d’actions pour assurer la continuité du service public." En l’absence de mécanismes de financement adéquats, les collectivités assument une part importante des mesures à mettre en place. Ainsi, la restauration de la qualité de l’eau potable bénéficie d’aides des agences de l’eau, mais la charge financière est assumée majoritairement par les collectivités, pointe le rapport.
De nombreuses autres compétences sont impactées (assainissement, gestion des déchets, agriculture, etc.). Mais la priorisation des actions à engager est impossible à établir car aucune collectivité ne dispose d’une vision globale de l’exposition et des risques potentiels encourus par la population, relève Amaris.
Expérimentation de solutions locales
Malgré ces difficultés, quelques collectivités ont mis en œuvre des solutions à leur échelle, citées dans le rapport. Il peut s’agir de structures dédiées pour établir un lien entre territoire, recherche et habitants (instituts éco-citoyens de Fos-Berre, de la vallée de l’Arve, du département de l’Aude, observatoire local de la santé de Dunkerque…), d’acquisition de données sur des parcelles contaminées (ville de Lille), de biosurveillance de la qualité de l’air (métropole d’Aix-Marseille-Provence), de la stratégie PFAS de la métropole de Lyon, etc.
Amaris milite pour la reconnaissance et le soutien de ces initiatives expérimentées par les territoires tout en plaidant au niveau national pour que la prévention et la lutte contre les pollutions industrielles soit érigée "en priorité politique et sanitaire" et en appelant à la "structuration d’une politique publique globale et transversale". Pour Alban Bruneau, celle-ci doit être "portée par un agenda clair, des moyens à la hauteur des besoins".
Pour la création d'une instance nationale dédiée aux risques industriels
Dans cette perspective, l’association demande la création d’une instance nationale dédiée aux risques chroniques d’origine industrielle. "Cette instance pourrait organiser le dialogue et le travail avec l’ensemble des parties prenantes (État, collectivités, industriels, riverains, experts, agences d’État, associations, représentants du monde de la recherche et de la santé) et permettre ainsi d’établir des liens entre les différents silos de la recherche et de l’expertise scientifique, entre les opérateurs nationaux et les acteurs locaux", détaille-t-elle.
Il faut aussi "engager les moyens financiers pour agir et développer la connaissance", souligne Amaris. À court terme, elle juge nécessaire de "doter les collectivités confrontées à une pollution aux PFAS de l’eau potable". "Lorsque des arrêtés préfectoraux interdisent la consommation de l’eau du robinet, les collectivités concernées doivent pouvoir s’appuyer sur la solidarité nationale pour faire face à ces situations d’urgence, soutient-elle. C’est le cas de nombreuses collectivités ne pouvant disposer de captages pollués par les PFAS".
Pour un fonds de solidarité et de prévention "pollutions santé environnement"
À moyen terme, elle propose de constituer un fonds de solidarité et de prévention "pollutions santé environnement" sur le modèle du fonds de prévention des risques naturels majeurs et du régime CATNAT. Ce fonds national financerait des mesures à engager par les collectivités reconnues "en crise sanitaire", des actions de connaissances, de suivi et de prévention pour pallier les carences réglementaires et techniques.
"Les conditions et mécanismes d’abondement de ce fonds sont à travailler collectivement", précise Amaris, en évoquant plusieurs pistes : taxe sur les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), redevance sur les émissions de substances, fléchage des intérêts des garanties financières, etc. Autre proposition de l’association : "conditionner les aides publiques à un investissement dans la connaissance". Amaris juge insuffisants les moyens consacrés à la recherche sur les risques générés par les innovations industrielles. "Toutes les parties prenantes reconnaissent l’importance de développer la connaissance a priori, pour éviter de faire face à des situations sanitaires catastrophiques dans le futur", souligne-t-elle, évoquant parmi les qui permettraient de booster la recherche en santé-environnement la conditionnalité des aides de l’État ou le principe du 1%.
Faciliter l'accès aux données
Pour mieux prendre en compte les risques sanitaires, l’association préconise à court terme de réaliser un audit sur l’accès aux données "afin d’objectiver les difficultés régulièrement évoquées", et d’améliorer l’interopérabilité des données "pour simplifier leur utilisation". Une commission d’enquête parlementaire sur la situation des collectivités impactées par des pollutions aux PFAS devrait aussi être créée pour "dresser un état des lieux précis de l’impact de cette pollution sur les collectivités et sur leur capacité à exercer leurs compétences", "évaluer les coûts à venir en matière de dépollution" et "identifier les évolutions à apporter au cadre législatif et réglementaire". Les collectivités ayant participé au programme d’Amaris ont aussi exprimé le besoin d’accéder à une expertise compétente sur les questions de santé-environnementale et l’association juge nécessaire de mettre en place un dispositif d’appui technique de l’État pour les accompagner lorsqu’elles sont confrontées à la découverte de pollutions sur leur territoire.
À moyen terme, Amaris préconise d’adapter la surveillance aux spécificités des territoires industriels en systématisant "l’adaptation des suivis aux contextes industriels, présents ou passés", "l’interprétation des mesures afin de déterminer les sources à l’origine des expositions et de s’assurer de la compatibilité des milieux avec les usages constatés" et "la mutualisation de la surveillance environnementale autour des ICPE".
Surveillance épidémiologique à poursuivre dans les bassins industriels
Amaris appelle aussi à poursuivre la surveillance épidémiologique dans les bassins industriels. Une démarche a été engagée par Santé Publique France depuis 2020, sur 52 bassins. "Sur la base des conclusions à venir", l’association appelle à la déployer sur d’autres sites, "même de moins grande envergure". Elle juge aussi nécessaire d’"établir des collaborations avec les professionnels de santé". Fortement plébiscitée dans le cadre du programme "collectivités et pollutions industrielles", la création d’un registre national des cancers a été actée par la loi du 30 juin 2025. "C’est une avancée qu’il faudra compléter car les pathologies à suivre sont nombreuses", souligne le rapport. Il pourrait être "particulièrement intéressant" de prendre en compte les alertes émises par les professionnels de la santé au niveau local, rassemblés au sein des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), note-t-il.
Dernières propositions, visant à "remettre l’autorité de l’État au service d’une construction commune" : "renforcer les moyens des services d’inspection, y compris pour les ICPE soumises à déclaration, afin qu’ils soient suffisamment dotés en effectifs et en compétences" ; "associer pleinement les agences régionales de santé à la prévention des risques industriels", "confier le portage des mesures de surveillance et études (étude d’impact, évaluation des risques sanitaires, etc.) à des organismes indépendants" et "maintenir une vigilance sur les mesures de simplification des procédures administratives pour ne pas perdre de vue l’objectif des politiques de prévention".