Prisons : le ministère de la Justice cherche des entreprises pour donner du travail aux détenus
20.000 mètres carrés de surface sont disponibles dans les prisons pour développer le travail pénitentiaire. Depuis 2022, le ministère de la Justice intensifie ses efforts, via une agence dédiée, pour convaincre les employeurs d’implanter des activités de production en détention.

© CAEK/ Chloé Cahuzac, adjointe au chef du service des politiques et de l’accompagnement vers l’emploi à l’Atigip, Lou-Isadora Anaya, DG de la Lucarne d’Ariane et Julien Fischmeister, représentant de l’OIP
Plus de 1.000 m² à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne), 500 m² au centre de détention de Joux-la-Ville (Yonne), ou encore 200 m² à la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré (Charente-Maritime) : voilà quelques surfaces d’ateliers disponibles pour les employeurs qui voudraient implanter une partie de leur activité en prison. Ces informations sont rassemblées dans une cartographie publiée par l’Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle (Atigip), une entité du ministère de la Justice créée en 2018 (lire notre article) dont la mission est d’augmenter l’accès à l’emploi des détenus et diminuer les risques de récidive.
Adoptée fin 2021, la réforme du travail pénitentiaire a renforcé le statut des détenus qui travaillent en créant un contrat spécifique qui fixe le temps de travail, les missions et la rémunération des détenus et leur accorde de nouveaux droits sociaux (assurance-chômage, retraite…). La réforme "a également permis de pouvoir assurer à l'entreprise le recrutement des personnes avec lesquelles elle souhaitait travailler", rappelle Chloé Cahuzac, cheffe adjointe du service des politiques et de l’accompagnement vers l’emploi de l’Atigip à l’occasion d’une table ronde organisée par l’Association des journalistes de l’information sociale.
Vers plus de postes "qualifiés"
Entre 2023 et fin août 2025, 31% des personnes détenues ont travaillé, soit une hausse de trois points par rapport à 2022. 12% ont accédé à une formation professionnelle. Tandis que deux tiers de ces emplois sont au service du bon fonctionnement des établissements pénitentiaires eux-mêmes, le tiers restant est lié à des donneurs d’ordre extérieurs.
Depuis 2022, l’agence a recruté des commerciaux afin de prospecter activement auprès des employeurs. Mais il reste encore 20.000 mètres carrés de surfaces disponibles. "Les entreprises les plus susceptibles de venir s’implanter sont plutôt des TPE-PME, on a très peu de très grosses entreprises, ou alors cela va être leur sous-traitant", remarque Chloé Cahuzac.
Historiquement, les postes sont concentrés sur des tâches de façonnage ou de conditionnement. Mais l’Atigip veut diversifier les secteurs d’activité. Une minorité de détenus occupe néanmoins des postes "qualifiés" dans différents domaines industriels (métal, bois, cuir, couture), dans le cadre d’ateliers gérés en régie publique dont le nombre est passé de 43 en 2019 à 55 à 2025.
Encore des freins
Convaincre les entreprises de s’implanter n’est pas évident, malgré une rémunération fixée à 45% du Smic minimum, censée inciter les employeurs à sauter le pas. L’Atigip indique mener un travail avec l’administration pénitentiaire pour que les contraintes bâtimentaires ou de ressources humaines (pour escorter les détenus vers leur lieu de travail) "pèsent le moins possible sur l’organisation des activités", souligne Chloé Cahuzac.
Les conditions de travail en milieu pénitentiaire font débat. Le contrat de travail demeure dérogatoire par rapport au droit commun. Si les tâches confiées par les entreprises "peuvent être plus valorisantes", elles demeurent répétitives et soumises "à une logique de rendement qui est très poussée", souligne Julien Fischmeister, membre de l’observatoire international des prisons. Alors que l’accès au travail constitue une vraie "bouée de sauvetage" pour les détenus, ces derniers se retrouvent alors mis sur la touche, faute de pouvoir tenir la cadence.
Les entreprises préfèrent rester discrètes sur ces démarches. "Nos clients ne veulent pas parler du travail des personnes sous main de justice", remarque Lou-Isadora Anaya, directrice générale de la Lucarne d’Ariane, un atelier et chantier d’insertion qui recrute des détenus sur le métier de technicien son pour produire des livres audio à Fresnes, vendus ensuite à prix compétitifs aux commanditaires externes. Pas de quoi, néanmoins, freiner l’expansion de cette troisième voie d’insertion : ce sont aujourd’hui 56 structures d’insertion par l’activité économique ou entreprises adaptées qui interviennent en milieu pénitentiaire, contre seulement 6 en 2016.