Prix de l’électricité : le mécanisme de régulation "post-Arenh" pas suffisamment protecteur du consommateur, selon un rapport parlementaire
La régulation des prix de l’électricité s’apprête à subir un changement majeur avec la fin au 31 décembre 2025 du dispositif transitoire né en 2011 d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), auquel doit succéder un nouveau mécanisme d’encadrement, prévoyant de prélever une taxe sur les revenus d'EDF lorsque les marchés sont élevés, et de la redistribuer aux consommateurs. Prise en tenaille entre les besoins d’EDF de financer ses investissements futurs, notamment ceux du programme du nouveau nucléaire, et stabiliser le prix de l’électricité, la réforme "post-Arenh" pourrait rater sa cible et exposer encore davantage les consommateurs aux yo-yo du marché, alerte un rapport d’information présenté ce 9 octobre par les députés Philippe Bolo (MoDem) et Maxime Laisney (LFI).

© Capture vidéo Asemblée nationale/ Maxime Laisney et Philippe Bolo
C’est dans le chaos politique ambiant que le rapport sur le prix de l’électricité, la compétitivité des entreprises et l’action de l’État, a été présenté à la commission des affaires économiques, ce 9 octobre, par les députés Philippe Bolo (MoDem, Maine-et-Loire) et Maxime Laisney (LFI, Seine-et Marne), dans une salle quasi vide (rapport à télécharger ci-dessous). La régulation "post-Arenh" du prix de l’électricité fait pourtant partie des dossiers brûlants, dont le prochain gouvernement héritera également. Ce sujet sensible occupe le débat politique depuis la crise des prix de l’énergie de 2022, qui a nécessité une intervention publique très coûteuse notamment à travers le bouclier tarifaire et l’amortisseur d’électricité.
À quelques semaines de la fin de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) - fixée au 31 décembre 2025 -, force est de constater que le nouveau dispositif lui succédant (issu d’un accord entre l’État et EDF de 2023 traduit dans la loi de finances pour 2025) "ne convainc pas". Il s’articule autour de deux volets : d'une part la création d’un mécanisme de taxation des revenus perçus par EDF grâce à l’exploitation du parc nucléaire historique (au-delà de certains seuils et avec deux paliers progressifs) pour les redistribuer sous la forme d’un "versement nucléaire universel" (VNU) au consommateur final, ménages, entreprises et collectivités territoriales ; d'autre part l’engagement d’EDF à renforcer le développement de contrats de moyen et de long terme, incluant des contrats partenariaux pour les entreprises les plus consommatrices d’électricité. Avec un objectif triple : donner des moyens à EDF pour financer ses investissements futurs, notamment ceux du programme du nouveau nucléaire, mieux protéger le consommateur en stabilisant le prix de l’électricité et préserver la compétitivité de l’industrie française. Mais selon les corapporteurs, cette réforme présente de "sérieux risques" de ne pas atteindre ses cibles. En cause, des seuils "à la main du gouvernement" et "placés à un niveau trop élevés" pour protéger les consommateurs des yo-yo du marché.
Un parapluie placé trop haut et percé de toutes parts
C’est la formule peu flatteuse reprise par Maxime Laisney pour décrire le fameux VNU, pour lequel les rapporteurs estiment d’ailleurs qu’il est difficile de parler d’un véritable mécanisme de régulation tant celui-ci "expose le consommateur aux prix de marché". Ce dispositif "complexe, peu lisible" implique de nombreux paramétrages réglementaires qui tardent à être publiés, et ce alors même que la réforme est censée être pleinement opérationnelle au 1er janvier 2026, pointe le rapport. Les deux premiers décrets d’application sont parus in extremis (le 5 septembre) avant la chute du gouvernement Bayrou. L’un (n° 2025-909) porte sur la comptabilité appropriée tenue par EDF pour le partage des revenus de l'exploitation des centrales électronucléaires historiques. L’autre (n° 2025-910) détaille la méthodologie d’évaluation des coûts complets de production nucléaire d’EDF. La Commission de régulation de l'énergie (CRE) en a fourni une première estimation, le 30 septembre, de l’ordre de 60,3 euros (2026)/MWh pour la période 2026-2028 et 63,4 euros (2026)/MWh pour la période 2029-2031. C’est l'un des paramètres - avec la "situation financière" d’EDF et les coûts du programme du nouveau nucléaire français - qui doit servir de base pour calculer les niveaux de taxation de l'énergéticien français. Le montant reversé sur la facture du consommateur grâce au VNU dépendra des seuils de taxation et d’écrêtement appliqués aux revenus d’EDF liés à son parc nucléaire historique. C’est un autre facteur d’incertitude, leur définition étant là encore laissée au pouvoir réglementaire.
Comment permettre à EDF de dégager des ressources suffisantes pour investir, tout en garantissant aussi un juste prix pour le consommateur ? questionne le rapport, perplexe sur cet "équilibre introuvable". Rappelons que la Cour des comptes, dans un récent rapport, estime que le besoin d’investissement cumulé de l’entreprise pourrait représenter "jusqu’à 460 milliards d’euros d’ici 2040". L’absence de prix plancher ne donne pas à EDF une garantie minimale de revenus en cas de prix bas. De l’autre côté, "il semble assumé que le VNU est un mécanisme n’ayant vocation à protéger le consommateur qu’en période de prix élevés", souligne le rapport. La CRE estime que compte tenu des prix de marché actuels, aucun VNU ne devrait être reversé en 2026. Le régulateur s’est d’ailleurs voulu rassurant : "Dans les conditions actuelles de marché et sous réserve d’un niveau de taxation équivalent, (…) les TRVe [tarifs réglementés de vente d'électricité] devraient rester à peu près stables en 2026", éloignant le spectre d’une flambée de la facture à court terme. "D’une certaine manière, on organise l’opposition entre EDF et les Français, puisque EDF a intérêt à ce que les prix de marché grimpent pour faire des profits, tandis qu'évidemment les consommateurs n’(y) ont aucun intérêt, puisque les seuils de taxation vont être placés très haut", déplore Maxime Laisney. Par ailleurs, une inconnue de taille demeure : la répartition du VNU entre les différentes catégories de consommateurs.
Des modèles alternatifs de régulation
Le rapport souligne la nécessité d'"étudier d'autres voies insuffisamment explorées pour maîtriser les prix de l'électricité, qui impliqueraient un rôle accru de l’État". Plusieurs pistes sont balayées "sans forcément atterrir" : appliquer un contrat pour différence (CfD) sur l’ensemble de la production décarbonée, mettre en place un acheteur national unique, intégré aux échanges européens d’électricité, qui serait chargé de centraliser les achats et ventes d’électricité. Agir sur les coûts de production suppose par ailleurs de questionner les politiques de soutien aux filières de production décarbonées, notamment ceux du programme EPR2, dossier sur lequel le rapport propose de mandater la Cour des comptes, avant d’engager la décision finale d’investissement (Maxime Laisney propose tout bonnement de renoncer à la construction de nouveaux réacteurs). Pour les rapporteurs, le soutien aux énergies renouvelables pourrait aussi être amélioré sur plusieurs points. Maxime Laisney défend également le rétablissement des TRVe pour tous, fondés sur une régulation unique appliquée à l’ensemble du parc de production décarboné français et reflétant les coûts du système électrique, et, plus largement, le rétablissement d’un monopole sur la production et la fourniture d’électricité.
Un prérequis : disposer d’une programmation de l’énergie
L’examen au Parlement d’un texte législatif sur les coûts et les prix de l’électricité pour remédier aux défauts du VNU serait un début. Les rapporteurs rappellent que le modèle de régulation des prix de l’électricité à adopter et les soutiens publics associés doivent avant tout reposer sur "une programmation énergétique claire". C’est en principe "le job de la loi de programmation énergie-climat (LPEC) et de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), mais on peut dire aujourd'hui que ce dispositif est légèrement en souffrance. Et c'est bien ce duo-là qui est capable de nous dire quels sont les objectifs de production, donc nos volumes d'appels d'offres, quels sont les paramètres de réglage du VNU, etc.", relève Philippe Bolo. Les corapporteurs convergent sur d’autres points : accélérer l’électrification des usages, développer la flexibilité (via de nouvelles plages d’heures pleines et d’heures creuses notamment), la sobriété et l’autoconsommation, planifier les réseaux, rééquilibrer la fiscalité de l'électricité par rapport au gaz, étudier la mise en place d'un taux de TVA à 5,5% sur les consommations incompressibles des ménages, expérimenter une tarification progressive de l’électricité, etc.