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Rapport Lenglart sur le revenu universel d'activité : unifier plutôt que fusionner

Fabrice Lenglart, rapporteur général du revenu universel d'activité (RUA) et directeur de la Drees, qui doit bientôt remettre à Jean Castex les conclusions de ses travaux, en a dévoilé les grandes lignes devant la commission des affaires sociales du Sénat. Estimant que le système actuel - une quinzaine d'allocations - est illisible, il juge nécessaire de l'unifier, en harmonisant les barèmes. Mais cela ne veut pas dire fusionner les prestations. Il s'agirait en outre de procéder par étapes. Et de veiller à ce qu'il n'y ait pas trop de perdants. Quel périmètre ? Quelle dose d'individualisation ? Les questions restent nombreuses.

Intervenant, le 6 janvier, devant le congrès de la FAS (Fédération des acteurs de la solidarité), Emmanuel Macron a surpris en évoquant longuement le revenu universel d'activité (RUA) que l'on pensait abandonné, soulignant au passage "les difficultés auxquelles nous nous sommes heurtés" (voir notre article du 7 janvier 2022). Le chef de l'État souhaite "maintenant que nous puissions avancer jusqu'au bout de cette voie, associée à une réforme en profondeur dans notre service public de l'emploi et de l'insertion". Pas question bien sûr de finaliser en quelques semaines une réforme aussi complexe, mais elle devrait sans aucun doute figurer dans les priorités d'un éventuel prochain quinquennat. Dans un calendrier qui ne doit rien au hasard, Fabrice Lenglart, le rapporteur général du RUA et directeur de la Drees, présentait la veille devant la commission des affaires sociales du Sénat les grandes lignes de son rapport d'évaluation sur cette réforme.

Prestations de solidarité : "deux grands avantages et un gros défaut"

Nommé il y a trois ans rapporteur général à la réforme du revenu universel d'activité, alors qu'il était encore commissaire général adjoint de France Stratégie (voir notre article du 24 janvier 2019), Fabrice Lenglart est d'abord revenu sur le contexte de la réforme, depuis l'annonce du lancement du RUA par Emmanuel Macron en décembre 2018, et sur l'avancée des travaux. Il a notamment rappelé que ces travaux se sont interrompus durant plus d'un an, quelques semaines après le début du premier confinement. Jean Castex a annoncé leur reprise, qui est devenue effective au printemps 2021. Une première version du rapport de préfiguration du RUA a été remise au Premier ministre au début du mois d'octobre 2021 et le document est aujourd'hui en cours de finalisation. 

Le rapporteur général a expliqué que le dispositif des prestations de solidarité – qui compte une quinzaine d'allocations, dont dix minima sociaux, et représente une dépense de près de 60 milliards d'euros – "présente deux grands avantages et un gros défaut". Côté positif, "il soutient le revenu des personnes modestes en diminuant le taux de pauvreté et l'intensité de la pauvreté, de façon plutôt satisfaisante par rapport aux autres pays de l'Union européenne". Toujours côté positif – et contrairement à une idée reçue – il "est conçu de telle sorte que le travail paie davantage que l'inactivité", même s'il existe quelques cas minoritaires dans lesquels "le travail paie très peu, voire pas du tout" (notamment dans le cas des personnes handicapées ou de leurs conjoints qui peuvent travailler, ou dans celui des allocataires de l'allocation de solidarité spécifique).

En revanche, le plus gros défaut du système est qu'il est illisible et que "cette illisibilité entraîne un non-recours par certaines personnes qui seraient éligibles aux aides" et mine la confiance dans le système. Pire : selon Fabrice Lenglart, "aucune administration ne maîtrise le système dans sa globalité". La principale source de difficulté est que les quinze prestations de solidarité ont quinze bases ressources différentes.

Pas de réforme sans harmonisation des barèmes du RSA, de la prime d'activité et des APL

Pour autant, "le rapport n'est pas une solution clé en main" et de nombreuses questions se posent, "qui sont techniques et éminemment politiques" : périmètre des ressources à prendre en compte, modalités de mesure de ces dernières, système familialisé ou individualisé ?... S'il a évoqué ces questions, le rapporteur général est en revanche resté discret sur les réponses ou les hypothèses proposées, dans l'attente de la remise du document finalisé au Premier ministre.

Il a toutefois affirmé la nécessité d'unifier le système de prestations de solidarité, quitte à imaginer une réforme partielle par étapes, "en laissant de côté tel ou tel type de prestations". En revanche, il est clair qu'"il n'y aura pas de réforme sans harmonisation des barèmes du RSA, de la prime d'activité et des aides au logement". Sur l'intégration éventuelle de l'ASS, du "minimum vieillesse" (allocation de solidarité aux personnes âgées) et de l'AAH, le rapport "présente les différentes options des administrations. Il faudra ensuite une volonté politique pour opérer les arbitrages". Vis-à-vis des jeunes adultes, le rapport envisage soit un traitement différencié, via le contrat d'engagement jeunes et des bourses, soit une unification plus poussée.

Devant les questions des sénateurs de la commission des affaires sociales – pour la plupart en distanciel –, Fabrice Lenglart a apporté plusieurs précisions. Il a ainsi insisté sur le fait que "le rapport cherche à unifier le système des prestations, plutôt que de les fusionner". Les prestations conserveraient donc leur nom et leur identité, mais avec des bases communes.

"Remettre un peu d'argent pour diminuer le nombre de perdants"

De même, sur la mise en œuvre de la réforme – et s'appuyant sur l'exemple plutôt chaotique de la mise en place de l'Universal Credit au Royaume-Uni – le rapporteur général n'exclut pas un maintien parallèle provisoire des deux systèmes. Il s'agirait en l'occurrence d'"individualiser les changements, faire en sorte que les gagnants basculent plus vite dans le nouveau système et que ceux dont la situation deviendra moins bonne restent dans le système ancien". Mais cette transition ne pourrait durer "que quelques années seulement".

Par ailleurs, et conformément à la demande initiale, toutes les simulations ont été menées à masse budgétaire inchangée (contrairement à la réforme britannique, qui prévoyait une économie budgétaire qui ne s'est d'ailleurs pas concrétisée lors de la mise en œuvre). Mais, dès lors, "il est inévitable qu'il y ait des gagnants et des perdants. En réalité, pour mener une réforme de ce type, il faut remettre un peu d'argent pour diminuer le nombre de perdants quand la réforme est mise en place". Parmi les autres questions abordées, Fabrice Lenglart a confirmé que les prestations familiales soumises à condition de ressources n'entreront pas dans le champ de la réforme, dans la mesure où leur vocation première n'est pas de lutter contre la pauvreté. De même – et tout en confirmant qu'il s'agit bien d'une prestation de solidarité et non d'un revenu de remplacement –, il  a souligné les défauts de l'AAH qui "ne valorise pas suffisamment le lien au travail" (pour ceux qui peuvent y accéder) et qui s'accompagne d'un supplément de solidarité lié au handicap variant très fortement selon la configuration familiale et le statut dans le logement. Il estime également que plusieurs solutions sont possibles, sans en passer nécessairement par la "déconjugalisation".

Des aides demandées individuellement, mais versées automatiquement

Sur la question de l'automaticité des aides, le rapporteur général estime qu'"il est important de conserver le principe d'une démarche volontaire pour percevoir la prestation, pour des raisons éthiques et de liberté. Ce point fait consensus". En revanche, il faut aller davantage vers une automaticité des versements, à partir d'informations provenant automatiquement du système socio-fiscal, sur le modèle du prélèvement à la source pour l'impôt sur le revenu.

Sur la question très débattue de l'individualisation des prestations – qui englobe celle de la déconjugalisation – Fabrice Lenglart rappelle qu'"une prestation individualisée ne pourra jamais faire abstraction de la composition et des ressources du ménage dans lequel évolue l'individu". Aussi préfère-t-il parler de "prestation quasi individualisée". Pour lui, la question est plutôt la suivante : "Un couple sans ressource doit-il toucher deux fois le montant du RSA perçu par une personne seule, ou moins ? On peut imaginer un tel doublement pour la prestation socle, l'équivalent du RSA, mais en aucun cas pour les aides au logement, car l'économie d'échelle est alors évidente pour un couple". En outre, le rapport montre qu'une prestation quasi individualisée n'est pas plus favorable à la bi-activité des couples, "car le point de sortie de la prestation est alors plus éloigné dans l'échelle des revenus si l'un des deux membres du foyer seulement travaille. Les deux systèmes sont possibles, mais ma préférence va au système conjugalisé". Dernier point, sur lequel Fabrice Lenglart n'a pas apporté d'information : la date de remise du rapport final. Seule précision : "Je suis en train de finaliser, en lien avec les conseillers des différents cabinets ministériels et l'Élysée."

 

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