Réduction du déficit : l'exécutif s'oriente vers une limitation des recettes des collectivités

Pour associer le secteur local à l'effort de maîtrise des comptes publics, les équipes ministérielles semblent écarter l'hypothèse d'une reconduction des contrats qui avaient limité les dépenses des grandes collectivités avant la crise liée au Covid-19. Elles préféreraient un mécanisme de limitation des recettes publiques locales, dont le curseur reste à définir. Les associations d'élus locaux qui participaient le 10 juin à une réunion organisée dans le cadre de la conférence financière des territoires ont eu vent de ces réflexions.

Le gouvernement va-t-il décider d'une "année blanche" pour les finances des collectivités en 2026 ? Et si oui, comment mettra-t-il en œuvre ce scénario évoqué dans une note transmise le 20 mai aux associations d'élus locaux ? Bernard Delcros, le président de la délégation sénatoriale aux collectivités locales et à la décentralisation a mis les pieds dans le plat, ce 10 juin, lors d'une réunion du groupe de travail consacrée à cette question, dans la prolongation de la conférence financière des territoires qui s'était tenue le 6 mai. "Est-ce que ça signifie zéro dynamique des recettes des collectivités ou un gel des dotations ?", a interrogé le sénateur du Cantal lors de cette deuxième réunion du groupe de travail - la première, dont Localtis a rendu compte (voir notre article), avait eu lieu le 26 mai.

En face, les représentants des cabinets des ministres de l'Aménagement du territoire (François Rebsamen), de l'Économie (Éric Lombard) et des Comptes publics (Amélie de Montchalin) n'ont pas répondu directement. Mais le pouvaient-ils ? L'ambition du gouvernement est en effet de mener une réflexion avec les élus locaux sur la contribution des collectivités à la réduction du déficit public, et ce avant que les arbitrages ne soient pris en juillet sur le prochain projet de loi de finances. Cette tentative semble être sincère, selon les participants. 

"Limitation de l'évolution globale des recettes locales"

Toutefois, "par petites touches", un début de réponse a été apporté à la question posée, relate Franck Claeys, délégué adjoint de France urbaine, l'association représentant les élus des grandes villes et de leurs intercommunalités. D'abord, à travers l'évocation par un représentant de la direction générale des finances publiques (DGFIP) d'un bilan jugé "mitigé" des contrats de Cahors qui ont encadré les dépenses des plus grandes collectivités et intercommunalités en 2018 et 2019, les administrations de l'État et les cabinets ministériels ont envoyé un message clair à leurs interlocuteurs des collectivités : ce n'est sans doute pas sur les dépenses locales que ces derniers concentrent leurs réflexions visant à faire en sorte que les collectivités contribuent à la réduction du déficit public. Autrement dit, leurs travaux portent plutôt sur les recettes locales.

Ce qu'a semblé confirmer la présentation par un conseiller du cabinet du ministre de l'Économie d'un tableau présentant les recettes des collectivités locales selon leur nature (prélèvements sur les recettes de l'État, subventions ministérielles ; dégrèvements législatifs, compensations de transferts de compétences ; impositions locales). Qui a été l'occasion d'un certain nombre de révélations. L'entourage des ministres réfléchirait à "un mécanisme qui encadrerait l'évolution globale des recettes des collectivités locales", rapporte un expert qui a participé à la réunion. Le conseiller d'Éric Lombard aurait cité "l'exemple" d'une évolution globale des recettes locales qui serait limitée à l'inflation. Dans ce cadre, "certaines recettes vont connaître une évolution naturelle supérieure à la cible, il faudra donc que d'autres diminuent du même montant, afin que l'objectif général soit atteint. Ensuite, se posera la question de la déclinaison par niveaux de collectivités locales et à l'intérieur de ceux-ci entre chacune des collectivités". Le gouvernement espère que le ralentissement des recettes locales sera suivi d'une baisse du rythme d'évolution des dépenses locales. Le besoin de financement des collectivités serait alors mécaniquement réduit.

"Ne pas dissocier la réflexion sur les recettes de celle sur les dépenses"

Cette piste seulement esquissée a nécessairement fait réagir les représentants des associations d'élus locaux. "Il ne nous semble pas possible de dissocier la réflexion sur les recettes de celle sur les dépenses", rétorque-t-on du côté d'Intercommunalités de France. "Un certain nombre d'éléments de progression de la dépense locale – qu'il s'agisse par exemple de la masse salariale, de certaines compétences et des politiques contractuelles menées par l'État et les collectivités – ne sont pas du tout liés à des choix locaux, mais à des contraintes qui s'imposent à elles. Ils ne sont pas du tout pilotables par les collectivités", souligne l'association présidée par Sébastien Martin. Et si "on diminue leurs recettes, alors même que leurs dépenses contraintes continuent d'augmenter, on risque d'avoir un accroissement du déficit des collectivités locales. On irait à l'encontre de l'objectif fixé", prône l'association. Qui appelle donc à des "mesures structurelles" sur les dépenses (comme un "moratoire sur les nouvelles normes", des simplifications normatives ou encore une décentralisation approfondie). L'association milite par ailleurs pour que le gel de la TVA décidé pour 2025 ne soit pas reconduit dans le projet de loi de finances pour 2026, cette ressource étant destinée à compenser la suppression de recettes dynamiques (CVAE, taxe d'habitation) et étant par ailleurs "garante d’un lien entre le développement économique des territoires et les budgets locaux". 

En même temps qu'il veut mettre les collectivités à contribution pour ramener le déficit public à 4,6% du PIB en 2026 (contre 5,4% en 2025), le gouvernement veut accroître la prévisibilité de leurs ressources. Il estime notamment que des améliorations dans ce sens faciliteraient les efforts des collectivités. L'engagement de l'exécutif peut également être vu comme un geste pour faire passer les économies qui leur sont demandées. 

"Engagements pluriannuels" 

La réflexion sur le sujet a d'ailleurs avancé à Bercy. "Pour des raisons d'ordre juridique et technique", le ministère écarte l'idée de la mise en œuvre d'une loi spécifique au financement des collectivités territoriales. De même, il exclut pour le moment "l'inscription de la pluriannualité" dans une loi de programmation des finances publiques. La piste "apparaît pertinente, mais peu opérationnelle à court terme", estime le ministère dans une note communiquée aux associations d'élus locaux. Pour cause : l'actuelle loi de programmation des finances publiques sera en vigueur jusqu'en 2027. L'entourage d'Éric Lombard privilégie une autre piste : "l'inscription d'engagements pluriannuels" dans le rapport annuel consacré à la situation des finances locales, annexé au projet de loi de finances. "S'il ne dispose pas de portée juridique contraignante, ce document constitue néanmoins un support d'information et de transparence susceptible d'être le vecteur d'un engagement politique", estime-t-il, en soulignant qu'il s'agit aussi d'"une solution opérationnelle". Mais avec cette proposition, "on reste très en deçà de ce qu'on pourrait escompter", déplore-t-on à Intercommunalités de France. France urbaine n'est pas plus enthousiaste. "Ce qui nous intéresse, c'est d'inscrire une trajectoire d'investissement pluriannuelle", précise le délégué adjoint de l'association. Mais, pour le moment, les cabinets ministériels ne retiennent pas ce principe.

Dans ce contexte, certains élus locaux confient en soupirant qu'à leurs yeux, bien qu'elle fût brutale, la baisse des dotations de l'État décidée par François Hollande une fois pour toute pour trois années (2015-2017), avait eu le mérite de préserver la visibilité sur les recettes du secteur public local. Et ils soulignent que leurs collectivités encore dotées de marges de manœuvre fiscales pouvaient y faire face en augmentant éventuellement les taux. 

La prochaine réunion du groupe de travail se tiendra le 18 juin. Mais le gouvernement ne devrait pas faire connaître à cette occasion ses arbitrages sur la contribution des collectivités locales à la maîtrise des comptes publics, puisque ceux-ci devraient être dévoilés ultérieurement ("avant le 14 juillet") par le Premier ministre.

 

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