Réforme des services autonomie à domicile : quelles conditions de réussite pour ce "mariage forcé" entre l’aide et le soin ?

Destinée à fusionner les services d’aide et de soins pour un soutien global des personnes, la réforme des services autonomie à domicile passera théoriquement un premier cap en fin d’année puisque l’ensemble des Ssiad devront alors avoir fusionné ou conclu un accord de partenariat avec un Saad. Mais en pratique, le rapprochement entre ces services se heurte à de nombreux obstacles, selon le think tank Matières grises. Ce dernier appelle à un copilotage clair département-agence régionale de santé dans tous les territoires et à des assouplissements pour les services. 

"La réforme visant à fusionner les services d’aide et de soins à domicile est lancée depuis 2023 et devrait (ou aurait dû) aboutir fin 2025" mais "le cadre imposé rend difficile, voire impossible, une telle ambition". Dans une note publiée le 8 octobre 2025, le think tank Matières grises – fondé par Luc Broussy, qui dirige le cabinet de conseil Planète grise -, revient sur le contexte de cette réforme et appelle à lever des "points de blocage". 

Cette réforme des services autonomie à domicile (SAD) consistant à rapprocher – puis à fusionner – les services d’aide et d’accompagnement à domicile (Saad) et les services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) est "nécessaire" et son principe est "salué par tous", affirme le think tank. Mais "les conditions pour sa réussite ne semblent pas encore réunies : difficultés juridiques et/ou politiques à formaliser le rapprochement, différences de conventions collectives, manque de visibilité sur les financements, flou sur la coopération ARS/CD [agence régionale de santé / conseil départemental], pression du calendrier de mise en œuvre...", estime-t-il, à l’issue de deux réunions de travail ayant rassemblée en juillet dernier plusieurs de ses adhérents - le groupe VYV, DomusVi, les Jardins d’Arcadie, Univi – ainsi que la Fédération hospitalière de France (FHF). 

Une double asymétrie, juridique et économique 

La complexité de la réforme est en partie liée à "une asymétrie assez forte à deux niveaux", selon Katy Giraud, déléguée générale de Matières grises ayant coordonné la note, interrogée par Localtis. Il y a d’abord une "asymétrie d’obligation" : si les Ssiad ne se rapprochent pas d’un Saad d’ici la fin 2025 (soit directement par la fusion en "SAD mixte", soit pendant cinq ans maximum par le biais d’une convention de partenariat ou d’un GCSMS, groupement de coopération sociale et médicosociale), ils perdent leur autorisation d’exercer. Ils sont donc contraints d’accélérer le processus de rapprochement, même si toutes les conditions ne sont pas réunies. De leur côté, les Saad ne subissent pas cette contrainte juridique puisqu’ils "peuvent maintenir leur activité seuls, dans le cadre d’un SAD Aide", rappelle le think tank. Ce dernier y voit un risque et préconise de "rendre l’obligation de rapprochement réciproque" ou bien de "garantir au gestionnaire de Ssiad la restauration de son autorisation initiale si le SAD mixte n’aboutit pas". 

À l’inverse, l’autre asymétrie, économique, est en faveur des Ssiad. Ces derniers n’ont pas besoin des Saad, ils "n’ont aucune motivation financière parce qu’ils vont plutôt bien", selon Katy Giraud. Ils entrent toutefois "tout juste dans une révolution de leur mode de financement", une réforme de la dotation globale introduisant un paramètre d’activité. Cette évolution devrait réduire les marges de manœuvre de Ssiad, jusque-là globalement en sous-activité du fait du système précédent. 

De leur côté, les gestionnaires de Saad espèrent bénéficier de l’assise des Ssiad pour tendre vers "un meilleur équilibre économique", explique Katy Giraud. La note revient sur la situation "fragile" des Saad, liée à une tarification horaire insuffisante, bien que des progrès aient été réalisés avec l’attribution de la dotation complémentaire qualité par un nombre croissant de départements. Alors que l’expérimentation d’un financement forfaitaire pour les Saad n’a pas pu démarrer faute de départements candidats, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) entend lancer d’ici la fin de l’année une étude sur les coûts des services. Le think tank appuie cette démarche tout en préconisant de "généraliser un nouveau financement forfaitaire dès 2026". "Il y aurait une plus grande convergence des modèles si les deux étaient en dotation globale", soutient Katy Giraud. 

Une co-gouvernance département-ARS pour harmoniser le découpage des territoires 

"Si l’on considère que le territoire national compte 2.107 Ssiad contre plus de 7.000 Saad, il semble aisé pour chacun des services de soins infirmiers de trouver ‘chaussure à son pied’ dans ce mariage forcé" mais le think tank rappelle qu’il existe "au moins sept statuts distincts parmi les différents opérateurs Saad et Ssiad". Et, au-delà des obstacles liés aux statuts – beaucoup de Saad associatifs et de Ssiad hospitaliers, notamment - et en particulier aux différences de conventions collectives – celles des Saad étant souvent plus avantageuses -, la réforme des services autonomie à domicile suppose une rationalisation des périmètres d’intervention qui serait loin d’être aboutie. 

Actuellement, en l’absence d’obligation en la matière, "il y a des régions dans lesquelles cela se passe très bien et d’autres dans lesquelles ce n'est pas fluide", rapporte la déléguée générale de Matières grises. Le think tank appelle donc à constituer partout des "cellules de co-gouvernance" département-ARS "pour mener une politique harmonisée de découpage des territoires"... et éviter des "décisions unilatérales" pouvant fragiliser des services déjà en difficulté. Le think tank se prononce notamment pour un maintien, généralisé à l’échelle nationale, des autorisations départementales des Saad. 

Des scénarios alternatifs pour répondre aux besoins 

Des alternatives à la fusion existent, juge enfin le think tank, qui suggère d’"autoriser les Ssiad à créer leurs propres places de Saad". Ce scénario "se justifie par la situation démographique et l’explosion des besoins d’une part et la volonté des pouvoirs publics de ralentir la création de places d’Ehpad d’autre part", mais se heurte à "la réticence de certains conseils départementaux à délivrer de nouvelles autorisations de places de Saad", selon Matières grises. L’ARS de Normandie et le département de Seine-Maritime auraient pourtant bien ouvert la porte à cette possibilité. 

Autre voie alternative proposée : la pérennisation au-delà de cinq ans d’un GCSMS intégrant les deux activités (qui conserveraient chacune leur autorisation propre, alors que le SAD mixte entraîne une autorisation unique mais accordée par deux entités que sont le département et l’ARS). 

Si ces aménagements se justifient, conclut le think tank, c’est bien pour permettre aux opérateurs de "se consacrer davantage au fond de cette réforme : améliorer la qualité de la prestation de service et la fluidité du parcours".

 

Pour aller plus loin

Voir aussi

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis