Sécurité sociale : la pérennité du système est menacée "à court terme", pour la Cour des comptes
Les "déficits successifs et croissants" de la sécurité sociale et l’évolution du financement de la dette sociale font courir, dès 2026, le risque d’une crise de liquidité et menacent "à court terme" la pérennité du système, alerte la Cour des comptes dans son rapport 2025 sur la sécurité sociale. La prise en charge des nouveaux déficits repose en effet sur une part croissante d’emprunts de courte durée contractés par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), sur un marché financier limité. La Cour des comptes appelle donc à conduire des réformes d’ampleur pour sauver notre modèle de solidarité et à renforcer l’efficacité des services financés par la sécurité sociale. Elle préconise en particulier de doter la branche Autonomie des "leviers pour faire face aux conséquences du vieillissement de la population", à travers la définition d’une trajectoire financière tenant compte des besoins "après 2030" et le remplacement de l’APA (allocation personnalisée d’autonomie, attribuée par les départements) par une "prestation de sécurité sociale" versée par la CNSA.

© Capture vidéo Cour des comptes/ Pierre Moscovici lors de la présentation du rapport annuel sur la sécurité sociale 2025 le 26 mai
La trajectoire des comptes sociaux est "hors de contrôle" et l’aggravation du déficit "conduit à un risque de plus en plus sérieux de crise de liquidité", affirme la Cour des comptes dans son rapport 2025 sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale. "Nous avons perdu le contrôle de nos finances publiques en 2023 et 2024", a jugé Pierre Moscovici, cité par l’AFP. "La dette fragilise le modèle social", selon le président de la Cour des comptes, qui appelle à ne pas considérer ces sujets comme "des questions annexes".
"Une accumulation de dette sociale à des niveaux jamais atteints hors période de crise"
"Les déficits successifs et croissants" - 15,3 milliards d’euros en 2024 et une prévision de 24 milliards de déficit en 2025 – entraînent "une accumulation de dette sociale à des niveaux jamais atteints hors période de crise et sans perspective pérenne de financement", met en avant la Cour des comptes. "Il en résulte dès 2026 une prise de risque, fortement aggravée en 2027", ajoute-t-elle, de crise de liquidité, et plus globalement "un risque à court terme sur la pérennité du système lui-même".
Depuis 2024, les déficits nouveaux ne sont en effet plus financés par la caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades), "dont les ressources doivent servir à rembourser la dette sociale qui lui a été affectée jusqu’à la cessation de son activité, prévue en 2033", explique la Cour dans ce rapport publié le 26 mai 2025. C’est désormais l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) qui supporte le creusement de la dette sociale. La dette sociale, qui inclut celle de la CNRACL (Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales), pourrait "dépasser 180 milliards d'euros en 2028, dont plus de 110 milliards d'euros pèseraient alors sur l’Acoss", estime la Cour des comptes.
La sécurité sociale a déjà connu une crise de liquidité en 2020
Or, "comme la sécurité sociale dans son ensemble", l’Acoss qui a pour mission "d’assurer la gestion commune de la trésorerie des différentes branches" du régime général, "n’a pas vocation à s’endetter et ne peut emprunter qu’à court terme, pour une durée maximale portée à deux ans par la loi de financement pour 2025, mais avec une durée moyenne d’un an au maximum". Si son plafond d’emprunt a été réhaussé à 65 milliards d’euros pour 2025 (20 milliards de plus qu’en 2024 et 2023), l’Acoss est exposée aux limites du marché financier à court terme sur lequel elle se finance et, de surcroît, à un risque de renchérissement des intérêts.
Les auteurs du rapport rappellent que la sécurité sociale a déjà connu une crise de liquidité en 2020 : le marché n’ayant pu répondre à l’ensemble des besoins de financement suscités par l’épidémie de Covid-19, "un plan de crise comportant des prêts de la Caisse des Dépôts et Consignations et de banques" a été nécessaire. La sécurité sociale n’est donc pas à l’abri d’une nouvelle crise, en cas d’"augmentation du besoin à financer au-delà de certains seuils, ou particulièrement rapide".
Quant à une éventuelle prolongation de la Cades, qui est un outil d'emprunt sur les marchés à moyen et long terme, elle ne pourra passer que par l’adoption d’une loi organique : une gageure, étant donné "les conditions de température et de pression" actuelles du pouvoir politique, selon le président de la Cour des comptes Pierre Moscovici, cité par l’AFP.
La seule voie possible, pour la Cour des comptes, est de conduire les "réformes nécessaires pour assurer un redressement pérenne des comptes sociaux", c’est-à-dire de réduire les dépenses. En complément d’une note de synthèse diffusée en avril 2025 sur la maîtrise des dépenses d’assurance maladie, le rapport détaille de nouvelles mesures portant notamment sur la régulation de l’intérim paramédical dans les établissements de santé, l’optimisation des fonctions support pour diminuer les dépenses de personnel non soignant et le recouvrement des indus des différentes branches.
Autonomie : "simplification des responsabilités" et "plus grande égalité des prestations versées"
Les magistrats consacrent enfin un chapitre à "la qualité et l’efficacité des services financés par la sécurité sociale", appelant en particulier à doter la branche Autonomie des "leviers pour faire face aux conséquences du vieillissement de la population". "L’intégration de la CNSA [Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie] à la sécurité sociale devait se traduire par une amélioration de la planification, de l’utilisation de ses moyens et du service rendu à l’usager", juge la Cour des comptes, qui constate "une forte progression des dépenses (3,8% par an hors inflation entre 2020 et 2025)" et des résultats "limités". Autorisation, financement et contrôle des Ehpad, disparités territoriales persistantes dans l’offre de places, insuffisante lutte contre la fraude et manque de fiabilité des données en l’"absence de mandat de la CNSA pour créer un système d’information national"…
La Cour des comptes plaide pour la recherche d’"une simplification des responsabilités des différents intervenants et d’une plus grande égalité des prestations versées sur tout le territoire", reposant notamment sur l’élaboration d’"un cadre de gouvernance informatique de la branche" et le renforcement du rôle des agences régionales de santé (ARS) dans la régulation des Ehpad.
Les magistrats rappellent en outre que la trajectoire budgétaire, définie par le gouvernement "seulement jusqu’en 2028", ne tient que "sur une hypothèse ambitieuse de virage domiciliaire". Ils recommandent donc de "préciser les besoins liés au grand âge après 2030" et d’"en déduire une trajectoire de financement". Ils préconisent enfin de transformer l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) en une "prestation de sécurité sociale répondant à un barème national établi en fonction du degré de perte d’autonomie", qui correspondrait à "un panier-socle de prestations d’aide à l’autonomie à domicile" financé par la CNSA – ce qui revient à se passer, au moins en partie, de la compétence des départements sur le sujet.