Transports collectifs urbains : la gratuité peut coûter cher, pointe la Cour des comptes
Dans un rapport sur la contribution des usagers au financement des transports collectifs urbains (TCU) publié ce 15 septembre, la Cour des comptes met en garde sur des "tarifications décentralisées, peu encadrées et peu préparées". Elle estime que la baisse de la part payée par les usagers met sous tension le financement des TCU. L’effet de la gratuité, notamment dans les gros réseaux où l’enjeu est d’améliorer l’offre, entraîne des pertes de recettes significatives qui menacent les projets d’investissement nécessaires, prévient-elle.

© C.M/ Station de tramway à Montpellier
Publié ce 15 septembre, le rapport que la Cour des comptes consacre à la contribution des usagers au financement des transports collectifs urbains (TCU) répond à une demande formulée sur sa plateforme citoyenne et aborde ainsi les enjeux du développement des TCU et les modalités de leur financement. Outre une description de l’évolution des contributions au financement des TCU, notamment celle des usagers, l’enquête, qui porte sur les principales autorités organisatrices des mobilités (AOM), examine l’impact opérationnel et financier des politiques de modération tarifaire ou de gratuité.
Des réductions tarifaires qui peuvent rater leur cible
Le rapport fait d’abord le constat de "tarifications décentralisées, peu encadrées et peu préparées". "Le cadre légal laisse une grande liberté aux AOM pour établir la tarification des transports collectifs urbains, relèvent les magistrats financiers. En pratique, les hausses tarifaires ne sont pas automatiques, et sont peu fréquentes. Elles s’inscrivent dans une politique de modération qui a conduit, au cours des vingt dernières années, à multiplier les tarifs spécifiques, sociaux ou commerciaux, réservés à certaines catégories d’usagers, sans forcément les lier à des conditions de ressources. Ainsi, ces réductions se fondent souvent sur une logique de statut (tarification dite sociale) plus que sur une logique de niveau de ressources (tarification dite solidaire), et certaines personnes modestes n’y sont pas éligibles."
De ce fait, l’obligation légale qui consiste à proposer un tarif réduit d’au moins 50% pour les 10% de la population les moins favorisés n’est pas systématiquement respectée par les AOM ou, quand elle l’est, ne fait pas l’objet d’une information adéquate, souligne la Cour. En outre, la transparence concernant les coûts et les contributions au financement des TCU est rarement respectée et les instances de concertation (comités des partenaires) doivent encore renforcer leur rôle, estime-t-elle.
Enfin, soutient-elle, "la politique tarifaire est souvent élaborée indépendamment des travaux de diagnostic et de la planification de la mobilité, garants de la cohérence de l’action locale avec les objectifs nationaux en matière d’environnement". Selon elle, "le niveau de préparation et d’évaluation des évolutions tarifaires varie et est parfois insuffisant, surtout dans des cas de changements aussi radicaux que le passage à la gratuité".
Gratuité : des effets plus probants dans les petits réseaux
Le rapport pointe une contribution des usagers en baisse qui "met sous tension le financement des transports collectifs urbains". En 2019, les recettes tarifaires ne couvraient que 41% des seules dépenses de fonctionnement des réseaux de transport. Ce ratio décroît avec la taille du réseau : il atteint 45% en Île-de-France (IDF), mais tombe à 33% hors IDF et à 18 % pour les AOM de moins de 100.000 habitants. Ainsi, "l’effet de la gratuité sur l’équilibre financier des TCU est à apprécier de façon différenciée selon la taille des collectivités et de leur réseau de transport", note la Cour. "Pour les petits réseaux peu fréquentés, la gratuité totale peut relever d’une logique d’efficience de la dépense publique, dans un contexte où les bus circulent quasiment à vide et où les recettes tarifaires sont faibles : elle entraîne une hausse de fréquentation plus importante que la hausse des ressources publiques mobilisées". En revanche, ce n’est pas le cas dans les réseaux importants déjà bien fréquentés : la gratuité entraîne alors des "pertes de recettes significatives" et nécessite de développer l’offre de service pour accueillir l’afflux de voyageurs supplémentaires, juge la Cour.
En France, une quarantaine de collectivités ont déjà rendu leurs transports en commun gratuits pour tous les voyageurs, parmi lesquelles Dunkerque, Aubagne ou Compiègne, ou encore la métropole de Montpellier et ses 31 communes. Le maire PS de Montpellier Michaël Delafosse a dénoncé ce lundi "un rapport à charge". Dans une réaction à l'AFP, il défend "une mesure de pouvoir d'achat" et "pour le climat". Selon lui, "on constate sur le territoire que la qualité de l'air s'améliore" et que la fréquentation des transports en commun a augmenté "de 27% un an après l'entrée en vigueur de la gratuité".
Ces mesures ont pour but d'encourager des mobilités plus écologiques mais la Cour des comptes estime que l'objectif n'est que partiellement atteint. Ainsi, la gratuité augmente la fréquentation des transports en commun "principalement dans les centres urbains pour des déplacements de courtes distances, soit davantage au détriment de la marche et de l'usage du vélo que de la voiture", observe-t-elle. "Les tensions financières qui en résultent menacent par ailleurs les projets d’investissement nécessaires pour le verdissement des bus et le développement du réseau", relève-t-elle.
Augmenter les tarifs pour améliorer l'offre
"Dans les réseaux étendus ou de taille significative, seul le développement de l’offre peut attirer de nouveaux usagers, notamment des automobilistes : l’exemple de Lyon montre ainsi qu’une augmentation des tarifs, accompagnée d’améliorations de l’offre et de la qualité de service, peut satisfaire les usagers, provoquer le report modal, et améliorer le financement", défend-elle. Si pour des AOM de taille intermédiaire la gratuité peut apparaître comme une alternative attrayante car elle peut permettre, à court terme, d’augmenter la fréquentation à un coût inférieur à celui du développement de l’offre, à long terme, cette stratégie peut nuire financièrement au développement du réseau, estime la Cour.
Plutôt que de développer la gratuité, elle juge préférable de mettre en place des dispositifs en faveur des personnes les plus vulnérables et de ne pas exclure une tarification à l’usage, différenciée dans l’espace et éventuellement dans le temps (heures creuses/heures pleines, pics de pollution). La Cour recommande aussi d’accroître la lutte contre la fraude, en fixant des objectifs contraignants de moyens et de résultats aux opérateurs, assortis d’incitations financières pour y parvenir. "Dans cette évolution de la politique tarifaire applicable aux TCU qui est décentralisée, l’État doit veiller à la production et au partage des données technico-économiques sur les TCU, inciter à la réalisation d’une évaluation socioéconomique des changements tarifaires significatifs dans les AOM de grande taille, et prévoir de moduler ses aides en fonction de la contribution des usagers", préconise-t-elle également.