Vols de biens culturels : un phénomène marginal, mais en recrudescence 

Auditionnés le 29 octobre par le Sénat suite au cambriolage du Louvre, des experts alertent sur le phénomène encore marginal, mais croissant des vols de biens culturels. Passée à la question la veille par les mêmes sénateurs, la ministre Rachida Dati a annoncé le lancement d'un fonds sûreté pour les musées.

 

"Un tel événement ne peut rester sans conséquence et sans action immédiate, y compris sur les responsabilités." Auditionnée ce 28 octobre par la commission Culture du Sénat, Rachida Dati l'assure, une fois que seront connues les conclusions de l'enquête administrative sur le cambriolage du Louvre (lire notre article) qu'elle a demandée ("l'arbitraire ne peut pas avoir sa place", explique-t-elle), "les mesures que j'annoncerai répondront aux manquements et défaillances" qui seront mis en lumière par cette dernière. 

Une mission parlementaire et un nouveau fonds 

Outre cette enquête, de premières décisions ont d'ores et déjà été prises par la ministre de la Culture suite à ce funeste événement. D'abord, le lancement d'une mission parlementaire sur la sécurisation des lieux culturels, confiée au député Jérémie Patrier-Leitus (Calvados, Horizons). Ensuite, "la création d'un fonds dédié à la sécurité et la sûreté de nos musées, qui sera global". "Nous sommes en discussion avec les parlementaires pour qu'on puisse connaître le montant qui sera affecté", a-t-elle déclaré mercredi. 

Un fonds "à l'exemple de ce qui s'est fait pour l'ensemble des cathédrales appartenant à l'État après l'incendie de Notre-Dame", précise devant la même commission Jean-François Hébert, directeur général du patrimoine et de l'architecture au sein du ministère de la Culture, mercredi 29 octobre. Sur le sujet, ce dernier confie qu'à l'époque, "on ne mesurait pas à quel point nos cathédrales étaient vulnérables". Mais il souligne que "six ans plus tard, une seule des 87 cathédrales qui appartiennent à l'État, celle de Montauban, ne répond pas aux normes de sécurité, pour la simple raison qu'elle est fermée au public à cause d'un contentieux". 

Inventaire et mise au coffre, plan de sécurité…

Jean-François Hébert indique également qu'au lendemain du vol survenu au Louvre, il a écrit aux responsables de 1.220 musées bénéficiant de l'appellation Musée de France ("dont 61 appartiennent à l'État, la quasi-totalité des autres relevant des collectivités territoriales") pour leur "rappeler les risques qui pèsent sur nos collections et les préconisations de sécurisation à mettre en œuvre". Parmi elles, "identifier les œuvres les plus susceptibles d'être volées […] et procéder à leur retrait des salles d'exposition si un certain nombre de conditions de sûreté ne sont pas réunies".

Plan de sûreté

Autre mesure qu'il indique vouloir "mettre en œuvre et systématiser" pour les musées nationaux dont il a la tutelle, "faire en sorte que, désormais, les mesures prises en matière de sûreté soient rassemblées dans un document, que l'on appellera plan ou programme, pour en assurer un suivi beaucoup plus efficace. Nous veillerons aussi à ce que ces plans de sûreté figurent à la bonne place dans les programmations de travaux de ces établissements". Et d'indiquer que "c'est sans doute cette approche globale qui a manqué au Louvre pendant plusieurs années".

Pour le tout nouveau préfet de police de Paris, Patrice Faure, de tels plans de sûreté devraient être, à l'instar des plans de sauvegarde des biens culturels, "extrêmement opérationnels, extrêmement pertinents, travaillés avec notamment l'ensemble des sapeurs-pompiers", être réalisés en s'appuyant sur l'expertise de la police ou de la gendarmerie et conduire "à des obligations, et pas qu'à des avis ou des préconisations". Et de déplorer qu'aujourd'hui les préconisations faites par le service opérationnel de prévention situationnelle de la préfecture, "qui intervient à la demande de musées", ne se traduisent par "aucune obligation de résultat".

Pas de commissariat de police dans les musées…

Comme son ministre et prédécesseur Laurent Nuñez, Patrice Faure se déclare en revanche "fermement opposé" à ce que le musée du Louvre dispose d'un commissariat de police en son sein, mesure récemment réclamée par la directrice de l'établissement. Il argue d'une part que "si nous donnions droit à cette demande, tous les établissements demanderaient que nous installions un commissariat dans chaque musée ou infrastructure, étatique ou pas d'ailleurs, qui couvre nos territoires". Et, d'autre part, il n'y voit pas "une solution pérenne aux difficultés que le Louvre connaît", en observant que le dispositif policier existant autour du Louvre a réalisé 1.080 interventions depuis le début de l'année et procédé à 840 interpellations, "soit +43% par rapport à l'année dernière au même moment" – "même si ce ne sont pas tous des gens qui viennent s'attaquer aux bijoux de la couronne". 

… mais un recours accru à l'IA (en bonne et due forme)

Lui mise davantage sur le recours à l'IA, déplorant au passage que "nous pâtissons d'une non-utilisation de l'intelligence artificielle pour des détections préventives et anticipées de mouvement anormaux", "pour la reconnaissance faciale" – "on peut le comprendre, ça pose un problème éthique" – et même "pour la détection de matériels". Non sans révéler par ailleurs que "force est de constater que l'arrêté préfectoral [autorisant la vidéoprotection autour du Louvre] était caduc depuis le 17 juillet et n'avait pas fait l'objet de demande de reconduction" par le musée… "Il n'y a pas eu d'interruption [du flux]. Pour autant, il y a une infraction administrative puisque des caméras étaient en service alors même qu'il n'y a pas eu de prorogation de cet arrêté préfectoral". 

Les vols de biens culturels, un phénomène marginal…

À en croire Jean-Baptiste Félicité, à la tête de l'Office central de lutte contre le trafic de biens culturels (OCBC), quelle qu'elle soit, une action résolue contre les vols de biens culturels semble dans tous les cas de mise. Dans un premier temps, il a certes paru minimiser le phénomène : "Sur une quinzaine d'années, le nombre de faits que nous avons suivi au niveau des musées oscille autour de la vingtaine […], à mettre en relation avec le nombre de musées – plus de 1.200 Musées de France et peut-être 10.000 espaces muséaux sur le territoire français". De même, précise-t-il, avec "le phénomène de vols dans les églises" qui, "là aussi, si on le rapporte au nombre d'églises, n'est pas un contentieux de masse". 

…mais en recrudescence

Pour autant, il met en exergue "une accumulation de faits graves sur les deux derniers mois" et indique avoir fait part au ministère de la Culture de "son analyse quand même pessimiste" sur cette tendance, quand bien même ne veut-il pas jouer "les Cassandre". Il met en lumière les vols dont ont été récemment victimes plusieurs établissements européens, parfois commis avec des modes opératoires violents (séquestration), évoquant l'empreinte de la criminalité organisée internationale. "C'est quelque chose pour l'instant que nous ne connaissons pas en France", relève-t-il, mais l'on devine que la menace est proche. Sont selon lui particulièrement visés l'or, du fait de son cours, les bijoux et pierres précieuses ou encore, "phénomène peut-être émergent au niveau européen, la porcelaine chinoise". "Nous devons adapter le niveau de sécurité au mode opératoire", prévient-il. "Chacun s'accorde à dire que la menace ne cesse d'évoluer", appuie Jean-François Hébert, en rappelant que ces dernières années, les musées ont dû faire face aux attaques visant les personnes "avec les attentats", puis à ceux qui s'en prennent aux œuvres elles-mêmes, en les dégradant – visant "les activistes du climat" – ou en les dérobant.

 

Patrimoine : Rachida Dati vante un État palliant le désengagement des collectivités

Auditionnée d'abord et avant tout sur le budget de son ministère, la ministre de la Culture a notamment déclaré, le 28 octobre, que "dans un contexte où les acteurs souffrent du désengagement de certaines collectivités, l'État se doit d'être exemplaire et d'être présent, en particulier pour ceux qui sont le plus éloignés de la culture, notamment dans les territoires ruraux". Elle a souligné que dans son projet de budget, la moitié des crédits du programme 131, "soit 450 millions d'euros, sera consacrée à nos territoires". Ces crédits "renforceront le plan Culture et ruralité [lire notre article] que j'ai lancé dès mon arrivée au ministère, et dont les résultats sont tangibles".

 

 

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