Le cambriolage du Louvre, l'arbre qui dévoile la forêt ?

L'extravagant cambriolage du Louvre éclaire d'une lumière crue le fait que la sécurisation du patrimoine au regard des vols et dégradations constitue souvent un angle mort des politiques publiques. Un sujet pourtant d'autant plus d'actualité que les atteintes semblent aller croissant, et sont dans tous les cas loin de ne concerner que les "grands musées". Notamment propriétaires d'un important patrimoine religieux, les collectivités sont, là encore, en première ligne.

"Pendant 40 ans, on ne s'est pas intéressé à la sécurisation de ces grands musées." Le constat, sans appel, est dressé ce 19 octobre par la ministre de la Culture, Rachida Dati, en commentant sur TF1 l'extravagant cambriolage du Louvre intervenu le matin même. Une indifférence qui parait jusqu'ici perdurer. Si la ministre indique en effet que "la présidente du musée du Louvre, il y a 2 ans, avait saisi le préfet de police pour un audit de sécurité", il semble que ce dernier soit resté pour l'essentiel sans suite. "Où ça en est depuis un an, je n'en sais rien", confesse ainsi sur France Inter, ce 20 octobre, le ministre de la Justice Gérald Darmanin, à qui cet audit a pourtant été remis, à l'époque en sa qualité de ministre de l'Intérieur (le ministre de la Justice en était également destinataire). Selon sa collègue de la rue de Valois, les recommandations formulées, rendues "il y a à peine quelques mois, commencent à être mises en œuvre". On n'en saura pas plus à ce stade.

"Nouvelles formes de criminalité" ?

La ministre précise seulement que l'objectif est notamment "d'adapter ces musées aux nouvelles formes de criminalité". En l'espèce, les cambrioleurs sont toutefois loin des contorsionnistes et technophiles lupins d'Ocean Eleven, puisqu'ils auraient simplement usé d'un monte-charge et d'une disqueuse de chantier – même le vol du sceptre d'Ottokar était plus ingénieux. "Nous avons failli puisqu'on est capable de mettre un monte-charge en pleine rue de Paris pour faire remonter des gens en quelques minutes pour récupérer des bijoux inestimables et donner une image déplorable de la France", concède d'ailleurs Gérald Darmanin, regrettant encore "le fait que les vitres, par exemple, n'aient pas été sécurisées". C'est loin d'être la seule faille, puisque selon un rapport de la Cour des comptes à paraître prochainement sur le Louvre et dont France Info a pu prendre connaissance en partie, à peine plus d'un tiers des salles du musée disposeraient d'au moins une caméra de vidéosurveillance. "Il faut accepter d'avoir de la vidéoprotection sur l'espace public, notamment aux abords [des sites sensibles]", préconise ce 20 octobre, sur Europe 1, Rachida Dati, en évoquant le monte-charge. Sans doute faudrait-il aussi la déployer dans le musée lui-même.

L'arbre qui dévoile la forêt ?

Déjà qualifié de "casse du siècle", ce cambriolage présente au moins le mérite de lever le voile sur un phénomène d'actualité – le 15 septembre déjà, des pépites d'or ont été subtilisées au muséum d'histoire naturelle – qui dépasse le simple cadre de ces "grands musées". Pour ne retenir que des exemples récents, relevons ainsi que le musée Adrien Dubouché de Limoges a été cambriolé dans la nuit du 3 au 4 septembre dernier et que le musée Jacques Chirac de Saran a été la cible de pillards deux fois en 48 heures la semaine passée. Les collectivités locales ne le savent que trop, y compris celles ne possédant pas de musée. Propriétaires de 40.068 églises, les communes sont en effet directement affectées par les atteintes croissantes au patrimoine religieux. L'Observatoire du patrimoine religieux recense pour 2024 pas moins de "cinq vols par semaine dans les églises françaises", avec une hausse de 24% des vols signalés d'objets liturgiques (820) par rapport à 2023. S'y ajoutent les dégradations et destructions : +112,5% d'incendies criminels d'églises entre 2023 et 2024 (cause de 14 des 26 incendies recensés sur les neuf premiers mois de 2024). Et le président de l'observatoire, Édouard de Lamaze, par ailleurs maire de Bois Héroult (Seine-Maritime), de plaider "pour la mise en sécurité systématique des objets religieux : alarmes, serrures renforcées", en appelant les communes "à ne plus se contenter de veiller symboliquement sur leurs églises, mais à les protéger concrètement".

Sécurité, un angle mort persistant

"On ne tire pas la sonnette d’alarme, alors que nos églises brûlent ou se font piller dans l’indifférence générale", s'alarme la sénatrice Sylviane Noël (Haute-Savoie, LR). On relèvera que la protection du patrimoine face aux vols et dégradations constitue plus largement un angle mort du rapport de la Cour des comptes publié en septembre dernier sur "les collectivités face aux enjeux de leur patrimoine monumental", lequel n'évoque nullement le sujet (lire notre article du 17 septembre). C'était déjà le cas dans le rapport que consacrait la rue Cambon, en 2022, à la politique de l'État en faveur de son patrimoine monumental.

Pour le Louvre, on peut penser que le rocambolesque fric-frac du 19 octobre contribuera à inverser la tendance. D'ailleurs, le projet "Nouvelle Renaissance" présenté le 28 janvier dernier par le président de la République prévoit, entre autres, "d'améliorer les infrastructures du palais" notamment pour renforcer "la sécurité et la sûreté des collections". Ces nouveaux aménagements devraient être "inaugurés d'ici à 2031 au plus tard". Peut-être en ira-t-il de même côté collectivités — l'occasion de rappeler que l'aide exceptionnelle annoncée au printemps par Rachida Dati en faveur des collectivités gestionnaires d'un "musée de France rural" prévoit bien "l'amélioration de la sécurité" parmi les travaux éligibles à la subvention (lire notre article du 27 mai). Toujours est-il que, d’après Politico, le président de la commission des Affaires culturelles de l’Assemblée, Alexandre Portier (LR), devrait proposer cette semaine la création d’une commission d’enquête parlementaire "sur la protection du patrimoine des Français et la sécurité des musées".

 

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