Adaptation de l'aménagement des territoires au changement climatique : la mission dédiée de l’Assemblée insiste sur le rôle central des collectivités
Mise en place en septembre dernier, la mission d’information sur l'adaptation de l'aménagement des territoires au changement climatique a présenté les conclusions de ses travaux ce 4 juin devant la commission du développement durable de l’Assemblée nationale. En complément du troisième plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc3), elle formule une centaine de propositions afin d’accompagner les collectivités et les acteurs publics et privés concernés, avec pour ambition d’apporter "une contribution concrète et opérationnelle à une nouvelle approche de l’aménagement du territoire".

© Capture vidéo Assemblée nationale/ Philippe Fait et Fabrice Barusseau
"Au fil des auditions, nous avons acquis la conviction que les réponses actuelles sont insuffisantes, que les coûts de l’inaction s’alourdissent, que les politiques publiques peinent à traduire l’urgence climatique en actions concrètes et que l’adaptation au changement climatique constitue l’angle mort des politiques publiques nationales", souligne le député Vincent Descœur (DR, Cantal), président de la mission d’information sur l’adaptation de l’aménagement des territoires au changement climatique, dont les conclusions ont été présentées ce 4 juin devant la commission du développement durable.
Lancée en septembre dernier, la mission avait pour objectif d’éclairer les enjeux de l’adaptation au changement climatique et de formuler des recommandations pour intégrer cette préoccupation dans les politiques publiques, dans le contexte du troisième plan national (Pnacc3) finalement présenté par le gouvernement en mars dernier. Ses rapporteurs - Philippe Fait (EPR, Pas-de-Calais) et Fabrice Barusseau (SOC, Charente-Maritime) - ont réalisé 24 auditions au cours desquelles ont été entendues 83 personnes (chercheurs, représentants de collectivités territoriales et des services de l’État). La mission s’est également déplacée à deux reprises dans le Pas-de-Calais et en Charente-Maritime.
Prendre en compte les spécificités de chaque territoire
"L’inaction et l’attente ne constituent pas des options possibles car leur coût humain et économique pourrait se révéler désastreux, estiment les députés. Si s’adapter représente un coût certain, ne rien faire aura un coût très supérieur." Selon eux, l’adaptation, complémentaire de la démarche d’atténuation, est "plus une question sociale, politique et philosophique qu’un défi scientifique et technique". "Aucune solution d’adaptation n’est universelle, chaque territoire étant confronté à ses propres vulnérabilités et faisant ses propres choix d’adaptation selon sa sensibilité au changement climatique et selon ses priorités. L’aménagement des territoires doit donc être mieux pensé pour être adapté aux conséquences du changement climatique, en prenant en compte les spécificités de chaque territoire pour faire évoluer l’urbanisme, le logement, la protection de la biodiversité, la prévention des risques", affirment les députés qui insistent aussi sur la nécessité d’"éviter la mal-adaptation", autrement dit les actions qui "augmentent accidentellement les conséquences néfastes liées au climat ou la vulnérabilité à celles-ci".
Vu "l’ampleur du changement climatique", il faudra parfois accepter "d’envisager des modifications complètes d’environnements : il vaut mieux se retirer que de lutter inutilement, notamment face à l’élévation du niveau de la mer", estiment-ils. "La politique d’adaptation doit conduire à accepter de renoncer à certaines activités économiques (sports d’hiver face à la fonte des neiges), de renoncer à protéger certains espaces (recul stratégique d’habitations ou d’infrastructures face au recul du trait de côte) et même de renoncer à assurer la continuité de certains services publics : accepter la fermeture de routes ou de voies de chemin de fer un certain nombre de jours par an du fait d’inondations", développent-ils.
Nouvelle approche
À travers ses 102 propositions, la mission entend "accompagner les collectivités et l’ensemble des acteurs publics et privés concernés", dans une "nouvelle approche de l’aménagement du territoire" qui permettrait de "bâtir une société capable d’affronter les défis climatiques".
Regrettant que la France "ne dispose d’aucune loi relative à l’adaptation au changement climatique", contrairement à d’autres pays, les rapporteurs proposent en premier lieu de donner une valeur législative à la trajectoire de réchauffement de référence pour l’adaptation au changement climatique (Tracc) retenue dans le Pnacc3 – soit +4°C à l’horizon 2100 - , en consacrant son existence dans le code de l’environnement : "En plus de l’aspect symbolique, cela permettrait d’imposer aux documents stratégiques locaux (plans locaux d’urbanisme, schémas de cohérence territoriale) de prendre en compte le climat futur", justifient-ils. En outre, l’existence d’un Pnacc, révisé tous les cinq ans, devrait être consacrée dans la partie législative du code de l’environnement.
"Centralité" des acteurs locaux
La mission insiste fortement sur la "centralité des acteurs locaux dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques d’adaptation", dans la mesure où les collectivités, "en tant que maîtres d’ouvrage, jouent un rôle clé dans l’aménagement des territoires et l’investissement public". Pour les députés, "le rôle de l’État doit être restreint à l’information, la coordination des acteurs, au contrôle de la bonne application des normes et à la garantie de l’équité territoriale". Nombre de leurs recommandations visent donc à "donner aussi bien aux régions qu’aux intercommunalités ou aux communes les moyens d’adapter l’aménagement de leur territoire au changement climatique", tout en insistant sur la nécessaire "transversalité" de la politique d’adaptation, qui doit "embarquer l’ensemble des strates de collectivités et des acteurs, publics et privés".
Si le fait de désigner un chef de file en matière d’adaptation leur paraît délicat, les rapporteurs considèrent toutefois que l’intercommunalité, "bassin de vie homogène au sein duquel est pensé l’aménagement du territoire", a "un rôle particulièrement central en la matière". En outre, "l’échelon régional semble le plus pertinent pour territorialiser la planification de l’adaptation au changement climatique", écrivent-ils. Outre le renforcement du volet adaptation des Sraddet, ils recommandent d’appuyer cette planification sur les COP régionales, ainsi que sur les groupes régionaux d'experts sur le climat (Grec).
Ingénierie territoriale : l'éternel maillon faible
La mission voit dans le déficit d’ingénierie territoriale "un obstacle pour passer de la conception des politiques d’adaptation à leur opérationnalisation". La mission adaptation, lancée en novembre 2024, a été "créée à moyens constants et n’apporte pas de capacités opérationnelles en ingénierie", constatent les rapporteurs, qui "déplorent" en outre que les effectifs dédiés à l’adaptation au sein des agences de l’État soient "extrêmement faibles". Ils préconisent donc une "augmentation substantielle de ces effectifs", notamment au sein du Cerema, pour en faire "le véritable guichet unique de la mission adaptation et [lui permettre] d’accompagner le plus de collectivités territoriales possible dans la réalisation de leurs stratégies locales d’adaptation au sein de leur PCAET". "Ces recrutements supplémentaires pourraient être financés en réduisant les postes de chargé de mission transition écologique et adaptation au sein des collectivités territoriales [et] en redirigeant les aides de l’Ademe à cette fin", avancent les rapporteurs.
Ils proposent également de "généraliser la formation des élus locaux en début de mandat aux enjeux de transition écologique et plus spécifiquement d’adaptation afin de développer la culture du risque" et de "labelliser les bureaux d’études utilisant des méthodes certifiées" - en l’occurrence la démarche Tacct de l’Ademe – "pour établir un diagnostic de vulnérabilité et une stratégie locale d’adaptation". La mission suggère aussi de fusionner les Alec et les agences d’urbanisme, "qui remplissent des missions cousines", pour créer des "agences locales de l’urbanisme et du climat". Un tel rapprochement permettrait "d’intégrer les considérations climatiques et environnementales aux réflexions d’urbanisme, ce qui est essentiel", justifient les députés.
Adapter le droit de l'urbanisme
Ils appellent plus largement à développer un "réflexe adaptation" pour chaque investissement (notamment en faisant évoluer le code de la commande publique), et à "porter une attention particulière au droit de l’urbanisme" qui "doit être repensé pour éviter la mal-adaptation, notamment dans les zones à risque". Ils préconisent ainsi une "meilleure articulation des lois Montagne et Littoral ainsi que du ZAN avec les impératifs d’adaptation, notamment les obligations de recul stratégique d’habitations ou d’infrastructures". Ils disent "regrette[r] particulièrement qu’après les catastrophes naturelles, la reconstruction à l’identique reste la norme y compris dans les zones inondables ou soumises à des mouvements de terrain, alors même que la catastrophe a montré l’inadaptation de ces constructions aux risques et que la reconstruction offre une opportunité d’adaptation". Plusieurs propositions visent à faire évoluer le droit de l’urbanisme et le droit de l’assurance en ce sens.
Financement de l'adaptation : un "impensé"
Les rapporteurs avancent par ailleurs plusieurs recommandations concernant le financement de l’adaptation, qui "reste un impensé". Ils suggèrent ainsi de rétablir le fonds vert à son niveau de 2024 et d’augmenter la part qu’il consacre à l’adaptation, pour atteindre la moitié des aides, mais aussi de "conditionner ces aides à la prise en compte du climat futur", de "doter le Pnacc 3 d’un plan de financement complet dès le PLF pour 2026" et d'"intégrer les financements relatifs aux politiques d’atténuation, d’adaptation et de biodiversité dans une loi pluriannuelle de financement de la transition écologique". D’autres recommandations concernent le modèle assurantiel, dont la soutenabilité est aujourd’hui "menacée".
Revoir la Gemapi
Enfin, les députés formulent une série de propositions sur les "politiques prioritaires en matière d’adaptation". Parmi celles-ci, la prévention du risque inondation – premier risque naturel. Il faudrait selon eux préserver des prairies stratégiques dans les zones d’expansion des crues et faire évoluer la compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (Gemapi) "qui doit être mieux articulée avec les autres politiques de l’eau, afin notamment d’inclure la gestion des inondations par ruissellement, et de favoriser une plus grande solidarité territoriale". Ils préconisent ainsi la mise en place d’une péréquation horizontale des revenus de la taxe Gemapi à l’échelle du bassin hydrographique afin de permettre aux EPCI les plus exposés et les moins bien dotés de bénéficier de la solidarité des territoires à fort potentiel fiscal et moins à risque. Sur la question de l’adaptation des territoires littoraux aux risques d’érosion côtière et de submersion marine, les rapporteurs soutiennent notamment la création d’un "fonds érosion côtière alimenté par une "taxe sur les plateformes de location touristiques de courte durée" dans les zones concernées et par le produit des taxes sur les éoliennes en mer".
Territoires ultramarins
Plusieurs propositions concernent l’adaptation de la ville et des logements aux vagues de chaleur, notamment pour que cet enjeu soit pris en compte lors de chaque rénovation énergétique d’ampleur.
Le rapport de la mission s’achève par un volet dédié aux territoires ultramarins, particulièrement exposés au changement climatique. Parmi leurs recommandations, les députés proposent d’intégrer le phénomène d’échouages massifs d’algues sargasses aux Antilles dans le régime Cat Nat en tant que catastrophe naturelle, de "renforcer significativement" les moyens de recherche et d’expertise des institutions publiques comme Météo France et le Cerema pour aider les collectivités d’outre-mer à réaliser des cartographies des risques et des scénarios d’évolution climatique localisés et d’inclure des parties spécifiques relatives à chaque territoire d’outre-mer dans les documents stratégiques et la programmation des moyens financiers concernant l’atténuation et l’adaptation au changement climatique.