Plan d’adaptation au changement climatique : les pistes de l'Igedd pour ancrer la trajectoire de référence dans les politiques publiques
Conçue pour fournir une référence commune permettant d’orienter la planification des politiques d’adaptation, la trajectoire de référence de réchauffement pour l’adaptation au changement climatique (Tracc) sur laquelle s’appuie le 3e plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc) appelle un ensemble de modifications réglementaires et de référentiels techniques, d’incitations, et de cadrage méthodologique. C’est en ce sens que l’Inspection générale de l'environnement et du développement durable (Igedd), chargée d’une mission dédiée, invite à lui donner une forme juridique claire et à rendre obligatoires des études de vulnérabilité pour certains plans et programmes territoriaux transversaux, notamment les Sraddet et les PCAET.

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Le troisième plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc) ayant été publié le 10 mars 2025 (lire notre article), la Tracc, trajectoire de référence de réchauffement pour l’adaptation au changement climatique (+3 degrés sur la planète à l’horizon 2100, soit +4 degrés en France métropolitaine) sur laquelle il prend appui doit désormais faire son chemin pour assurer la cohérence des actions d’adaptation menées dans l’hexagone, notamment à l’échelle des collectivités territoriales. L’Inspection générale de l'environnement et du développement durable (Igedd) s’est attelée dans un rapport dévoilé, ce 26 mai, à lui donner un caractère opérationnel et concret dans les politiques de l’environnement, du climat, de l’énergie, des transports, de la construction et de l’urbanisme.
Les recommandations (au nombre de 16) et préconisations (au nombre de 11) pour la mise en oeuvre de la Tracc constituent "un tout". "Il serait en effet illusoire de se contenter de modifier quelques prescriptions réglementaires sans structurer l’accompagnement technique et financier des acteurs par une action de l’État et de ses opérateurs", souligne le rapport. D’autres politiques publiques ne relevant pas du périmètre de la mission (santé, travail, agriculture, forêt, sécurité civile, défense nationale, sports, culture, éducation, etc.) pourraient d'ailleurs conduire à des travaux analogues à ceux qui ont été confiés à l’Igedd afin de prendre en compte la Tracc.
Donner un fondement juridique clair au Pnacc et à la Tracc…
Souhaite-t-on faire de la Tracc une simple "boussole" ou convient-il de conférer à cet outil des effets juridiques et financiers ? C’est une question préalable qui offre une palette de réponses. Et le cas échéant ouvre deux voies possibles : législative ou réglementaire. La Tracc est un ovni juridique : "elle n’est pas juridiquement définie, la procédure conduisant à son adoption reste floue, ses effets juridiques sont inconnus. En l’état actuel, on ne peut donc pas y faire référence dans des textes normatifs", relève la mission. Le Pnacc ne bénéficie d’ailleurs lui-même d’aucun autre encadrement juridique.
La ministre de la Transition écologie, Agnès Pannier-Runacher (lire notre article du 21 mai 2025) a tranché affirmant dans la foulée de la présentation du Pnacc sa volonté de donner une valeur juridique à la Tracc par voie réglementaire. C’est en effet l’option privilégiée par le rapport de l’Igedd. Un décret apparaît "suffisant" pour donner une base juridique à la Pnacc et à la Tracc "sans introduire de nouvelles contraintes juridiques", note-t-il. Pour ce faire, la mission propose de prendre un décret en Conseil d’État précisant la manière dont la France met en œuvre l’article 5 du règlement européen 2021/1119 ("Loi climat" européenne). Il devra être complété par des décrets spécifiques adoptant périodiquement les Pnacc et la Tracc. Cette formalisation permettrait ensuite à d’autres textes réglementaires de mentionner ces deux piliers de la politique d’adaptation et d’imposer, par la suite, certaines contraintes. Et à l’issue de ce processus, d’envisager "des évolutions plus approfondies par voie législative après évaluation des usages de la Tracc et de son déploiement".
…avec des effets limités
D’abord en suscitant l’intégration de la Tracc dans la mise à jour des normes et référentiels techniques dans certains domaines (énergie, transports, construction, etc.). La ministre a confirmé avoir engagé un travail en ce sens. Mais également en ayant recours à une contrainte, qui resterait cependant "légère et limitée à certains acteurs". "A ce stade, il s’agit d’enclencher un processus de long terme d’adaptation au changement climatique avec une 'prescriptivité'" initiale minimale. On peut de plus considérer que les collectivités concernées s’efforceront de définir les actions à prendre pour faire face aux vulnérabilités constatées même si une disposition juridique formelle n’est pas prise en ce sens", précise le rapport.
La mission propose donc de limiter ces effets juridiques à l’obligation de réaliser des études de vulnérabilité dans certains plans et programmes particulièrement stratégiques. Et au niveau local, pour les plans Climat Air Énergie territoriaux (PCAET) ou, à défaut, les schémas de cohérence territoriale (SCoT) et au niveau régional, s’agissant du schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet) -schéma directeur de la Région Ile-de-France (Sdrif), plan d’aménagement et de développement durable de Corse (PADDuC) et schémas d’aménagement régionaux (SAR) dans les départements d’outre-mer-, ainsi que pour les documents stratégiques de façade (DSF), les Sage, les Sdage, les chartes des parcs naturels régionaux, les PPRN (plans de prévention des risques naturels) et les PGRI (plans de gestion des risques inondation). Dans le cas des PPRN, qui dépendent de l’État et non des collectivités, la mission suggère d’aller au-delà de l’étude de vulnérabilité en imposant de "préciser les mesures de remédiation".
L’Igedd propose par ailleurs que l’évaluation préalable des plans et programmes (et donc la très grande partie des documents d’urbanisme) et l’étude d’impact des projets les plus importants soient réalisées sur la base de la Tracc ou sur celle d’une trajectoire plus rapide ou d’un réchauffement plus élevé dès lors que des études de vulnérabilité sont disponibles sur le territoire concerné. La nouvelle contrainte serait ici plus légère car ne portant que sur la prise en compte de la Tracc dans la description de l’évolution de l’environnement. Un guide sur "la prise en compte de l'adaptation au changement climatique dans les évaluations environnementales et stratégiques des projets" est déjà en cours de finalisation, selon la ministre. Un autre l'est aussi pour définir "un cadre de référence pour évaluer les risques de mal-adaptation au changement climatique" à destination des collectivités.
Apporter un appui méthodologique renforcé aux collectivités
L’utilisation de la Tracc ne se limite pas à une simple prise en compte des projections climatiques. "Il s’agit d’un processus dynamique et évolutif, nécessitant une cohérence méthodologique entre les différents niveaux de gouvernance, une mobilisation des ressources et une harmonisation des approches pour éviter des stratégies d’adaptation fragmentées", remarque la mission qui y consacre un chapitre du rapport.
Pour consolider le pilotage de la Tracc, le rapport invite à créer une dynamique de travail collaboratif entre les différents échelons de gouvernance dans le cadre de conférences régionales ou de communautés de travail sur l’adaptation. "Il est indispensable que l’État et ses opérateurs achèvent de mettre en place les services climatiques, le processus de fourniture des données essentielles et, plus généralement, le dispositif technique et financier permettant d’accompagner les acteurs, en tout premier lieu les collectivités territoriales", appuie également la mission.
Dans cette logique, le rapport appelle à mobiliser les opérateurs de l’État, notamment le Cerema, Météo-France et l’Ademe, pour accompagner les gestionnaires d’infrastructures critiques et les collectivités dans la réalisation d’études de vulnérabilité ou de risques, de tests de résistance à des scénarios extrêmes ("stress tests") et de plans d’actions. Sur la partie financement, il préconise de renforcer l’orientation du Fonds vert vers les actions d’adaptation au changement climatique, en particulier pour les études de vulnérabilité et l’élaboration de stratégies d’adaptation au changement climatique territorialisées.
Etudier la conditionnalité des aides publiques
Des mesures incitatives (subventions, crédits d’impôts, taux d’intérêts réduits, etc.), voire, pour certains projets d’aménagement ou d’infrastructure (par exemple dans les domaines de la rénovation énergétique ou d’actions de rénovation urbaine de l’Anru), une conditionnalité des aides de l’État à la réalisation des études de vulnérabilité fondées a minima sur la Tracc pourrait être étudiée pour éviter la "maladaptation". En contrepartie, les porteurs de projet pourraient bénéficier de mesures incitatives, telles que des bonifications financières, un accompagnement technique renforcé ou des dispositifs spécifiques facilitant leur mise en œuvre. Une piste qui devrait être suivie d’effets. La ministre ayant là encore indiqué avoir confié, avec Bercy, "une mission d'inspection sur la prise en compte du climat futur dans les aides aux entreprises" à l'Igedd et au Conseil général des entreprises.