Adapter la politique de cohésion pour faire face aux crises : efficace, mais pas sans risque

La Cour des comptes européenne vient de décerner un satisfecit aux autorités de l’Union pour avoir adapté avec efficacité la politique de cohésion afin de faire face à la crise du Covid. Elle souligne toutefois que cette adaptation ne va pas sans dommages collatéraux. Plus encore, elle ne serait pas sans risque pour l’objet même de cette politique.

Face à la crise du Covid, "la Commission a bien adapté les règles de la politique de cohésion de la période 2014-2020", estime la Cour des comptes européenne dans un rapport qu’elle vient de rendre public ce 2 février. Elle estime que "l’initiative d’investissement en réaction au coronavirus" (CRII - voir notre article du 19 mars 2020), puis CRII+ (voir notre article du 9 avril 2020), "se sont traduites par un apport de liquidités, une flexibilité accrue dans le transfert des fonds et la simplification des procédures administratives" (dont certaines ont été conservées dans la nouvelle programmation), permettant de mobiliser avec succès des fonds non dépensés. "Les États membres ont transféré quelque 10% des fonds de cohésion, soit 35 milliards d’euros", relève-t-elle. Les financements ont sans surprise été prioritairement réorientés vers la santé – les fonds alloués à ce secteur ont bondi de 80% (il est vrai qu’on partait de loin : voir notre article du 13 mars 2020) –, l’emploi et le soutien aux entreprises. Ils ont été prélevés "essentiellement dans le domaine de l’énergie et de l’environnement, mais aussi de la recherche et de l’innovation".

L'"initiative de soutien à la reprise en faveur de la cohésion et des territoires de l’Europe" (React-EU – voir notre article du 19 février 2021), lancée en décembre 2020, et ses 50,4 milliards d’euros supplémentaires, est également saluée. Là-encore, la Cour observe qu’un "volume considérable" de ces ressources a été alloué en faveur de l’emploi (23%), de la santé (18%) et du soutien aux entreprises (18%). Elle relève d’ailleurs que l’objectif de consacrer 25% de ces nouvelles ressources à la réalisation des objectifs en matière climatique "ne sera vraisemblablement pas atteint". In fine, la Cour souligne que l’intérêt de la politique de cohésion pour faire face à une crise "réside dans son adaptabilité et dans les importantes ressources qui lui sont affectées" (ce qui attise les tentations, comme le soulignait Christophe Moreux, de l’Afccre – voir notre entretien du 9 juin 2022).

Victime de son succès ?

Las, chaque médaille a son revers. La Cour relève ainsi que "la manne financière que constitue React-EU, qui doit être utilisée à brève échéance, va sans doute accroitre la pression sur les États membres déjà confrontés à des difficultés pour dépenser les fonds et pour garantir une utilisation optimale des fonds de l’UE" (même si la commissaire Ferreira feint de ne pas le voir – voir notre article du 6 décembre). Et ce d’autant "qu’il y a un chevauchement avec la mise en œuvre de la facilité pour la reprise et la résilience", le principal dispositif du plan de relance européen, que la Cour a déjà récemment pointé (voir notre article du 20 janvier). Elle préconise en conséquence à la Commission de suivre de près la consommation de React-EU "afin de repérer les programmes dont les fonds sont difficilement dépensés".

Comme déjà relevé, elle insiste également sur le fait que ces modifications, qui ont "accru la charge administrative des autorités de gestion", ont engendré des retards dans le lancement de la nouvelle programmation. "À la fin du mois de juin 2022, 12% seulement des programmes prévus de la période 2021-2027 avaient été adoptés", rappelle-t-elle. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il est à craindre que la clôture de cette programmation ne manquera pas, elle-aussi, d’être ardue. On n’en est pas là.

Plus encore, la Cour relève que pour l’année 2020, "certaines exigences majeures" de la politique de cohésion ont été sacrifiées, "notamment le cofinancement obligatoire et la priorité donnée aux régions les moins développées". "La flexibilité apportée par CRII+ s’est traduite par une diminution globale des financements en faveur des investissements relevant de la politique de cohésion", ajoute-t-elle. La Cour attire donc l’attention de la Commission sur "le risque que le recours récurrent" à la politique de cohésion pour réagir aux crises "ait une incidence sur son principal objectif stratégique, à savoir renforcer la cohésion économique et sociale entre les régions d’Europe". Un risque que semble dénier la Commission (voir encadré). D’aucuns estiment au contraire qu’il est d’autant plus grand que d’autres dispositifs, tel REPowerEU, ne sont pas eux aussi sans la remettre en cause. Ce que soulignaient il y a peu, parmi d’autres, Régions de France (voir notre article du 1er juin 2022) ou la commission REGI du Parlement européen (voir notre article du 30 mai 2022). 

  • Pas d’ombre au tableau pour la Commission

Dans son rapport de synthèse 2022 sur les fonds structurels et d’investissement européens (fonds ESI), publié le 30 janvier dernier, la Commission européenne se félicite que "les pays de l’UE ont fait usage de la flexibilité supplémentaire offerte par CRII et CRII+ ainsi que des fonds supplémentaires mis à disposition dans le cadre du plan de relance NextGenerationEU, y compris la facilité pour la reprise et la résilience ainsi que React-EU", ces flexibilités ayant "permis d’apporter un soutien aux populations, aux entreprises et aux collectivités régionales, pour les aider à faire face aux effets de la pandémie". Elle juge en revanche que ces initiatives (elle y ajoute celles relatives à l’Ukraine, Care et Fast-Care – voir notre article du 4 juillet 2022) "ont permis aux fonds ESI de s’acquitter de leur mission stratégique tout en s’attaquant à ces crises [sanitaire, énergétique "en passant par la crise du changement climatique à long terme"] sans précédent". Si elle observe que l’invasion russe de l’Ukraine "a affecté davantage encore la mise en œuvre des programmes", elle souligne que "la politique de cohésion a aidé les États membres et les régions à lutter contre la précarité énergétique et à faire baisser les factures énergétiques des ménages tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre et en créant des emplois durables dans les secteurs de la construction et du bâtiment".
La Commission note par ailleurs qu’à la fin d’octobre 2022, "elle avait versé 297 milliards d’euros en faveur des programmes de la politique de cohésion pour la période 2014-2020, soit environ 74% des fonds prévus, 104 milliards d’euros restant donc à verser".