Agriculture : la proposition de loi Duplomb renvoyée en commission mixte paritaire, sans débat à l’Assemblée
C'est une configuration assez inédite qui s'est jouée lundi à l'Assemblée nationale : les députés ont adopté une motion de rejet de la proposition de loi Duplomb sur l'agriculture... pour mieux la faire passer en commission mixte paritaire.

© @EddyCasterman
Un "49-3 déguisé". Au lendemain du vote d’une motion de rejet sur la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, dite "loi Duplomb", la colère de la gauche n'était pas retombée. À l’image de la députée LFI Manon Meunier (Haute-Vienne) qui a accusé la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, mardi, lors des questions au gouvernement, de se faire l’avocate de l’agro-industrie, ou de l’écologiste Benoît Biteau (Charente-Maritime) qui, lui s’est directement adressé à Arnaud Rousseau, le patron de la FNSEA, considéré comme le véritable inspirateur du texte. "Hier vous êtes venus avec quelques dizaines de syndiqués munis de tracteurs devant le palais Bourbon pour vous assurer qu’une majorité de députés déposeraient le contournement de l’examen de la loi Duplomb à l’Assemblée", a fustigé le député. Car, ironie de l’affaire, ce sont les partisans de ce texte sénatorial qui prévoit entre autres de réintroduire les néocotinoïdes à titre dérogatoire, qui ont voté son rejet par 274 voix (dont celles du Rassemblement national), contre seulement 121. Une manœuvre politique permettant de renvoyer directement le texte en commission mixte paritaire, en se privant d’un débat à l’Assemblée. Débat qui s’annonçait il est vrai interminable, avec quelque 3.500 amendements déposés. Autre manœuvre visant, elle, à faire obstruction à ce texte très clivant, mettant en lumière deux modèles agricoles opposés. "Vous êtes de tous les députés, Monsieur Biteau, celui qui a déposé le plus d’amendements. Comme le disait Bossuet, on ne peut pas déplorer les effets dont on chérit les causes. Vous avez voulu empêcher ce texte d’aller à son terme", a ainsi rétorqué la ministre. C’est précisément sur cette tentative "d’obstruction massive" que le rapporteur LR Julien Dive s’est appuyé pour déposer cette motion.
De quoi satisfaire en tous cas la FNSEA. "À partir du moment où le texte continue sa vie et ne fera pas l'objet d'obstruction (...), il n'y a pas de raison de continuer à être sur le terrain", a réagi Arnaud Rousseau, mardi sur BFM/RMC, annonçant une suspension de la mobilisation.
Agrandissement des exploitations
En CMP, les parlementaires partiront de la version arrêtée par le Sénat en janvier (voir notre article du 27 janvier). Aucune date n’est pour le moment fixée. Si la réintroduction des néocotinoïdes interdits en France depuis 2018 mais autorisés en Europe jusqu’en 2033 est l’un des principaux points de crispation, le texte prévoit d’alléger les contrôles. Il vise à faciliter le stockage de l'eau pour l'irrigation des cultures. Au nom de la souveraineté alimentaire, l'agrandissement des bâtiments d'élevage serait également allégé. Les seuils d’élevage nécessitant une autorisation environnementale se verraient alignés sur la directive européenne relative aux émissions industrielles. On passerait ainsi de 40.000 à 85.000 pour les poulets, de 2.000 à 3.000 pour les porcs ou de 400 à 500 pour les bovins à viande. "La seule chose que fait ce texte, c’est d’accélérer l’agrandissement d’exploitations toujours plus difficiles à transmettre", a dénoncé Manon Meunier, accusant la ministre d'avoir manqué de courage. "Ce texte ne concerne pas la majorité des agriculteurs. Seuls 65 des 63.000 élevages bovins en France sont concernés", a-t-elle affirmé. Mais un autre enjeu guette l’agriculture française : la signature de l’accord avec le Mercosur que l’Allemagne souhaiterait voir aboutir rapidement. Interpellée par la députée RN Hélène Laporte, la ministre a assuré qu’elle ne ménageait pas ses efforts pour trouver une minorité de blocage. Elle aurait déjà obtenu le soutien de la Hongrie, de l’Autriche, de la Pologne, de l’Irlande et la Grèce.