Foncier agricole : net ralentissement de l’urbanisation, nouvelles concurrences et détournements d'usage

Pour la troisième année, la consommation des terres agricoles pour l'urbanisation est en nette baisse, atteignant un plancher inédit depuis trente ans. Mais l'apparition de nouvelles formes de concurrences (notamment liées au développement des énergies renouvelables) et les détournements d'usage de plus en plus fréquents invitent les Safer à la prudence.

Alors que tout le monde s’accorde à dire que la loi d’orientation agricole du 24 mars est passée à côté de la question du foncier, les dernières données de la Fédération nationale des Safer (sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural) sur les marchés fonciers ruraux en 2024, publiées le 22 mai, éclairent sur les tendances à l’œuvre. Protéger le foncier agricole "n’a jamais été aussi crucial", affirme, à l’entame de ce rapport annuel, le président de la fédération Emmanuel Hyest, qui s’inquiète du revirement actuel sur le zéro artificialisation nette (ZAN) formulé dans la loi Climat et résilience de 2021, avec la proposition de loi "visant à instaurer une trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux" (Trace), votée par le Sénat en mars, qui prévoit de nombreuses exemptions (voir notre article du 19 mars). "Il faut maintenir le cap, rester fermes", affirme Emmanuel Hyest. "L’enjeu, c’est la souveraineté alimentaire, la protection du potentiel de production agricole, le maintien de la biodiversité, le stockage du carbone ou encore la gestion des crues !", souligne-t-il. 

Plancher inédit des terres artificialisées

Pourtant, derrière ce plaidoyer, le rapport montre des signes d’amélioration avec un net ralentissement de l’urbanisation des terres. Et ce pour la 3e année consécutive. Les surfaces agricoles parties à l’urbanisation en 2024 ont baissé de 19,4%, pour atteindre 10.400 hectares. Un plancher inédit depuis 30 ans, se félicite le groupe Safer. On est loin en effet du rythme effréné d’il y a une quinzaine d’années (plus de 60.000 hectares par an), où l’on parlait de la disparition de l’équivalent de plusieurs départements chaque année. En trois ans, la diminution des espaces agricoles artificialisés est de 69%. Une diminution qui peut être mise à l’actif d’une prise de conscience liée au ZAN mais aussi au "contexte macro-économique (inflation, augmentation des coûts de construction, taux d’intérêt restant à un niveau élevé malgré leur baisse amorcée en 2024)", analyse le groupe. Résultat : les autorisations de logements ont baissé de 12,3% et les ouvertures de chantiers de 11,1% sur un an, constituant là encore un "seuil historique" au regard des dix dernières années. 

Attention toutefois à ne pas baisser la garde avec l’arrivée de "multiples concurrences", alors que le foncier agricole doit répondre à deux grands défis : la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations. D'ici 2035, 43% des chefs d'exploitation auront plus de 65 ans et le nombre d'exploitations devrait diminuer de 30%, rappelle le rapport "Évaluation des freins fiscaux et non fiscaux au renouvellement des générations en matière agricole" (Inspection générale des finances, CGAAER, 2024). Mais les terres se trouvent en concurrence avec la politique nationale pour la souveraineté énergétique (compensation écologique, développement de filières d’énergies renouvelables dans l’éolien, le solaire ou le biogaz), la réindustrialisation ou les politiques locales du logement.

Consommation "masquée"

Une pression qui va aller en s’accentuant avec la future programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) dont le décret est attendu cet été (voir notre article du 7 mai). Le cadre juridique de l’agrivoltaïsme évolue cependant vers une plus grande régulation : après la loi Aper de 2023 qui a apporté une définition selon laquelle la production agricole doit rester l’activité première de l’exploitation, la proposition de loi transpartisane "visant à assurer le développement raisonné et juste de l’agrivoltaïsme", adoptée par l'Assemblée en mars, cherche à éviter l’effet de concentration sur de grosses fermes (voir notre article du 26 mars).

En parallèle, le groupe Safer constate des détournements d’usage croissants, ne respectant pas les documents de planification, pour des usages de loisirs, du stockage informel (gravats, bois, carrosseries, ferraille…), des aménagements illicites (cabanons), pour se mettre à distance du voisinage, ou bien spéculer en vue d’une future constructibilité. Un phénomène loin d’être marginal puisque depuis 2018, cette "consommation masquée" est supérieure à l’urbanisation. Elle se chiffre environ à 45.000 hectares aujourd’hui !

Transversalité des politiques publiques

Ces différents usages plaident plus que jamais pour "une transversalité des politiques publiques" afin de protéger le foncier, estime le groupe. De plus en plus de reprises se font sous forme sociétaires, souligne-t-il encore. Pour la deuxième fois depuis la mise en œuvre de la loi Sempastous, la fédération des Safer peut en dresser un bilan précis : les transactions sous cette forme représentaient 8% du marché en 2024 mais 47% en valeur, à 3,7 milliards d’euros pour plus de 900.000 hectares (+3,5%). Les deux tiers de ces cessions se font au sein d’une même famille. 7% se font entre associés non familiaux. Et un quart en faveur d’un tiers. Seulement ces dernières représentent 50% des transactions en valeur pour 20% de la surface. Signe que ces acquéreurs sont prêts à mettre le prix fort, au détriment de jeunes agriculteurs qui, par définition, n’ont pas les mêmes moyens.

Un enjeu de taille avec le mur démographique qui s’annonce : 5 millions d’hectares de terres agricoles changeront de main d’ici 2030 du fait des nombreux départs à la retraite qui se profilent. Or le nombre de nouveaux agriculteurs reste bien inférieur à ceux qui partent à la retraite. Un texte visant à lutter contre la disparition des terres agricoles a été adopté en première lecture par les députés début mars (voir notre article du 13 mars). Cette proposition de loi transpartisane, défendue par le député socialiste Peio Dufau (Pyrénées-Atlantique), prévoit de renforcer les droits de préemption des Safer. A noter également, l'initiative des députés pour maintenir le cap du ZAN, à rebours du Sénat, avec la proposition de loi transpartisane déposée ce 21 mai (voir notre article du 22 mai).

Si la baisse de l’artificialisation des terres est une bonne nouvelle, le rapport rappelle les données de l’étude Teruti : entre 1950 et 2023, la surface agricole utile (SAU) est tombée de 35 à 27 millions d’hectares en France alors que la population à nourrir est passée de 40 à 68 millions d’habitants.

 

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