André Laignel : les collectivités menacées d'une "purge sans précédent"
Le projet de loi de finances (PLF) pour 2026, dans sa version initiale présentée mi-octobre, prévoit des coupes budgétaires estimées par André Laignel à au moins 7,4 milliards d'euros l'an prochain. Interviewé par Localtis à l'approche du 107e Congrès des maires et des présidents d’intercommunalité, le premier vice-président délégué de l'Association des maires de France (AMF) pointe le risque d'une "réduction brutale" de l'investissement public local, l'un des moteurs de la croissance économique. Il espère que l'examen parlementaire fera bouger les lignes. En sachant que le Premier ministre semble effectivement prêt à des assouplissements.
© Aurélie Roudaut/ André Laignel
Localtis Mag : Que pensez-vous des restrictions de moyens visant les collectivités, qui sont inscrites dans le projet de budget pour 2026 ?
André Laignel : Après le vote de la loi de finances pour 2025, le gouvernement avait parlé de ponctions de 2,2 milliards d'euros sur les collectivités territoriales. En réalité, elles se sont révélées être supérieures à 7 milliards. Pour 2026, les annonces sont à hauteur de 4,6 milliards. Mais le recensement auquel j’arrive fait état de 7,4 milliards d'euros de ponctions, sans compter la baisse de 700 millions d'euros des crédits de l'Anah, qui impactera nécessairement les collectivités. C’est une purge sans précédent par son ampleur et un véritable attentat à l’égard des collectivités territoriales.
Quelles conséquences redoutez-vous ?
Si les collectivités sont ponctionnées à la hauteur de ce qui est annoncé, leur épargne nette s'effondrera. Or, celle-ci avait déjà baissé de 30% sur la période 2023-2024 et elle continue de reculer en 2025. L’autre ressource qu’on avait, c’était la trésorerie. Mais elle a diminué globalement de 41% en 2024. Les collectivités ne pourront donc compenser une partie de la baisse de l'autofinancement que par l’endettement - alors que l'on veut lutter contre la dette sur le plan national ! Mais cela n'empêchera pas l'investissement public local de connaître une réduction brutale. Ce qui conduira automatiquement la France à la récession. Par ailleurs, si les ponctions restent en l'état, le niveau d’un certain nombre de services rendus à la population risque de baisser.
Le dispositif d'épargne forcée, le "Dilico", est reconduit et renforcé, avec un doublement de son montant, qui passe de 1 à 2 milliards d'euros.
En 2026, les collectivités qui étaient taxées en 2025 supporteront une facture plus élevée et de nouvelles collectivités seront touchées. Mais surtout, un système de contractualisation totalement illégal - puisque c’est l’État qui décide seul des clauses - doit être mis en place. Le dispositif est pire que celui des "contrats de Cahors" : il touchera plus de collectivités et ce sont les résultats globaux de l'évolution des dépenses totales de chaque niveau de collectivités, en comparaison de la croissance du PIB, qui serviront à savoir si les collectivités seront remboursées ou non. Avec cette clause, les collectivités ne reverront jamais ce qui est censé leur être remboursé. Le seul moyen de rester dans les clous sera de cesser d’investir.
Comment l'investissement des collectivités se porte-t-il aujourd'hui ?
Les départements annoncent à mi-année une baisse de 15% de leurs investissements. Ceux des régions seront probablement aussi en baisse en 2025. En cette année précédant les élections, les communes enregistreront, elles, une hausse d'environ 4% de leurs investissements, selon les projections. Ce qui est à peine la moitié de la croissance que ceux-ci avaient connu en 2019, année équivalente du précédent cycle. Il y a donc un frein à l'investissement, qui est relativement important.
Le gouvernement réduit les moyens des collectivités et, en même temps, il souhaite qu’elles répondent aux objectifs nationaux. Les deux orientations sont-elles compatibles ?
On ne peut pas demander aux collectivités par exemple d'investir 10 milliards d'euros par an pour la transition écologique et, dans le même temps, continuer à restreindre leurs moyens d’action. Nous sommes dans une contradiction fondamentale. Malheureusement, c’est un cas assez classique de la part de l’État.
Quels arbitrages les élus locaux peuvent-ils prendre dans ce contexte ?
C’est une question qui se décide commune par commune. Je pense que l’immense majorité des maires préférera préserver ses services publics locaux. Parce que nous sommes en responsabilité face à des concitoyens qui ne sont pas lointains : nous les croisons dans la rue.
Comment les collectivités font-elles pour préparer leurs budgets pour 2026 ?
Les maires sont comme des pilotes d’avion qui seraient dans la tempête et sans instruments de bord. Ça peut parfois donner des résultats catastrophiques, en tout cas en aviation.
Est-ce qu’ils doivent inscrire dans les projets de budget des prévisions fondées sur le PLF tel qu’il a été présenté mi-octobre ?
On peut être un peu plus optimiste. Le gouvernement ne tiendra pas sur cette ligne. J’espère en effet que le fait qu’il n’y ait plus de "49.3" permettra de faire évoluer massivement ce qui nous est proposé, qui est un "musée des horreurs". Mais si le budget des collectivités restait en l’état, je serais de ceux qui réclameraient une censure.
Qu'est-ce que réclame l’AMF ?
L’AMF demande prioritairement l’annulation du Dilico, la revalorisation de la DGF [dotation globale de fonctionnement] à hauteur de l’inflation, le maintien des dotations d’investissement et la compensation intégrale des suppressions d’impôts locaux. Nous demandons aussi un moratoire sur toutes les normes qu’on nous impose. Dans le mois où il n’y avait plus de gouvernement, le CNEN [Conseil national d'évaluation des normes] a été saisi de 27 normes nouvelles !
Comment accueillez-vous l’annonce par le Premier ministre de la présentation prochaine d’un projet de loi de décentralisation ?
Ça ressemble furieusement à une opération de diversion. Comment peut-on nous parler de décentralisation, alors qu’on recentralise massivement dans le même temps, en nous supprimant les moyens de la liberté ? On nous dit que tout ça devrait entraîner des économies, ce qui est une plaisanterie absolue. Et on va bidouiller en faisant des transferts de compétences entre collectivités, ce qui est le meilleur moyen d’essayer de les diviser. Nous avons répondu par un courrier au Premier ministre en demandant une vraie décentralisation, avec un État limité aux compétences qui lui sont dévolues et la restauration de l’autonomie fiscale et financière des collectivités.