David Lisnard : "La démocratie doit reprendre le pouvoir sur la bureaucratie"
Décentralisation, liberté, subsidiarité... Autant de maîtres-mots que le président de l'Association des maires de France brandit inlassablement en faveur des communes et, plus globalement, de "l'efficacité des services publics". En vue du 107e Congrès des maires et des présidents d’intercommunalité, David Lisnard revient pour Localtis sur le contexte politique du moment, le projet de loi de finances, les enjeux propres aux communes rurales... avec, en ligne de mire, les élections municipales de mars prochain.
© Arnaut Février pour l'AMF/ David Lisnard
Localtis - Le congrès des maires s'ouvrira - encore une fois - après une phase politique pour le moins instable… Vous avez déclaré que si le pays n'a pour autant pas été "à l'arrêt", ce fut notamment grâce à l'action publique locale. Ne craignez-vous pas toutefois que ce qui s'est passé au niveau national ait eu un impact en termes d'image et de confiance des citoyens à l'égard de l'ensemble des responsables politiques ?
David Lisnard - Les maires sont de loin la figure institutionnelle dans laquelle les citoyens ont le plus confiance, entre 68% et 70% selon les sondages. Et cette confiance est restée stable ces derniers mois, car ils continuent de faire avancer les projets sur le terrain, malgré toutes les contraintes, et de faire fonctionner les services publics locaux.
Ce 107e Congrès des maires et des présidents d’intercommunalité, ainsi que son Salon, seront l’occasion de porter un message : pour les communes, liberté ! Liberté d’agir face aux contraintes normatives, budgétaires, bureaucratiques que nous subissons et qui freinent toutes nos actions. Nous portons ce message, car nous sommes convaincus qu’il est bon pour le pays, pour ses finances, pour l’efficacité des services publics, pour les usagers.
Surtout, nous défendons cette liberté pour toutes les autres sphères institutionnelles et politiques, qui doivent elles aussi se défaire du carcan dans lequel elles se sont enfermées depuis des années et qui les empêchent d’agir. La démocratie doit reprendre le pouvoir sur la bureaucratie.
Nous avons en tout cas un gouvernement au complet… Avec un Premier ministre, ancien élu local, et à ses côtés une ministre de l'Aménagement du territoire et de la Décentralisation, Françoise Gatel, que l'AMF connaît fort bien, ainsi que deux représentants d'associations d'élus du bloc communal... Est-ce que ce "casting" représente pour vous un préalable a priori prometteur ?
Beaucoup sont des personnalités intéressantes et de qualité. Le problème est qu’il n’y a pas de scénario. Ce ne sont malheureusement ni le casting ni les intentions affichées qui permettront de résoudre les difficultés que nous traversons et qui sont connues depuis longtemps. L’AMF, souvent en lien avec les autres associations de collectivités locales, alerte depuis des années sur les effets d’une recentralisation rampante : perte de temps et d’argent, perte d’autonomie financière, multiplication des normes, procédures bloquantes, dégradation des comptes publics. Nous avons en France plus de dépense publique qu’auparavant, plus de prélèvements obligatoires et des services publics défaillants. Nous ne nous en sortirons pas avec des mesurettes. C’est d’une réforme profonde dont nous avons besoin.
Trop souvent, les textes censés décentraliser ont, au contraire, renforcé la centralisation – comme les lois Maptam et NOTRe, qui ont consacré le culte des grands ensembles et ajouté de nouvelles strates normatives.
Nous ne faisons aucun procès d’intention et les ministres que vous citez sont tous de fins connaisseurs de nos réalités locales. Mais, dans la situation politique que nous traversons, notamment avec une Assemblée nationale sans majorité, aucune réforme d’ampleur n’est possible. C’est pourtant ce dont nous avons besoin. Même un texte consensuel dit du "statut de l’élu", dont nous saluons les avancées, aura nécessité deux ans avant son adoption définitive.
Sébastien Lecornu a très vite fait part de sa volonté de lancer un "grand acte de décentralisation", en a succinctement présenté l'axe général, qui inclut une redéfinition du rôle de l'Etat… et a demandé aux associations d'élus de lui faire part de leurs contributions. Considérez-vous que le timing proposé est le bon ? Et comment résumeriez-vous la teneur des principales attentes et propositions de l'AMF ?
Les réalités, budgétaire de l’Etat, politique à l’échelle nationale et électorale avec les municipales, rendent cette intention à tous les maires incertaine. Mais l’AMF, dont la vocation est de promouvoir les libertés locales, se saisit de toute opportunité en faveur de la décentralisation. Notre association propose depuis longtemps une vaste réforme pour la liberté locale d’action, qui doit consister d’abord à définir clairement, à travers une loi organique prévue à l’article 34 de notre Constitution, ce qu’est la libre administration des collectivités territoriales.
C’est le sens de la réponse que nous avons adressée au Premier ministre en rappelant les principes structurants qui doivent être au préalable validés par l’Exécutif et guider une vraie décentralisation des communes, à savoir le principe de la subsidiarité ascendante, le respect de la clause de compétence générale, la libre administration, l’autonomie financière et fiscale des collectivités, un véritable pouvoir réglementaire local et le contrôle des moyens et des normes. La réflexion doit s’engager sur ces bases et ne pas se polariser sur des transferts de compétences comme autant de charges que l’État ne souhaite plus financer, telles que la santé ou le logement.
Le projet de loi de finances pour 2026, du moins dans sa version initiale, comprend des mesures plutôt drastiques pour les finances locales. La fronde avait déjà été vive l'an dernier… Quel regard porte l'AMF sur ces dispositions, dont le fameux "Dilico 2" ? Et la fusion des dotations d'investissement dans un "fonds d’investissement pour les territoires" vous semble-t-elle pertinente ?
Il faut impérativement rétablir les comptes publics, catastrophiques pour les déficits du système social et de l’Etat, qui ne sont pas soumis à la règle d’or.
L’AMF est opposée à ce budget qui aggrave les causes de l’effondrement des comptes publics, avec un "centralisme" qui prélève toujours plus sur les ressources des collectivités pour alimenter un État qui ne se réforme pas ; et qui aura un effet aussi sur l’économie, compte tenu du poids des collectivités dans l’investissement public, près de 70%.
Les prélèvements supplémentaires de l’Etat sur les collectivités locales, qui étaient estimés pour 2025 par le gouvernement à 2,2 milliards d’euros, sont cette année annoncés à 4,6 milliards d’euros. Ce chiffre est très en deçà de la réalité, puisqu’il ne comprend pas de nombreuses charges supplémentaires qui nous sont imposées pour et par l’Etat. Le Comité des finances locales les évalue à environ 7,7 milliards d’euros.
Le budget de l’année dernière devait être exceptionnel, on nous promettait des dispositifs qui ne seraient pas reconduits. Or, une fois encore, l’État ne respecte pas ses engagements. Cela alimente une crise de la confiance, qui n’est pas propre aux collectivités, mais touche aussi les entreprises et les ménages, et qui rend d’autant plus difficile d’agir et de se projeter dans des investissements de long terme.
Le Dilico correspond à un prêt imposé aux collectivités pour l’État. L’an dernier, son montant s’élevait à 1 milliard d’euros ; il atteint désormais 2 milliards. Comme pour tout prêt, ces sommes devaient être remboursées, mais ce ne sera finalement le cas que sous certaines conditions, étalées sur cinq ans, et seulement à hauteur de 80%. En résumé, les collectivités agissent comme des prêteuses… tout en supportant, en plus, le coût des intérêts ! Et très probablement à la fin, sans être remboursées…
La fusion des dotations d’investissements (DETR, DSIL, DPV) au sein du nouveau Fonds d’investissement des territoires s’accompagne d’une baisse générale de leur montant.
Enfin, ce budget va générer dans de nombreux cas un accroissement des impôts locaux, sans accroissement des moyens locaux : le gouvernement augmente en effet la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) qu’il perçoit sur l’enfouissement et l’incinération des déchets de 10% par an, jusqu’en 2030, ce qui correspond à une hausse de 60% du tarif en six ans ! Les coûts se répercuteront sur les budgets des intercommunalités et in fine sur l’usager via la taxe d’ordures ménagères.
Les collectivités ont déjà largement participé à "l’effort de redressement des finances publiques". Rien que pour la DGF, censée appartenir au bloc communal, 82 milliards d’euros ont été captés par l’Etat depuis 2010. Or, plus il nous ponctionne, plus il est en déficit ! Cela montre bien qu’un système hypercentralisé n’est pas performant.
En contrepoint, les ministres mettent en avant le fait que l'allégement des normes pesant sur les collectivités permettra de leur donner de nouvelles marges de manœuvre, y compris financières. Un sujet qui vous est cher. Dans quelle mesure pensez-vous que cette Arlésienne pourra prochainement se traduire concrètement ?
Au moment où nous nous parlons, je n’ai eu connaissance d’aucune proposition visant à alléger les normes. Au contraire : durant la vacance gouvernementale de septembre, les collectivités ont reçu, de l’administration, vingt-sept nouveaux textes réglementaires à appliquer. Il n’y a même plus besoin de ministres et de parlementaires pour ajouter des contraintes…
Que peut-on dire des priorités du moment de l'AMF pour ce qui concerne plus spécifiquement la ruralité ? Entre accès aux soins et aux services publics, problématiques à la fois agricoles et foncières, difficultés d'accès aux aides et à l'ingénierie… les enjeux ne manquent pas.
L’AMF est la première association représentative des communes rurales, avec plus de 33.000 communes concernées adhérentes. Elles sont donc au cœur de nos travaux et se mobilisent autour de trois attentes principales.
D’abord l’ingénierie. Les élus ruraux font beaucoup avec peu. Il faut d’ailleurs souligner que l’immense majorité est bénévole. Pour l’AMF, il faut leur donner les moyens d’agir sans dépendre des appels à projets. Cela passe par les liens avec les départements, les intercommunalités au service des communes et non la supracommunalité, la sauvegarde de la présence postale, le déploiement du numérique, et la valorisation des secrétaires de mairie, véritables piliers de l’action locale. Sur tous ces sujets, nous avons obtenu des avancées ces dernières années.
Ensuite, les moyens financiers dont nous avons déjà parlé. En freinant l’investissement local, moteur du développement rural, l’État prive le pays d’une vitalité économique essentielle. L’AMF est aussi la seule association d’élus à contester dans ce budget la fusion des dotations qui sonnera la disparition de la DETR affectée à la ruralité, dans un grand ensemble plus flou. L’AMF a également obtenu l’an passé le maintien du dispositif ZRR, devenu FFR, sans réduction des bénéficiaires.
Enfin, la maîtrise du foncier, qui passe notamment par une meilleure adaptation des normes. Si vous prenez le dispositif ZAN, artificialiser un hectare pour un centre de santé en zone rurale ne saurait être jugé comme en zone urbaine. L’AMF porte dans le cadre d’une vaste réforme de la décentralisation la création d’un pouvoir d’application pour les maires, afin que la loi puisse respecter nos réalités. Tout texte législatif et réglementaire devrait d’ailleurs être précédé d’une réelle étude d’impact de ses conséquences notamment pour les communes rurales.
La ruralité a toujours été une priorité de l’AMF. N’oublions pas que ces sujets concernent 88% des communes et 33% de la population.
L'AMF a initié une campagne pour "encourager l'engagement" afin de susciter des vocations en vue de ces élections municipales… Doit-on craindre une "crise des vocations" ?
Si le nombre de démissions a explosé, phénomène que nous avons révélé et étudié à l’AMF, et dont les ressorts tiennent à la difficulté constante de mener des projets municipaux, ce qui génère ensuite des tensions, rien ne permet d’affirmer avec certitude qu’il y aura une crise de l’engagement aux prochaines élections municipales.
C’est une élection unique au monde, avec 1 million de citoyens qui se portent candidats pour près de 500.000 élus, dont 80% sont bénévoles. Dans tous mes déplacements, je rencontre des citoyens prêts à se mobiliser pour la collectivité, dans des associations, par des actions temporaires ou dans les conseils municipaux. Il existe une force civique puissante en France.
Nous verrons en mars prochain. D’ici là, j’observe que le Congrès de cette année bat tous les records de participation avec près de 12.000 élus attendus et plus de 70.000 visiteurs au Salon. La commune, c’est l’avenir !