Ce gouvernement Lecornu qu'on n'aura pas connu

De la composition du gouvernement Lecornu annoncée dimanche soir, on avait notamment retenu la nomination d'Eric Woerth en tant que ministre de l'Aménagement du territoire, de la Décentralisation et du Logement. De quoi se replonger, en vue de la réforme de la décentralisation prévue par le locataire de Matignon, dans le rapport Woerth de mai 2024. Jusqu'au coup de théâtre de l'annonce, 12 heures plus tard, de la démission de ce même gouvernement. Ce sont toutefois les nouveaux ministres démissionnaires qui sont en charge des affaires courantes. Et l'Elysée demande à Sébastien Lecornu de mener d'"ultimes négociations" d'ici mercredi soir. Rapide rembobinage de cet épisode institutionnel et politique inédit.

Dimanche 5 octobre, 19h35. Le secrétaire général de l'Elysée, Emmanuel Moulin, annonce la composition du gouvernement Lecornu. Ou plus précisément énonce les noms de 18 ministres, étant entendu que quelques autres nominations doivent intervenir dans les jours à venir, pour une équipe au complet d'environ 25 membres.

Sur ces 18 premiers noms, pas moins de 12 faisaient déjà partie du gouvernement Bayrou et se voient renommés à leur poste ou à un autre. Bruno Retailleau à l'Intérieur, Gérald Darmanin à la Justice, Elisabeth Borne à l'Education nationale, Manuel Valls aux Outre-mer, Catherine Vautrin au Travail et à la Santé, Annie Genevard à l'Agriculture, Jean-Noël Barrot aux Affaires étrangères, Rachida Dati à la Culture... Du côté du ministère de l'Economie, Eric Lombard laisse sa place au député Renaissance Roland Lescure.  Aux Comptes publics néanmoins, Amélie de Montchalin conserve son poste en vue de la prochaine discussion budgétaire.

Eric Woerth à Roquelaure

A Localtis, d'emblée, on retient évidemment surtout l'entrée en scène d'Eric Woerth, nommé ministre de l'Aménagement du territoire, de la Décentralisation et du Logement. La veille, samedi 4 octobre, le précédent titulaire du poste, François Rebsamen, avait fait savoir par communiqué qu'il ne comptait pas faire partie du gouvernement Lecornu. "Mes convictions d'homme de gauche (…) et ma conception de la décentralisation m'ont conduit à faire ce choix", arguait-il, tout en se félicitant d'avoir "engagé beaucoup de réformes" (sont citées : le statut de l'élu, "la simplification de la gestion des collectivités" et la Corse). On imaginait de toute façon assez mal François Rebsamen rester en poste après s'être plaint dans la presse, deux semaines plus tôt, du fait de ne pas avoir été consulté sur la réforme de la décentralisation envisagée par Sébastien Lecornu.

En tout cas, ce projet de lancement d'un "grand acte de décentralisation" annoncé dès le 13 septembre donne de facto un sens à la nomination d'Eric Woerth, dont le nom reste associé au fameux rapport de mai 2024 sur le sujet, avec ses 51 propositions auxquelles on se réfère encore régulièrement (voir notre article sur ce rapport). Que ce soit ses préconisations relativement consensuelles… ou d'autres clairement plus clivantes comme un semi-retour du conseiller territorial. On imagine déjà les associations d'élus locaux se replonger dans les 160 pages de ce document pour positionner leurs arguments et contributions (contributions que Sébastien Lecornu disait attendre pour le 31 octobre – voir notre article du 22 septembre).

Les passations de pouvoir sont programmées

Ce dimanche soir, on se dit qu'on détaillera tout cela le lendemain. On le fera au fil de la journée. Peut-être recevra-t-on de premières réactions d'associations d'élus ou d'autres représentants des acteurs territoriaux. Et puis cela permettra de suivre la passation de pouvoir entre François Rebsamen et Eric Woerth prévue ce lundi 6 octobre à 14h. Les autres membres démissionnaires du "pôle Roquelaure" doivent d'ailleurs eux aussi être de la partie : Valérie Létard (Logement), Philippe Tabarot (Transports), Françoise Gatel (Ruralité), Juliette Méadel (Ville). Sachant que seul Philippe Tabarot est reconduit. Valérie Létard s'était quant à elle vu confirmer qu'elle "serait appelée dans la semaine pour compléter le gouvernement", indique son entourage. Sauf qu'elle ne souhaite pas se réengager : "Ni dans les priorités affichées, ni dans la composition du gouvernement, je ne retrouve les signaux nécessaires pour relancer une véritable politique du logement", indique-t-elle tard dimanche soir sur le réseau X. 

D'autres passations de pouvoir sont également programmées : entre Eric Lombard et Roland Lescure ; entre Marie Barsacq et Marina Ferrari qui quitte le tourisme pour récupérer le sport ; entre Laurent Marcangeli et Naïma Moutchou qui reprend le portefeuille "de la transformation et de la fonction publique", élargi au passage à celui "de l’intelligence artificielle et du numérique" qu'occupait Clara Chappaz…

Les invitations à la presse tombent tôt ce lundi matin dans les boîtes mail. On sait aussi qu'à 16h se tiendra le premier Conseil des ministres de Sébastien Lecornu. Puis que mardi après-midi, on aura la déclaration de politique générale du Premier ministre à l'Assemblée. Mercredi ce sera au Sénat. Et la présentation du projet de loi de finances est théoriquement elle aussi imminente. L'agenda du début de la semaine est donc à peu près calé. Raté.

"Les conditions n'étaient plus remplies"

Le communiqué de l'Elysée tombe à 9h45. "Monsieur Sébastien Lecornu a remis la démission de son gouvernement au Président de la République, qui l’a acceptée." Déflagration politique, écrit par exemple l'AFP.

"Les conditions n'étaient plus remplies", déclare à 10h45 dans la cour de Matignon celui qui avait été nommé le 9 septembre, regrettant "les appétits partisans" qui ont conduit à sa démission. Une allusion claire à Bruno Retailleau qui dimanche soir, bien que reconduit à l'Intérieur, avait remis en cause la participation des Républicains au gouvernement à peine celui-ci formé. Principal objet de la rupture : l'arrivée surprise aux Armées de Bruno Le Maire. Mais aussi la large part réservée à Renaissance dans le gouvernement (10 ministres, contre 4 à LR).

Les partis politiques "continuent d'adopter une posture comme s'ils avaient tous la majorité absolue", déplore également Sébastien Lecornu, reconnaissant que son offre de renoncer au 49.3 pour redonner la main au Parlement n'a "pas permis ce choc de se dire qu'on peut faire différemment". Selon lui, les consultations menées "depuis trois semaines" avec les partenaires sociaux et l'ensemble des formations politiques avaient pourtant "permis d'avancer sur un certain nombre de sujets" et il aurait "suffi de peu pour que cela fonctionne".

Toute la journée, les conjectures vont bon train. Que va faire Emmanuel Macron ? Dissoudre comme le demande le RN, démissionner comme le voudrait LFI ou renommer un nouveau Premier ministre ?

Sébastien Lecornu se rend dans l'après-midi à l'Elysée pour un entretien de près d'une heure avec le chef de l'Etat, puis au Sénat pour échanger avec Gérard Larcher. Rien ne filtre alors sur les intentions d'Emmanuel Macron quant aux raisons de ce rendez-vous, mais des spéculations évoquent l'option de voir Sébastien Lecornu reconduit pour tenter de former un nouveau gouvernement.

Quid des affaires courantes ?

Parallèlement, dès ce lundi matin, une autre question : qui pour gérer les fameuses "affaires courantes" ? Le précédent gouvernement démissionnaire (l'équipe Bayrou) ou le nouveau gouvernement lui aussi démissionnaire, nommé à peine 12 heures plus tôt mais dont la composition avait bien été officialisée par décret dimanche soir ? Une question qui circule notamment sur les boucles Whatsapp des attachés de presse des ministres sortants. Réponse : ce sont bien les "nouveaux démissionnaires" qui vont gérer les affaires courantes. Par exemple Eric Woerth pour les collectivités et le logement. Ou Roland Lescure pour l'économie. Chacun d'eux va d'ailleurs même pouvoir nommer 15 conseillers et former ainsi un vrai cabinet pour l'"épauler dans les affaires courantes". Ce qui peut laisser à penser qu'ils sont là pour un petit moment.

Une exception avec Bruno Le Maire, qui annonce sur X en fin d'après-midi se "retirer du gouvernement sans délai et "transférer [ses] responsabilités de ministre des Armées au Premier ministre" pour permettre "la reprise des discussions en vue de former un nouveau gouvernement dont la France a besoin".

A 18h, l'Elysée fait savoir que "le président de la République a confié à M. Sébastien Lecornu, Premier ministre démissionnaire en charge des affaires courantes, la responsabilité de mener, d'ici mercredi soir, d'ultimes négociations afin de définir une plateforme d'action et de stabilité pour le pays". Négociation ne veut toutefois pas nécessairement dire renomination et perspective d'un gouvernement Lecornu II. Vingt minutes plus tard, l'intéressé déclare sur X : "J’ai accepté à la demande du Président de la République de mener d’ultimes discussions avec les forces politiques pour la stabilité du pays. Je dirai au chef de l’Etat mercredi soir si cela est possible ou non, pour qu’il puisse en tirer toutes les conclusions qui s’imposent." Emmanuel Macron "prendra ses responsabilités" en cas de nouvel échec de ces discussions, répond ensuite l'entourage du chef de l'Etat. Il est 19h35. 24 heures chrono. Des rebondissements nocturnes n'étaient pas à exclure.

 

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