Commande publique et hausse des prix : une circulaire tire les conséquences de l’avis du Conseil d’État

Une nouvelle circulaire de la Première ministre sur les conditions d’exécution des contrats de la commande publique dans le contexte d’envolée des prix vient traduire les récentes clarifications apportées par le Conseil d’État dans son avis. Des consignes que les préfets auront la charge de faire respecter, notamment en sensibilisant les collectivités aux principes énoncés pour la modification des clauses financières et l’octroi d’indemnités d’imprévision.  

La Première ministre, Élisabeth Borne, vient d’adresser aux préfets une nouvelle circulaire - mise en ligne le 4 octobre - afférente aux conditions d'exécution et de modification des contrats de la commande publique dans le contexte de hausse des prix de l’énergie et de certaines matières premières. Fin mars, son prédécesseur, Jean Castex avait également, par voie de circulaire, rappelé les solutions pouvant être mises en oeuvre face à cette situation exceptionnelle. Des recommandations aux acheteurs qui se sont avérées souvent inadaptées, mais que les collectivités notamment, se sont employées malgré tout à mettre en œuvre.
Au regard des difficultés signalées s’agissant en particulier des modalités de compensation des surcoûts subis par les entreprises, le gouvernement a sollicité l’éclairage du Conseil d’État. Les clarifications attendues ont été remises, le 15 septembre, dans un avis, aussitôt décrypté par la direction des affaires juridiques (DAJ) de Bercy dans une fiche technique. Principal enseignement : si le prix contractualisé ne peut, en principe, être modifié, ce principe n’est pas absolu et connaît des exceptions. La circulaire vient pour enfoncer le clou et veiller à l’application des consignes. Il s’agit à nouveau pour les préfets de "sensibiliser les collectivités territoriales et leurs établissements publics, dans le respect de leur libre administration, sur l’importance des règles et principes énoncés", relève-t-elle. 

Cas du prix révisable

La Première ministre réaffirme tout d’abord "l’obligation de prévoir des prix révisables pour de nombreux marchés publics". Le code de la commande publique (R. 2112-13) l’impose dans les cas où "les parties sont exposées à des aléas majeurs du fait de l'évolution raisonnablement prévisible des conditions économiques pendant la période d’exécution des prestations". Il en est ainsi pour les marchés de denrées alimentaires, mais aussi pour certains contrats de fourniture de gaz et d’électricité, illustre-t-elle. Le recours à un prix ferme est par ailleurs prohibé, rappelle-t-elle, pour les marchés d'une durée supérieure à trois mois qui reposent sur une part importante de fournitures, notamment de matières premières, dont le prix est directement affecté par les fluctuations de cours mondiaux (R. 2112-14). C’est notamment le cas pour de nombreux marchés de travaux et des marchés de transports. Ces obligations devront "être impérativement respectées dans les futures procédures de passation des marchés", martèle la circulaire (comme la précédente), qui demande également aux acheteurs de ne pas insérer de clauses butoirs ou de sauvegarde dans leur cahiers des charges. 

Modifications du contrat initial

Pour faire face à la hausse sans précédent du prix des matières premières et composants, le premier réflexe est celui de la modification des spécifications techniques et conditions d’exécution, par exemple en substituant un matériau à celui initialement prévu et devenu introuvable ou trop cher, en modifiant les quantités ou le périmètre des prestations à fournir, ou en aménageant les conditions et délais de réalisation des prestations pour pallier les difficultés provoquées par cette situation. La portée de ces dispositions "ne soulève pas de difficultés particulières", estime la circulaire. En revanche, les choses se corsent pour ce qui est de l’application d’une modification "sèche" des clauses financières du contrat, c’est-à-dire portant exclusivement sur le prix. Fort heureusement, la marche à suivre est désormais précisée dans l’avis du Conseil d’État, que la circulaire ne fait que paraphraser. 

Pour rappel, deux hypothèses de modification des marchés publics sans nouvelle procédure de mise en concurrence le permettent : l’utilisation des circonstances imprévues de l'article R.2194-5 (R.3135-5 s’agissant des contrats de concession) et les modifications de faible montant de l’article R.2194-8 (R.3135-8). Le fondement des modifications non substantielles du contrat (R.2194-7/R.3135-7) ayant quant à lui été bouté par le Conseil d’État. La fiche de la DAJ a d’ores et déjà décrypté ces deux pistes en détail…La circulaire soulève néanmoins quelques points de vigilance. L’acheteur devra en particulier "vérifier la réalité et la sincérité des justificatifs apportés par les titulaires pour éviter de payer des sommes sans lien avec les circonstances imprévisibles ou dont la réalité ne serait pas objectivement justifiée". Des recommandations similaires visent les modifications de faible montant, lesquelles devront "être dûment justifiées" et respecter le principe de bonne utilisation des deniers publics. La circulaire rappelle par ailleurs un principe important mentionné dans l’avis : les modifications du contrat en cours, même lorsqu’elles sont rendues nécessaires par des circonstances imprévisibles, "ne sont pas de droit" et ne peuvent être effectuées qu’avec l’accord de l’autorité contractante. 

Droit à indemnité sur le fondement de l'imprévision

Il est par ailleurs possible de faire jouer la théorie de l’imprévision qui permet d’indemniser le cocontractant au titre des charges extra-contractuelles qui entraînent un bouleversement de l’équilibre du contrat. À cet égard, la circulaire apporte aussi des précisions utiles sur les modalités de calcul et de versement de l’indemnité. Notons que le seuil de 50% par modification du montant du contrat initial, lorsqu’il est conclu pas un pouvoir adjudicateur, ne s’applique pas au calcul de l’indemnité d’imprévision "qu’elle soit convenue entre les parties ou fixée par le juge".
Pour la détermination de l’indemnité, la jurisprudence laisse traditionnellement à la charge du titulaire "une partie de l’aléa" (variant de 5 à 25% du montant de la perte effectivement subie) en fonction des circonstances et compte tenu des profits dégagés par l’entreprise dans le cadre du contrat en dehors de la période d’imprévision, remarque la circulaire. "Si le montant définitif de l’indemnité d’imprévision doit être évalué à la fin du contrat, cette indemnité doit, au moins en partie, être versée de façon aussi proche que possible du moment où le bouleversement temporaire de l’économie du contrat en affecte l’exécution", ajoute-t-elle. Les parties peuvent donc s’accorder dans la convention d’indemnisation sur des indemnités prévisionnelles. 

Il est aussi possible d’envisager la résiliation à l’amiable du contrat. Sachant que dans l’hypothèse d’une "résiliation différée" (le temps d’organiser une nouvelle procédure de mise en concurrence), la circulaire précise que le titulaire a droit à une indemnité d’imprévision pour la partie du contrat qu’il reste à exécuter et si les conditions sont réunies. 

Gel des pénalités de retard

La Première ministre demande de suspendre les pénalités de retard prévues dans le contrat tant que les entreprises sont dans l’impossibilité de s’approvisionner dans des conditions normales, comme cela avait été le cas avec l'ordonnance n°2020-319 du 25 mars 2020 dans le cadre de la crise sanitaire liée au Covid-19. Une position déjà prise en la matière dans la précédente circulaire.

Une dernière précision concerne les contrats de droit privé, qui "peuvent être renégociés en application de l’article 1195 du code civil", et dans les conditions prévues aux articles  R.2194-5 et R.3135-5 (circonstances imprévues), voire le cas échéant R.2194-8 et R.3135-8 (faible montant).