Comment les maires ruraux s'organisent sur le terrain pour lutter contre les violences et les inégalités
Porté par l'Association des maires ruraux de France, le dispositif "Élus ruraux relais de l'égalité" (Erre) forme et accompagne des milliers d'élus pour détecter, prévenir et agir face aux violences - notamment conjugales - et discriminations en milieu rural. Un maillage inédit, pensé pour répondre à l'isolement des victimes et pallier les carences de services publics.

© AMRF
Lancé en 2021 dans l'Yonne, à l'occasion des 50 ans de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), le dispositif "Élus ruraux relais de l'égalité" (Erre) est né d'un constat alarmant : près de 50% des féminicides se produisent en milieu rural alors que ces territoires ne regroupent qu'un tiers de la population féminine. En milieu rural, les femmes victimes de violences subissent souvent une "double peine", rappelait le Sénat dans un rapport publié en 2021, puisqu'elles sont "plus isolées, moins informées, et moins protégées" (voir notre article du 19 octobre 2021).
"C'est une urgence, on ne pouvait pas rester sans réponse", résume Dominique Chappuit, maire de Rosoy (Yonne) et vice-présidente de l'AMRF, qui co-anime avec Éric Krezel, maire de Ceffonds (Haute-Marne), le dispositif Erre. Inspiré d'un dispositif local de soutien aux victimes, Erre s'appuie sur la proximité des élus ruraux, "accessibles dès le premier mètre", pour détecter les signaux faibles, recueillir la parole et orienter les victimes vers les structures adaptées. Le réseau repose sur des élus communaux volontaires, accompagnés par un ou deux référents départementaux. "On met en place les actions avec nos bouts de ficelle et tant qu'elles sont utiles, on avance", insiste Dominique Chappuit, contactée par Localtis.
"Ne jamais renvoyer la personne vers un bureau de plus"
La mission d'un élu Erre ne se limite pas à la lutte contre les violences intrafamiliales. Le dispositif couvre aussi les discriminations raciales, LGBTQI+, liées au handicap ou à la précarité.
Les élus sont formés à l'accueil, à l'écoute bienveillante et à l'accompagnement des victimes, souvent dans un contexte de grande solitude. "Les élus nous disent parfois : je ne suis pas éducateur, je ne vais pas être à la hauteur. On les rassure : ce qui compte, c'est l'oreille attentive, sans jugement, et surtout de ne jamais renvoyer la personne vers un bureau de plus. Notre rôle c'est de les accompagner", insiste la vice-présidente de l'AMRF.
Des formations sont organisées en lien avec la gendarmerie et les associations spécialisées. Une plateforme numérique nationale, hébergée sur "Waller", centralise les outils, documents et contacts utiles. "Il suffit d'entrer le numéro de téléphone de la personne pour qu'elle accède à toutes les ressources", indique Dominique Chappuit avant de préciser qu'ils outillent "les élus comme les victimes".
Des partenariats avec le 3919 et les CIDFF
Le dispositif revendique une organisation "horizontale". Chaque territoire adapte Erre à ses partenaires et ses réalités. Dans certains départements, des conventions sont signées avec les préfectures ou les procureurs ; ailleurs, l'action s'appuie sur des associations locales. "On part du principe qu'il n'y a pas de verticalité. Ce n'est ni Lyon ni Paris qui décident pour les territoires. On s'adapte au local", rappelle la vice-présidente.
Si les violences touchent absolument tous les territoires et tous les milieux sociaux, les femmes rurales sont plus vulnérables car davantage exposées à la précarité économique, explique la Fédération nationale des centres d'information sur les droits des femmes (CIDFF). Les femmes rurales sont aussi moins nombreuses (26%) à appeler le 3919, numéro d'écoute des femmes victimes.
La peur du regard des voisins
Le dispositif s'ouvre aussi à la prévention auprès des jeunes via TikTok et des podcasts consacrés à la parole des victimes en milieu rural. Ainsi, l'AMRF héberge sur son site le podcast de Sandrine, "Les nouvelles filles de la campagne", qui "bouscule et balaye les idées reçues, les préjugés que l'on associe à la vie en campagne". Car à la campagne, les victimes de violences cumulent souvent plusieurs obstacles : isolement géographique et social, faiblesse du maillage associatif, peur du regard des voisins. "Dans les tout petits villages, ce n'est pas facile : la personne violente peut être au conseil municipal. Alors on trouve des solutions avec la commune d'à côté ou une association", explique Dominique Chappuit.
Ancienne victime "en pleine campagne", Marie anime aujourd'hui le podcast "Marie radieuse et libérée" sur Instagram et TikTok où elle raconte sa reconstruction. "Des centaines de femmes m'écrivent en me disant qu'elles sont complètement isolées, sans voiture ni compte bancaire à leur nom. Elles ont peur et n'arrivent pas à partir", témoigne la podcasteuse, devenue depuis quelques semaines partenaire officielle des maires ruraux. Pour l'heure, on retrouve sur son compte une vidéo présentant le dispositif Erre à sa communauté mais d'autres sont déjà en préparation. "Je lance des alertes. Des milliers de commentaires de femmes qui ne sont pas parties. Je raconte comment on peut faire pour partir, concrètement", explique la podcasteuse, contactée par Localtis, qui explique qu'elle cible "les mamans et également les jeunes filles".
"Aucune histoire ne ressemble à une autre", conclut la maire de Rosoy qui ne perd pas de vue son objectif : trouver une solution pour chaque victime.