Violences faites aux femmes : encore loin du compte, malgré la hausse des financements
Cinq ans après le Grenelle des violences conjugales, la commission des finances du Sénat dresse un constat mitigé : malgré un budget en hausse, la lutte contre les violences faites aux femmes reste dispersée, sous-financée et mal évaluée. Les rapporteurs spéciaux Arnaud Bazin et Pierre Barros appellent à une stratégie globale, un pilotage renforcé et une mobilisation accrue des collectivités et des fonds européens. Dimanche 6 juillet 2025, plusieurs associations et organisations féministes ont exhorté le Premier ministre à "sanctuariser" les financements dédiés aux associations qui accompagnent les femmes victimes de violences.

© @lillefrance/ Le Van "Nina et Simones"
Le rapport sénatorial sur l'évolution des financements de la lutte contre les violences faites aux femmes publié jeudi 3 juillet 2025 est sans détour : les violences faites aux femmes, qu'elles soient conjugales ou hors du couple, restent massives. Si le nombre de féminicides a baissé entre 2020 et 2023 (de 121 à 96 décès), les tentatives de féminicide ont, elles, presque doublé (de 238 à 451). En parallèle, les plaintes pour viols ou tentatives de viol ont bondi de 104 % en quatre ans, signe d'une libération de la parole mais aussi d'une réalité persistante du sexisme structurel. Les enquêtes de victimation font également état du caractère endémique des violences faites aux femmes, puisque 217.000 femmes ont été victimes d'au moins une agression sexuelle hors du couple en 2022.
Un financement dispersé
En réponse, l'État a significativement accru ses moyens : le budget du programme 137 "Égalité entre les femmes et les hommes" est passé de 36,5 millions d'euros en 2020 à 101,1 millions en 2024 (+176%). Mais le rapport souligne le décalage entre ces crédits et le coût réel estimé des violences, de 2,5 à 70 milliards d'euros par an. À ce déséquilibre s'ajoute une évaluation lacunaire de l'efficacité des dépenses : la budgétisation intégrant l'égalité reste balbutiante, les indicateurs de performance du programme 137 sont jugés inadaptés, et certaines valorisations – comme la prise en compte de l'enseignement moral et civique – apparaissent "discutables".
Collectivités et Europe : des leviers sous-exploités
Au-delà de l'État, les rapporteurs pointent le rôle clé – mais encore trop mal connu – des collectivités territoriales. Ces dernières financent déjà une part substantielle de l'hébergement d'urgence, des structures d'accompagnement ou de la prévention. Mais faute de suivi harmonisé, leur contribution reste " invisible ".
Quant aux fonds européens, rares sont les associations qui y recourent effectivement, alors qu'ils pourraient financer des actions locales innovantes. Les sénateurs plaident donc pour "développer la contribution des collectivités" et "mobiliser l'administration pour faciliter l'accès aux financements européens ".
Un pilotage administratif fragile
L'autre faiblesse est structurelle : l'administration dédiée, le service des droits des femmes et de l’égalité (SDFE), n'est ni une direction centrale, ni une véritable délégation interministérielle. Son réseau déconcentré reste sous-doté : 130 équivalents temps plein en 2025, contre 140 nécessaires selon la Cour des comptes. Résultat : des délégations départementales isolées, un pilotage morcelé et des acteurs locaux en manque de soutien.
Au quotidien, ce sont les associations spécialisées qui portent la politique de terrain : accompagnement juridique et psychologique, hébergement, écoute… Leur financement a bien progressé (+79 % depuis 2020) mais reste fragile, notamment à cause de subventions versées tardivement et rarement pluriannuelles. La prime Ségur, partiellement compensée par l'État, pèse également sur les budgets de structures déjà précaires.
D'ailleurs, dimanche 6 juillet, plusieurs associations et organisations féministes ont exhorté le Premier ministre François Bayrou à "sanctuariser" les financements dédiés aux associations qui accompagnent les femmes victimes de violences et à ne pas "sacrifier les femmes sur l'autel de l'austérité". "Monsieur le Premier ministre, nous vous demandons solennellement de sanctuariser, sans délai, les financements - déjà si faibles ! - dédiés aux associations qui accompagnent et protègent les femmes et les enfants victimes de violences", écrivent la Fondation des femmes, la Fédération Solidarité femmes, le Planning familial, Femmes Solidaires et la Fédération nationale des centres d'information sur les droits des femmes et des familles (FNCIDFF).
Des priorités claires mais difficiles à financer
En tout cas, le rapport insiste : il faut élargir l'action au-delà du couple, investir la prévention et l'hébergement, mieux prendre en charge les auteurs de violences et sécuriser les parcours de sortie de la prostitution. Sur l'hébergement, 11.172 places spécialisées existent aujourd’hui mais restent insuffisantes face à la demande croissante. Le "Pack nouveau départ" destiné à accompagner les femmes vers l'autonomie doit encore se déployer à grande échelle.
En conclusion, la commission énumère 19 recommandations, parmi lesquelles une stratégie globale de lutte contre toutes les formes de violences, une meilleure évaluation des dépenses, le renforcement du SDFE et la sécurisation des financements associatifs. Pour les rapporteurs spéciaux Arnaud Bazin et Pierre Barros, il est temps de "passer de la parole aux actes " – un leitmotiv déjà formulé en 2020 mais toujours d'actualité cinq ans plus tard.
Ce rapport parlementaire survient après la publication fin janvier d'un rapport de la Cour des comptes sur la politique de l'État en faveur de l'égalité femmes-hommes. Les magistrats financiers avaient épinglé un portage politique "en trompe-l'oeil", un pilotage "défaillant" ainsi que des "actions redondantes".
Une loi-cadre pour octobre 2025 ?La ministre chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes Aurore Bergé a indiqué mardi 1er juillet qu'elle espérait avoir finalisé en octobre 2025 la loi-cadre pour lutter contre les violences faites aux femmes, un texte réclamé par les associations féministes. L'adoption d'une "loi-cadre intégrale" est une demande formulée par plus de soixante associations féministes et organisations syndicales en novembre 2024 pour lutter contre les violences faites aux femmes dans toutes leurs dimensions. Jugeant la législation actuelle "morcelée et incomplète", elles ont proposé 140 mesures, couvrant les domaines de la justice, les forces de l'ordre, l'éducation, la santé pour lutter notamment contre le harcèlement, l'inceste, la pédocriminalité ou encore les cyberviolences. |