Congrès des maires – Gens du voyage : amender ou supprimer la loi Besson ?
Tiré lors d'un forum du congrès des maires, le bilan de la loi Besson de 2000 sur l'accueil et l'habitat des gens du voyage parait contrasté. Les uns déplorent qu'une "bonne partie des communes ne la respectent pas", justifiant ainsi les occupations illégales de terrains. Les autres rejettent au contraire la faute sur les gens du voyage, dont le comportement de certains n'inciteraient pas les communes à remplir leurs obligations. Si, dans la foulée du groupe de travail Alloncle, une nouvelle proposition de loi vient d'être déposée pour corriger le tir, certains élus préconisent, à l'heure où les gens du voyage se sédentarisent, de "détricoter la loi Besson", "loi d'exception" qui ne se justifie plus.
© Captures vidéo AMF/ Agnès Bourgeais, Philippe Buisson, Philip Alloncle, Nathalie Colin-Osterlé et Olivier Dimpre
"Verre à moitié plein" pour les uns, comme le directeur interdépartemental de la police nationale des Yvelines, Olivier Dimpre, à moitié vide pour d'autres, le bilan de loi Besson relative à l’accueil et l’habitat des gens du voyage, vingt-cinq ans après son adoption, a été fort discuté lors du forum du congrès des maires de France consacré au sujet, le 19 novembre dernier.
L'œuf et la poule
Pour Agnès Bourgeais, maire de Rezé (Loire-Atlantique), si "la loi existe, force est de constater aujourd'hui qu'une bonne partie des communes ne la respecte pas", déplore-t-elle. Le préfet Philip Alloncle, qui a présidé il y a peu un groupe de travail sur la question (lire notre article du 16 janvier), lancé en mars (lire notre article), confirme, chiffres à l'appui : "Pour les aires d'accueil, le taux de réalisation est de 76%. Il est encore plus faible, 66%, pour les aires de grand passage. Et les terrains familiaux locatifs ne sont réalisés qu'à hauteur de 20%". Le président de la commission nationale consultative des gens du voyage, Dominique Raimbourg, ajoute que la totalité des prescriptions prévues par les schémas départementaux d'accueil et d'habitat des gens du voyage n'a été "réalisée que dans douze départements". Ce qui explique que "quelqu'un qui est en règle souffre du fait que les autres ne jouent pas le jeu", explique-t-il. Les gens du voyage "ne connaissent pas les frontières entre les communes […]. J'ai un terrain de grand passage et je suis quand même envahi parce que dans mon intercommunalité et dans mon département, on a la moitié des terrains qui sont faits", appuie Patrick Delebarre, maire de Bondues (Nord). "À partir du moment où les collectivités restent hors la loi, je ne vois pas comment on va pouvoir demander [aux gens du voyage] de l'appliquer", en conclut Agnès Bourgeais.
De l'autre côté, on met au contraire en exergue les efforts conduits en vain. Maire de Libourne (Gironde), Philippe Buisson déplore ainsi la persistance "de campements illicites alors que nos aires d'accueil ne sont pas pleines à 100%" (non sans souligner au passage qu'avec un nombre de gens du voyage estimé – "personne ne sait le quantifier", grince-t-il – entre 250.000 et 400.000 personnes, "si je pousse le trait, même les schémas départementaux qui nous obligent ne règlent pas le problème"). Une situation qui conduit les élus à réfléchir à deux fois avant de lancer de tels travaux de réalisation et d'entretien de ces aires, vu leur coût. "5 millions d'euros investis pour l'aménagement des aires de grand passage, 640.000 euros annuels d'entretien des aires d'accueil, évidemment abondés par quelques milliers d'euros supplémentaires pour répondre aux dégradations lors de chaque passage", chiffre la député de la Moselle, Nathalie Colin-Oesterlé, pour la seule métropole de Metz. Et de confirmer au passage que "le fait d'être complétement conformes aux prescriptions légales n'empêche en rien les occupations illicites". Là-encore, le préfet Alloncle opine : "La Dihal [direction interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement] avait mené une enquête flash sur cinq ans : il y avait de très nombreuses aires qui étaient dégradées, avec des coûts significatifs. C'est aussi une cause de l'absence d'investissements", concède-t-il, en plaidant notamment pour "responsabiliser les gens du voyage", en commençant par "leur faire sortir de l'esprit que [tout] est gratuit".
La carotte et le bâton
Pour Philippe Buisson, une chose parait certaine : vingt-cinq ans après l'adoption de la loi, le sujet constitue toujours "l'un des irritants les plus permanents de nos mandats". Pour tenter de sortir de l'ornière, Nathalie Colin-Osterlé, qui avait interpellé Bruno Retailleau sur les occupations illégales de terrain l'an passé (lire notre article du 24 octobre 2024), a, dans la foulée du groupe de travail Alloncle, déposé comme prévu (lire notre article du 8 juillet), le 12 novembre dernier, une nouvelle proposition de loi en la matière, "qui devrait être validée en fin de semaine". Elle comportera à la fois "des mesures qui visent à renforcer les sanctions" des occupations illicites, "à renforcer le pouvoir des préfets" en matière d'évacuation des terrains illégalement occupés et des mesures pour "inciter les maires qui n'ont pas encore répondu à leurs obligations à le faire, en prenant en compte dans le quota de logements sociaux imposés par la loi SRU les aires d'accueil permanentes".
Des aires d'accueil qui semblent toutefois faire désormais l'unanimité contre elles. "Des aires souvent mal situées, souvent auprès de sites où on n'irait pas vivre", pointe Agnès Bourgeais. Des zones "avec une trop forte typicité, stigmatisantes, la plupart du temps pas dignes", appuie Philippe Buisson, lequel estime en outre, et cette fois contrairement à sa collègue, que "ce sont des endroits où la République ne rentre pas […], des zones de non droit". Lui, comme d'autres, leur préfère les terrains familiaux locatifs (TFL), tout en reconnaissant que "les collectivités, moi compris, ne se sont approprié ce dispositif que trop peu" et que "les sociétés d'HLM n'y viennent pas". "Il faut y aller", plaide Michel Fromet, maire de Vineuil (Loir-et-Cher), qui lui aussi voit dans les aires d'accueil "une forme un petit peu dépassée", concédant être las d'avoir "à investir plusieurs dizaines de milliers d'euros chaque année pour réparer les aires d'accueil". Et avec les TFL, "pas besoin de monter des maisonnettes, hors de prix", préconise-t-il, lui qui indique en avoir bâties cinq pour un coût unitaire de 140.000 euros.
Plus égaux que d'autres ?
"Un million pour 4 maisonnettes […] en zone tendue", enseigne pour sa part Isabelle Dunod, vice-présidente du Grand Chambéry – "la ville de Louis Besson". Et de soulever "le problème d'équité par rapport à de nombreux jeunes ménages qui rêveraient de pouvoir accéder" à de tels logements situés "dans un site tout à fait charmant". "L'équité n'est pas des deux côtés", déplore un autre élu de la salle, évoquant "la solidarité" d'un côté, et "le manque de respect" de l'autre. Un sentiment semble-t-il largement partagé par la salle. "On demande à tout citoyen de faire le tri, on apporte ces équipements dans les aires d'accueil et… c'est très compliqué", prend exemple Denis Hamayon, maire d'Yffiniac (Côtes d'Armor), qui dénonce encore les problèmes d'hygiène auxquels il est régulièrement confronté. On n'a "rien contre le fait de les accueillir", mais "quand ils repartent, tout le monde souffle", constate-t-il. Aussi plaide-t-il pour le renforcement de l'éducation des gens du voyage, et plus largement de l'information de tous, élus comme citoyens. Côté éducation, un élu du Puy-de-Dôme insiste d'ailleurs pour que "l'obligation scolaire soit respectée jusqu'au brevet. Dans le collège, on en est encore loin. Il y a des efforts à faire". "On nous parle de ZAN, mais nous avons pratiquement une dizaine de familles qui sont installées en toute illégalité dans des zones agricoles protégées, en contournant bien sûr les droits de préemption de la Safer", tonne à son tour un élu de la région lyonnaise. Un autre, élu de l'Ain – qui avoue que "les passages ne limitant plus à trois mois, on est dans le stress dès le mois de mars et ça continue jusqu'au mois d'octobre" –, insiste sur la nécessaire lutte contre ce deux poids deux mesures, régulièrement dénoncé (lire notre article du 24 janvier 2020) : "Les citoyens le demandent : 'Quand est-ce que vous allez le faire respecter, alors que vous nous embêtez sur des règles du PLU'", relaie-t-il. "La cabanisation est un problème très grave", concède Patrick Delebarre, en précisant que l'AMF y travaille, notamment afin de "permettre à chaque maire de France de disposer de la connaissance de toutes les mutations de terres agricoles et naturelles" afin de pouvoir, le cas échéant, "les acquérir ou les faire acquérir". Pour certains, cette différence de traitement semble toutefois toujours légitime : "On veut rentrer dans nos schémas de construction, de normes, alors que ce n'est pas forcément nécessaire", explique ainsi sans ambages Patrick Maciejewski, premier adjoint de Schiltigheim et président de l'association AVA Habitat et nomadisme, en avouant avoir "fait avec eux des quartiers entiers […] pas tout à fait dans les normes architecture, énergie, machin…".
Construire des villes à la campagne ?
Au-delà, la sédentarisation n'est pas sans poser une autre question, soulevée par Philippe Buisson. Considérant que "les gens du voyage n'ont de voyage que le nom, étant la plupart du temps sédentarisés ou semi-sédentarisés, pourquoi sommes-nous donc encore dans une loi d'exception ? Quand il y avait le carnet des voyageurs, on voyait bien pourquoi. Mais maintenant qu'ils sont rattachés et domiciliés à une commune et qu'ils se sédentarisent ?", interroge-t-il ainsi. Non sans raison, puisque le préfet Alloncle enseigne que les gens du voyage sont juridiquement "des personnes dont le mode de vie est l'itinérance. Il n'y a pas d'autre critère". "Ce sont des citoyens, point barre", en conclut Philippe Buisson, partisan en conséquence de "détricoter la loi Besson". Une suggestion partagée par Francis Cammal, maire de Gien (Loiret), qui dresse lui-aussi le constat d'une sédentarisation "de la plupart des gens du voyage". Il plaide pour être "un peu plus ferme sur les périodes de transition entre leur habitat et le lieu où ils vont en pèlerinage" et estime que "dans une période où l'argent public se fait de plus en plus rare, où nos budgets sont contraints, ce n'est plus aux collectivités de porter seules les investissements" pour organiser cet accueil, arguant du coût – 1,5 million d'euros – de la construction d'une aire de grand passage pour sa communauté de communes. Et de conclure : "Lorsqu'on choisit un mode de vie ou un environnement particulier, il faut se donner les moyens de pouvoir le vivre pleinement et de l'assumer. Ce n'est pas forcément toujours à la puissance publique de répondre à cela."