Congrès des maires – Politique de la ville : les maires face à l’incertitude budgétaire

Lors d’un forum organisé le 19 novembre au Congrès des maires, Catherine Arenou et Hélène Geoffroy, coprésidentes de la commission Politique de la ville et Cohésion sociale de l’AMF, et plusieurs élus de terrain ont interpellé le ministre Vincent Jeanbrun sur l’avenir d’une politique de la ville jugée à la fois décisive pour la cohésion nationale et fragilisée par le PLF 2026, la fin annoncée du NPNRU et des moyens jugés très en deçà des besoins, de la métropole aux outre-mer.

"Arrêtons de regarder la photo, regardons le film", a d’emblée posé Catherine Arenou, maire DVD de Chanteloup-les-Vignes (Yvelines) et coprésidente de la commission Politique de la Ville et cohésion sociale de l’Association des maires de France (AMF), lors d’un forum consacré à la politique de la ville organisé le 19 novembre au Congrès des maires. Elle a rappelé qu’il s’agit d’une "des rares politiques publiques qui transforme réellement la vie d’une famille, d’un enfant, d’une mère isolée". Mais, a-t-elle prévenu, cette politique "ne vient pas se substituer au droit commun : la première politique de droit commun, c’est celle de la ville, ce sont les moyens que nous mettons nous-mêmes au service de nos publics".

Parmi les dispositifs menacés, Catherine Arenou a cité les "colos apprenantes", nées pendant le Covid et qui permettent de mêler temps de loisirs et continuité éducative pour des enfants qui ne partent pas en vacances. "On entend une petite musique qui les renvoie dans les affres des budgets, alors qu’elles ont été une vraie réussite pour les enfants de nos quartiers", s’est-elle inquiété.

Hélène Geoffroy, maire PS de Vaulx-en-Velin (Rhône) et autre coprésidente de la commission de l’AMF, a prolongé : pour elle, la politique de la ville est "aussi structurante que la politique agricole commune", avec un volet rénovation urbaine et un volet cohésion sociale "qui ont tous les deux besoin d’être appuyés". Or, a-t-elle souligné, les élus affrontent à la fois "l’incertitude budgétaire" sur la poursuite du renouvellement urbain et une montée des violences liées au narcotrafic, qui impose de renforcer adultes-relais, tissu associatif et cités éducatives. "Le danger, a-t-elle résumé, c’est qu’on nous considère comme une source de problèmes alors que nous accompagnons les habitants que d’autres communes refusent d’accueillir en n’appliquant pas la loi SRU."

Face à elles, le ministre de la Ville et du Logement, Vincent Jeanbrun, a revendiqué une autre image des quartiers populaires, qu’il compare à des "hôpitaux" : "Si vous prenez la photo, vous ne voyez que des malades. Si vous regardez la vidéo, vous voyez des lieux de soins et d’émancipation." Il a insisté sur deux combats : la mixité sociale et "fonctionnelle", en confirmant l’extension prochaine des exonérations de type zones franches urbaines à l’ensemble des quartiers prioritaires, afin de favoriser commerces, activités et services de santé au pied des tours (il l'avait déjà mentionné le 6 novembre - voir notre article).

Risque d’un "mandat blanc"

Interrogé sur le projet de loi de finances pour 2026, Vincent Jeanbrun a reconnu l’ampleur des inquiétudes. Il a promis de "défendre les dispositifs existants" – adultes-relais, cités éducatives, quartiers d’été, colos apprenantes – mais a renvoyé la bataille au Parlement, faute de majorité gouvernementale. Revenant sur les 116 millions d'euros de crédits consacrés à l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), inférieurs aux besoins évalués à 250 millions d'euros, le ministre a estimé qu'il faut "que l’État tienne sa parole" pour financer les programmes déjà engagés. Sur l’avenir du renouvellement urbain, il a appelé à la patience, dans l’attente d’un rapport de préfiguration sur un éventuel "Anru 3". 

Cette prudence a fait réagir Marc-Antoine Jamet, maire (PS) de Val-de-Reuil (Eure) et représentant de l’AMF lors de la séquence consacrée aux moyens attribués aux quartiers prioritaires, "insuffisants par rapport au droit commun et aux besoins de la population". Déclarant que "la fabrique du ressentiment coûte beaucoup plus cher que la fabrique de la citoyenneté", il a dénoncé le décrochage des financements de l’Anru : "L’État devrait verser 250 millions d’euros par an. L’an dernier, c’était 56 millions, cette année 110. Comment promettre une politique de rénovation urbaine avec de tels écarts ?" Reporter d’un an la fin du NPNRU, prévient-il, risque de transformer le prochain mandat municipal en "mandat blanc", sans nouveaux projets opérationnels.

Marc-Antoine Jamet a aussi pointé deux mécanismes "qui ne fonctionnent pas". D’abord, celui des intercommunalités, quand une commune pauvre est noyée dans une agglomération riche : "On concentre le logement social là où il est déjà surreprésenté, on garde pour soi le PLS et on refourgue le PLAI à la ville la plus fragile." Ensuite, celui des plans régionaux, lorsqu’ils servent à "rattraper" les territoires les plus favorisés plutôt qu’à cibler les quartiers en plus grande difficulté. D’où son appel à "muscler la loi SRU" et à empêcher la dilution de l’Anru dans une éventuelle "grande agence" unique.

Sur le terrain des budgets municipaux, Gilles Leproust, maire (PCF) d’Allonnes (Sarthe) et président de Ville & Banlieue, a mis des chiffres sur les inquiétudes. Dans sa commune de 11.000 habitants, le budget de fonctionnement atteint 19 millions d’euros. "Avec le PLF 2026, nous estimons au minimum à 500.000 euros la perte pour l’année prochaine. Cela nous rend incapables d’équilibrer le budget et de tenir nos engagements dans les conventions Anru", a-t-il alerté, rappelant que le fonds vert doit passer de 1,2 milliard à 600 millions d’euros. "On nous demande de relever le défi climatique, d’assurer la mixité, l’accès aux droits, et dans le même temps on nous coupe les moyens par tous les bouts."

Mayotte en QPV ?

Laithidine Ben Saïd, maire (DVC) de Mstamboro (Mayotte), a pour sa part décrit une situation d’"urgence absolue" dans le département le plus pauvre de France où 77% de la population vit sous le seuil de pauvreté et où le chômage touche 31% des actifs. Vivement touché par le cyclone Chido, "Mayotte est un bidonville à ciel ouvert", confronté à des coupures quotidiennes d’eau et d’électricité. Les élus mahorais demandent que l’ensemble de l’île soit classé en quartier prioritaire, car "la précarité est généralisée", a alerté l’élu. Ce qui nécessite des financements : aujourd’hui, les crédits de politique de la ville à Mayotte représentent 39 euros par habitant, contre 76 à 122 euros en métropole et jusqu’à 482 euros dans d’autres territoires d’outre-mer : "Si l’on généralise les QPV sans augmenter l’enveloppe, on descendra à 20 euros par habitant."

La deuxième séquence a mis l’accent sur l’accès aux services publics. Christine Guillemy, maire (DVC) de Chaumont, a rappelé la spécificité de la Haute-Marne, département très rural qui ne compte que deux QPV, à Chaumont et Saint-Dizier. Dans son intercommunalité de 40.000 habitants et 63 autres communes majoritairement rurales, "la solidarité n’existe pas". Elle a réclamé que les villes comptant des QPV puissent reprendre la main sur la politique de la ville et être autorisées à construire des logements intermédiaires : "Des cadres voudraient venir travailler à Chaumont, mais ils n’ont droit ni au logement social ni à un parc privé de qualité. Aidez-nous à desserrer la réglementation pour créer de la mixité sociale."

En conclusion, Catherine Arenou et Hélène Geoffroy ont appelé les maires à "rester combatifs" et à changer le récit médiatique. "Arrêtons de résumer nos quartiers aux émeutes et au narcotrafic. Vous, élus qui avez des QPV, soyez fiers de porter la solidarité nationale", a insisté Catherine Arenou. Les deux élues ont invité chaque maire à interpeller leurs parlementaires sur les amendements décisifs pour les quartiers – maintien des dispositifs d’animation, moyens de l’Anru, du fonds vert – et plaidé pour la sauvegarde de l’Observatoire national de la politique de la ville, un temps menacé.

 

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis