Contraintes budgétaires : huit territoires urbains sur dix laissent leur épargne se dégrader
Dans le contexte de resserrement budgétaire, les villes et les intercommunalités les plus grandes privilégient l'augmentation de leur besoin de financement, ce qui se traduit notamment par un recours accru à l'emprunt. La solution est préférée à la réduction des investissements ou de l'offre de services publics, révèle une enquête de l'association France urbaine.

© France urbaine et Adobe stock
En dépit d'un effort d'au moins "5,7 milliards d'euros" que la loi de finances pour 2025 leur assigne, les collectivités pourraient ne pas participer cette année à la réduction du déficit public, contrairement aux objectifs du gouvernement. C'est l'une des conclusions que France urbaine tire d'une enquête qu'elle a menée entre mars et juin auprès de ses membres sur les conséquences de la dernière loi de finances. 78% des communes et intercommunalités répondantes laissent leur épargne se dégrader et donc leur besoin de financement progresser, "notamment par l'accroissement du recours à l'emprunt", révèlent en effet ces travaux, dont les résultats sont restitués dans une note récemment mise en ligne. Il s'agit du premier "levier" choisi par les grandes villes et leurs intercommunalités pour équilibrer leurs budgets.
"La loi de finances 2025 a comme conséquence principale de conduire les gestionnaires locaux à accepter une dégradation des ratios de solvabilité de leurs collectivités", qui "ne vient aucunement au service de la réduction" du déficit public, souligne l'association qui fédère 110 grandes villes et intercommunalités (communautés d'agglomération et urbaines, métropoles). Un constat qui va dans le sens des analyses de la Cour des comptes. Dans le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques qu'elle a présenté au début du mois, l'institution estime que "le déficit" des collectivités locales "se creuserait de 0,4 point de PIB en 2024 à 0,5 point en 2025 compte tenu du dynamisme de l’investissement lié au cycle communal". Cette tendance a pour conséquence de faire peser un risque sur l'objectif de réduction du déficit public (5,4% à la fin de l'année), pointent les magistrats.
L'investissement demeure une priorité
Une commune ou intercommunalité sur six n'a recours qu'à la réduction de son épargne. Mais la grande majorité des répondants utilisent plusieurs canaux pour répondre aux contraintes induites par le budget pour 2025. Ainsi, plus de la moitié d'entre eux freinent la progression de leur masse salariale (entre autres en ne remplaçant pas tous les départs en retraite ou en décalant la publication des offres d'emploi).
Dans des proportions moindres, d'autres "leviers" sont mis en œuvre, tels que des réductions de crédits (hors dépenses de personnel), l'optimisation des recettes non fiscales, l'utilisation de recettes exceptionnelles, ou encore la baisse des subventions et participations aux partenaires externes (notamment les associations).
Rares sont les collectivités à réduire la voilure des services publics ou à remettre en cause de manière significative leur plan d'investissement. De fait, si la baisse brutale de la dotation globale de fonctionnement (DGF) en 2014 avait eu immédiatement pour effet de faire plonger l'investissement public local, rien de tel ne semble se réaliser dans le sillage des mesures d'économies de la loi de finances. "La plupart des collectivités interrogées ont au contraire insisté sur le lancement en 2025 d’investissements lourds et structurants pour leur territoire", relate France urbaine, en rappelant que la fin du mandat municipal est traditionnellement une période qui voit les collectivités accélérer en matière d'investissement.
Lourd tribut payé par les intercommunalités
Dans sa note, France urbaine dénonce par ailleurs le montant de contribution bien supérieur des intercommunalités, notamment des plus grandes, en comparaison de celui des communes. Du fait de leurs effectifs plus élevés, ces dernières acquittent certes la plus grosse part de la facture liée à la hausse du taux des cotisations vieillesse des fonctionnaires territoriaux (1,4 milliard d'euros). Mais les intercommunalités sont désavantagées par les paramétrages de plusieurs mesures (dispositif de lissage des recettes ou "Dilico", baisse des "variables d'ajustement" et gel de la TVA). Résultat : l'effort demandé aux communes est de "1,1% des recettes réelles de fonctionnement (RRF) pour la moyenne des communes", tandis qu'il grimpe à 2,9% des RRF pour les intercommunalités, et atteint même 3,9% des RRF pour les intercommunalités membres de France urbaine.
L'association évalue à 5,7 milliards d'euros le total des économies mises à la charge des collectivités par la loi de finances pour 2025. Ce montant très élevé, égal à deux fois et demie celui que le gouvernement a communiqué (2,2 milliards d'euros), est pourtant "minimisé", assure-t-elle. En effet, s'il prend en compte la baisse du fonds vert (-1,35 milliard d'euros), ce résultat n’intègre ni "l’impact des amputations de crédits ministériels" touchant les politiques publiques locales, ni les "décisions gouvernementales d'annulations de crédits, gels et mises en réserve survenues après la promulgation de la loi de finances" et qui concernent l'action des collectivités.
En tenant compte de ces baisses ou reports de crédits, le président du comité des finances locales (CFL), André Laignel, estime que les "ponctions" sur les collectivités s'élèvent à 8,4 milliards d'euros en 2025
Inquiétude pour 2026
Après la présentation mi-juillet par le Premier ministre d'un plan d'économies de "5,3 milliards d'euros" en 2026 sur les collectivités - dont l'impact serait en réalité plus proche de 10 milliards d'euros, selon le président du CFL -, "l'inquiétude est très grande", font savoir les élus des grandes villes et de leurs intercommunalités. Pas seulement parce que le montant des économies exigées des collectivités serait significativement supérieur l'année prochaine à celui de cette année, mais aussi parce que "le scénario gouvernemental actuel confirmerait et aggraverait les mesures les plus pénalisantes pour les territoires urbains", à l'image d'un Dilico dont le montant serait doublé (de 1 milliard d'euros en 2025 à 2 milliards en 2026).
Face à ces sombres perspectives, France urbaine prévient : la dégradation de l'épargne des collectivités ne permettra pas de remédier longtemps aux contraintes financières qui leur sont imposées. "Potentiellement acceptable une année", elle "pourrait rapidement s’avérer délétère tant pour les équilibres financiers locaux que nationaux".