Covid-19 : les arrêtés municipaux à l'épreuve du juge

Face à l'épidémie, les maires ne seront pas restés inactifs, se multipliant sur tous les fronts. Compte tenu de leur pouvoir de police, ils se sont surtout employés à faire respecter les mesures de restriction des déplacements, avec un succès mitigé devant les tribunaux. Tour d'horizon.

"Les maires ont tout fait : le confinement, les élections, le déconfinement, les marchés, les plages...", s'est exclamée la sénatrice Françoise Gatel à l'occasion de l'audition du ministre de l'Intérieur par la délégation sénatoriale aux collectivités ce 4 juin. Les élus locaux n'ont en effet pas ménagé leur peine ces dernières semaines, multipliant les mesures avec zèle. Parfois trop, notamment au goût de la Ligue des droits de l'homme (LDH), qui a multiplié les recours. Non sans succès devant le juge, voire même avant cette étape. Plusieurs élus ont en effet pris le soin de retirer des arrêtés litigieux avant l'audience, à l'image – parmi d'autres – du maire de Sanary-sur-Mer (qui avait notamment pris des arrêtés interdisant l'achat à l'unité, y compris du pain et du journal, ou limitant les déplacements brefs à une distance de 10 m du domicile - v. notre article), évitant ainsi d'inutiles condamnations.

Arrêtés couvre-feu

Confinement oblige, les premières mesures ont souvent pris la forme d'arrêtés "couvre-feux" –  jadis "popularisés" lors de l'état d'urgence, non sanitaire, de 2005. Parfois avec le renfort des préfets. Comme il l'a déjà indiqué (v. notre article), le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner a en effet rappelé ce 4 juin au Sénat avoir donné consigne à ces derniers d'accompagner les maires dans la mise en œuvre de ces dispositions (ce qui n'a pas empêché certains d'entre eux de déférer certains arrêtés au juge). Ou de les prendre "à leur place", à une échelle départementale, afin d'harmoniser les pratiques, citant l'exemple des Alpes-Maritimes (d'où la présence d'arrêtés préfectoraux dans le tableau ci-dessous). Un renfort qui n'a toutefois pas empêché certains maires de prendre des arrêtés "complémentaires", comme celui de Nice l'a fait pour neuf secteurs de la ville, avec succès. 
Une pratique "différenciée" à l'égard de laquelle le ministre est pourtant opposé – il l'a encore redit –, la jugeant "stigmatisante" et lui préférant un arrêté "couvrant l'ensemble de la commune, voire l'ensemble urbain". Une "généralisation" qui va pourtant à l'encontre de la position du juge, qui préfère toujours des mesures proportionnées et circonscrites à des interdictions générales et absolues. Comme en témoigne la décision du tribunal administratif d'Amiens du 16 mai suspendant l'exécution de l'arrêté du préfet de l'Oise instaurant un couvre-feu sur le territoire des communes de Compiègne, Creil et Nogent-sur-Oise. Le juge des référés a en effet estimé que si les "épisodes de violences urbaines particulièrement sévères" et les "rassemblements sauvages" qui se sont déroulés sur ces communes, "à l’origine de violences et de troubles graves et répétés à l’ordre public, constituent un motif de nature à justifier que des mesures appropriées puissent être prises pour les faire cesser dans les secteurs où ils se déroulent et risqueraient ainsi de contribuer à la dégradation de la situation sanitaire, il n’est en revanche pas établi qu’une interdiction générale de circulation sur l’ensemble des territoires des communes de Compiègne, Creil et Nogent-sur-Oise soit une mesure justifiée et proportionnée".

Restriction des déplacements

Les élus ne se sont toutefois pas limités à l'interdiction des déplacements nocturnes. L'accès aux plages (v. notre article), massifs forestiers et autres aires de jeux a ainsi été fortement restreint, quand il ne l'était pas, là-encore, déjà par arrêté préfectoral (par exemple, celui du préfet de Montpellier, validé par le tribunal administratif – v. notre article). Le juge a donné son feu vert à des mesures rendues nécessaires par des circonstances particulières et proportionnées : ainsi de l'interdiction par le maire de Saint-Mandrier-sur-Mer d'accéder aux aires de jeux et terrains de pétanque générant d'importants regroupements. Il a en revanche censuré celles qui ne l'étaient pas à ses yeux. Ainsi, les dispositions du même arrêté interdisant les déplacements brefs au-delà de 200 m du domicile, l'accès aux cimetières ou l'obligation d'achats à proximité de son domicile ont-elles été suspendues.

Le tribunal administratif de Versailles a même validé, dans une décision du 2 juin, l'utilisation par la mairie de Lisses de caméras thermiques, pourtant fortement décriée (v. notre article). Relevons toutefois que l'installation de ces caméras (fixes à l'entrée du pôle administratif communal et portatives dans les bâtiments scolaires et périscolaires) a été validée en tant que mesure prise par le maire en sa qualité de chef de service, au titre de son pouvoir général d'organisation du service, et non en qualité d'autorité de police administrative générale.

Port obligatoire du masque 

La question du port du masque a particulièrement suscité l'attention, avivée par le débat sur la pénurie de ces derniers. L'arrêté du maire de Sceaux, suspendu par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, puis par le Conseil d'État, a focalisé l'attention. Christophe Castaner a souligné lors de son audition ce 4 juin que le ministère n'était pas à l'origine du recours, même s'il n'était pas favorable à la mesure – ce qu'il avait déclaré publiquement avant la décision (v. notre article). Il avait d'ailleurs donné consigne aux préfets de demander aux maires de retirer les arrêtés pris en ce sens (par exemple à Royan, Val d'Isère ou à Vic-en-Bigorre - v. la tribune du maire de cette commune publiée en réponse dans le JDD). Il a cependant ajouté ce 4 juin ne pas avoir "d'opposition de principe" à la mesure. Le tribunal de Cergy-Pontoise semble sur la même ligne, puisqu'il a depuis validé l'arrêté du maire de Levallois-Perret prescrivant le port du masque dans certaines circonstances, après un premier essai infructueux.

Fermeture des écoles

Déconfinement oblige, c'est le mouvement de fermeture des écoles qui alimente la chronique ces derniers jours. Arguant des risques sanitaires et des difficultés à organiser la rentrée dans de bonnes conditions (respect des règles de distanciation, impossibilité de mettre en place les formations spécifiques pour le personnel, stock insuffisant de masques…), conformément au protocole sanitaire décidé par le ministère, plusieurs maires ont décidé de fermer les établissements scolaires jusqu'à la prochaine rentrée, après avoir demandé en vain un délai (v. notre article). Certains de ces arrêtés ont été portés devant la justice – parfois par le préfet – avec succès. Tel a par exemple été le cas le 20 mai, lorsque le TA de Montreuil a enjoint la mairie de Bobigny de rouvrir les grandes sections de ses écoles maternelles (v. notre article). Plusieurs autres décisions viennent de même d'enjoindre aux maires d'assurer l'ouverture et le bon fonctionnement des écoles dans des délais plus que restreints (deux jours ouvrés pour la commune de Saint-Paul), les maires se voyant parfois au passage reprocher "une insuffisante anticipation". Ce qui peut sembler osé.

Panorama jurisprudentiel (non exhaustif)
Décision Domaine Modalités Issue
TA Caen, 31 mars 2020, Préfet du Calvados c/ Cne de Lisieux Couvre-feu Interdiction des déplacements entre 22h et 5h
 

Suspension (pas de circonstances locales) - v. notre article

TA Montreuil, 3 avr. 2020, R. c/ Cne de Saint-Ouen Couvre-feu Interdiction des déplacements de 19h à 6h
 
Suspension (absence de circonstances particulières) - v. notre article
TA Nice, 22 avr. 2020, LDH c/ Cne de Nice Couvre-feu Interdiction des déplacements de 20h à 5h dans neuf secteurs de la ville Validation - v. notre article
 
TA Lyon, 24 avr. 2020; LDH c/ Cne de Mions Couvre-feu Interdiction des déplacements de 22h à 5h Validation
TA Nantes, 24 avr. 2020, LDH c/ Cne de Cholet Couvre-feu Interdiction des déplacements de 21 h à 5h
 
Suspension (absence de raisons impérieuses, propres à la commune, susceptibilité de compromettre la cohérence et l'efficacité des mesures prises par l'État)
TA Nantes, 28 avr. 2020, LDH c/ Cne de Cholet Couvre-feu "Décision verbale" du maire de renouveler l'arrêté suspendu en réduisant l'interdiction de déplacements de 22h à 5h Suspension de la décision verbale et injonction au maire d'informer par voie de presse dans les 24h les habitants de l'absence de couvre-feu local
TA Cergy-Pontoise, 27 avr. 2020, LDH c/ Cne du Plessis-Robinson Couvre-feu Interdiction des déplacements de 22 h à 5 h et interdiction aux commerces alimentaires d'accueillir du public à partir de 21h30 Suspension (aucun motif impérieux propre à la commune ; mesure susceptible de compromettre la cohérence et l'efficacité des mesures prises par l'État)
 
TA La Martinique, 15 mai 2020, A. c/ Préfet Martinique Couvre-feu (préfectoral) Interdiction de déplacement de 21h à 4h
 
Suspension (mesure non nécessaire à la sauvegarde de la santé publique et à la prévention des troubles à l'ordre public)
 
TA La Guyane, 27 mai 2020, LDH c/ Préfet Guyane Couvre-feu (préfectoral) Interdiction des déplacements de 23h à 5h et de la vente de boissons alcoolisées de 18h à 8h Suspension partielle – pour 12 communes représentant 15 % de la population –, mais confirmation pour les autres communes
TA Guadeloupe, 27 mars 2020, Préfet de la Guadeloupe c/ Cne Capesterre et a. Restriction des déplacements / activités Interdiction de l'accostage et du débarquement de passagers de tout navire de commerce et de plaisance (sauf dérogations) Suspension et injonction de permettre au moins une rotation maritime journalière entre Marie-Galante et le reste de la Guadeloupe (atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir et au respect de la vie privée et familiale) 
TA Toulon, 23 avr. 2020, LDH c/ Cne Saint-Mandrier-sur-Mer Restriction des déplacements / activités Interdiction de l'accès aux aires de jeux, terrains de pétanque, cimetières, massifs forestiers, plages et rivages de la mer
Fermeture des commerces alimentaires de 21h à 5 h
Interdiction des déplacements brefs au-delà de 200 m du domicile
Obligation d'effectuer les achats de première nécessité dans les commerces les plus proches
Suspension partielle (absence de circonstance locale pour la limitation des déplacements brefs, l'interdiction d'accès aux cimetières, l'obligation d'achats à proximité mais regroupements importants constatés sur aires de jeux et terrains de pétanque)
TA Lyon, 24 avr. 2020, LDH c/ Cne de Saint-Étienne Restriction des déplacements / activités Interdiction de la pratique d'activités physiques sur l'espace public de 9h à 21h Validation
TA Grenoble, 28 avril 2020, LDH c/ Cne de Contamines-Montjoie Restriction des déplacements / activités Interdiction de l'occupation des logements meublés non affectés à l'habitation principale et interdiction de location saisonnière et mise à disposition gracieuse de logements et hébergements de tous types Validation - v. notre article
TA Cergy-Pontoise, 5 mai 2020, Préfet des Hauts-de-Seine c/ Cne Malakoff Restriction des déplacements / activités Interdiction des travaux/chantiers pour cause de nuisances sonores et de non respect des mesures sanitaires Suspension (absence de circonstances locales)
TA Cergy-Pontoise, 9 avr. 2020, LDH c/ Cne de Sceaux Port obligatoire du masque Sur l'ensemble de la commune Suspension - v. notre article - confirmée par le Conseil d'État - v. notre article
 
TA Pau, 17 avril 2020, LDH c/ Cne de Vic-en-Bigorre Port obligatoire du masque Dans certaines rues commerçantes Suspension
TA Strasbourg, 25 mai 2020, Cne de Strasbourg Port obligatoire du masque Dans certaines zones, de 10h à 20h Suspension (absence de raisons impérieuses liées à des circonstances locales propres à la commune) - v. notre article
TA Cergy-Pontoise, 28 mai 2005, T. c/ Cne Levallois-Perret Port obligatoire du masque Dans certains bâtiments et sur certaines voies, entre 8h et 18h
 
Validation - v. notre article
TA Montreuil, 20 mai 2020, C c/ Cne de Bobigny Fermeture des écoles Écoles maternelles et crèches jusqu'à la fin de l'année scolaire Suspension (absence de raisons impérieuses propres à la commune) et injonction à la commune de définir pour le 3 juin les modalités d'accueil dans les grandes sections des écoles maternelles - v. notre article
TA Toulon, 28 mai 2020, Préfet du Var c/ Sanary-sur-Mer Fermeture des écoles Établissements scolaires, d'accueil du jeune enfant et micro-crèches jusqu'au 30 juin Suspension (inexistence de circonstances locales propres à la commune)
 
TA La Réunion, 29 mai 2020, X c/ Cne de Saint-Paul Fermeture des écoles Écoles maternelles et élémentaires, publiques et privées jusqu'au 4 juillet Suspension (absence de raisons impérieuses spécifiques, atteinte à l'exercice du droit à l'éducation) et injonction d'assurer l'ouverture et le bon fonctionnement des écoles pour le 4 juin

 

 

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