Devant les maires de petites villes, François Bayrou évoque le "danger mortel" de la situation financière du pays

La reconduction du programme Petites Villes de demain après 2026 est la seule annonce du Premier ministre en marge des Assises des petites villes qui se tenaient ces 12 et 13 juin à Saint-Rémy-de-Provence. Les élus arrivent au terme d'un "mandat horribilis", selon l'expression du président de l'APVF, Christophe Bouillon, et craignent la menace d'une "année blanche". À défaut d'annonces, le Premier ministre s'est surtout évertué à sensibiliser sur le "danger mortel" que représente la situation financière du pays. 

Intervention après intervention, le Premier ministre, François Bayrou, prépare les esprits à la cure budgétaire au côté de laquelle l'exercice 2025 pourrait n’avoir été qu’un zakouski. Son passage sous le soleil ardent de Saint-Rémy-de-Provence, vendredi 13 juin, pour clore les 27es assises de l’Association des petites des villes de France (APVF), n’a pas dérogé à la règle. La seule annonce gouvernementale de ces assises étant par ailleurs la reconduction du programme Petites Villes de demain (PVD) après 2026. Encore François Bayrou ne l'a-t-il pas faite devant les maires, mais à la presse : "Je peux vous assurer que nous allons poursuivre le programme Petites Villes de demain."

Après un long détour par la Première Guerre mondiale - "Il y a eu des époques où il était plus difficile d’être maire qu’aujourd’hui" - et le "basculement du monde" avec la situation en Iran et en Ukraine, il en est donc venu au sujet qui fâche : les finances publiques. "Nous sommes devant un danger mortel", a-t-il asséné aux maires. "Demandez aux maires grecs ce qu’ils ont vécu." Au pied des frêles Alpilles, le chef du gouvernement a une nouvelle fois renvoyé à "l’Himalaya" qui se profile et au sommet duquel le pays ne parviendra qu’avec "la solidarité de la cordée". Contrairement à Bercy, "je n’ai jamais prétendu que les collectivités locales étaient responsables de la situation", a-t-il assuré, mais "tout le monde va devoir participer à cet effort", a-t-il prévenu, alors que ses arbitrages ne sont pas attendus avant le 14 juillet. Ou comment doucher la demande de mansuétude exprimée par le président de l’APVF, Christophe Bouillon, au terme d’un "mandat horribilis".

La "génération 2020" a démarré avec la crise sanitaire, avant de continuer avec l’organisation du Grand Débat, la crise énergétique, l'inflation et à présent la crise de la dette… Sans parler de la recrudescence des violences à l’égard des élus. "Nous sommes les airbags de la République. Le problème c’est qu’un airbag, ça se dégonfle. Il faut les regonfler", a déclaré le maire de Barentin (Seine-Maritime). Dans leur résolution finale, les maires préviennent : "L'option d'une année blanche correspondant à un gel des recettes fiscales ne peut que susciter notre opposition absolue."

Entre le marteau et l'enclume

À quelques mois des élections municipales, nombre d’élus pourraient renoncer à se représenter sans un signal positif, comme l’avait montré l’enquête Cevipof publiée en avril dernier (voir notre article du 9 avril). Seuls 41,7% des maires ont décidé de se représenter. 28% envisagent de renoncer et 30% sont dans une position indécise. Les maires dont c’était le premier mandat sont un peu plus nombreux à vouloir rempiler : 45%.

Rien de vraiment alarmant dans les chiffres du Cevipof, nuance cependant l’avocat Philippe Bluteau : "Les proportions sont exactement les mêmes qu’il y a six ans." Mais les maires ont l’impression d’être pris entre le "marteau et l’enclume", exprime-t-il. Entre le "marteau des exigences des citoyens" et "l’enclume des ressources fiscales et financières insuffisantes". Ce qui crée des "frustrations, voire des abandons". À l’image de Camille Pouponneau, ex-maire de Pibrac, 8.800 habitants, dans l’agglomération toulousaine, dont la démission en octobre 2024 avait fait grand bruit. Cette expérience, elle vient de la raconter dans un livre paru au mois de mars : Maires, le grand gâchis (Robert Laffont).

"J’espère que le message que j’ai porté vous a fait du bien", a déclaré devant ses anciens collègues celle qui a voulu alerter sur le "sentiment d’impuissance" qu’elle avait ressenti. Impuissance de l’élue d’une petite commune perdue dans une immense métropole (2 voix sur 163). Impuissance face à "l’addiction aux normes" que l’actuelle ministre déléguée chargée de la ruralité, François Gatel, dénonçait lorsqu’elle était sénatrice. Impuissance face à des services publics en recul. Face à l'absence d'écoute de l'État. "Un jeune de 18 ans a été assassiné par balle en pleine rue (…). Je n’ai pas reçu un seul appel du corps préfectoral ni du procureur", s’est-elle désolée, exhortant à "retisser une relation de confiance". "Je suis arrivée, j’avais la pêche, la gnaque, l’envie", a-t-elle encore témoigné, rappelant qu’aujourd’hui, les moins de 40 ans représentent moins de 4% des élus. "Laissez-nous faire, redonnez-nous notre puissance."

"La polyphonie c’est génial quand c’est harmonieux"

D’autres ont eu une expérience plus heureuse. À l’instar d’Emmanuelle Gazel, maire de Millau, qui pourtant a pris les rênes, en 2020, d’une ville dans une situation financière catastrophique. La commune avait même été placée dans le "réseau d’alerte des finances locales" de la DGFIP. Sa capacité d’investissement était "extrêmement faible" : 5 millions d’euros sur la durée du mandat. Alors elle a eu l’idée d’élaborer un "budget participatif" avec le concours d'habitants tirés au sort. Ce budget a ensuite fait l’objet d’une "votation" qui a rencontré un vrai succès (3.500 votants sur 8.000 aux municipales). "Les décisions prises avec les citoyens sont beaucoup plus solides", assure-t-elle. 

Les choses sont-elles en train de changer dans la relation à l’Etat ? C'est ce que veut croire François Gatel. "J’achève un tour de France de la ruralité. J’ai rencontré des milliers d’élus. Ce qu’en j’entends c’est que l’attitude de l’État a changé (…). Aujourd’hui, on a un corps préfectoral qui s’est mis dans cet état d’esprit de chercher des solutions", a-t-elle assuré. Une situation qui devrait s’améliorer encore avec la proposition de loi de Rémy Pointereau visant à "renforcer et sécuriser le pouvoir préfectoral de dérogation afin d'adapter les normes aux territoires" adoptée il y a deux jours par le Sénat (voir notre article du 11 juin). Alors que de nombreux élus se plaignent de l’autonomie de décision des nombreuses agences de l’État, François Gatel souhaite que le préfet de département soit le réel "chef d’orchestre" : "La polyphonie, c’est génial quand c’est harmonieux."

La veille, Christophe Bouillon avait appelé à un "État stratège" et à un "pacte de confiance" (terme repris dans la résolution finale). "Il faut aller plus loin sur la décentralisation mais à condition qu’elle entraîne aussi plus de déconcentration" pour éviter à la France de ressembler à "un manteau d’Arlequin", a-t-il déclaré.

Statut de l'élu

Face à la "marée montante des normes", les maires attendent beaucoup du "Roquelaure de la simplification" ou de la proposition de loi Hurwart qui donnera plus de possibilité aux maires pour déroger au droit de l’urbanisme afin de transformer des friches commerciales en logement par exemple (voir notre article du 5 juin). Ils demandent aussi "un moratoire sur les dépenses contraintes et transferts de charge non compensés". Un sujet qu'ils avaient largement mis en avant ce vendredi matin lors de la présentation à la presse d'une étude de la Banque postale sur la situation financière des petites villes (voir notre article de ce jour).

Christophe Bouillon est allé jusqu’à proposer un "article 40" pour les collectivités, référence à l'article de la Constitution qui prévoit que le Parlement ne puisse prendre aucune décision financière qui ne soit pas compensée par de nouvelles ressources. "Tu casses, tu répares, tu décides, tu paies ; tu transfères, tu compenses", a-t-il déclaré sous les applaudissements des quelque 400 maires présents. Une idée reprise au vol par François Bayrou : "Je regarde cette idée que je trouve juste et intéressante", a-t-il commenté. "C’est une très bonne idée", a-t-il même ajouté quelques minutes plus tard, devant la presse.

Mais c’est finalement le "statut de l’élu" qui pourrait réellement changer la donne à l’approche des élections. Le texte déposé par Françoise Gatel, adopté au Sénat il y a plus d'un an (voir notre article du 8 mars 2024), devrait enfin arriver à l’Assemblée le 7 juillet. "Il s’agit de sacraliser la fonction du maire", a souligné la ministre pour qui on doit aux maires la même gratitude et le même respect qu’aux pompiers.

 

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