Christophe Bouillon (APVF) : "La dette de l'Etat ne fait pas de victimes, la dette verte, si"
Première association d’élus à se réunir avant le scrutin de mars 2026, l’Association des petites villes de France (APVF) a placé "l’urgence climatique" au premier rang des priorités de ses assises qui se tiennent à Saint-Rémy-de-Provence, les 12 et 13 juin.

© M.T/ Prise de parole de Jean Jouzel
"Depuis cette funeste nuit, il y a une prise de conscience sur notre territoire." Devant les maires de petites villes réunis pour leurs assises annuelles ces 12 et 13 à Saint-Rémy-de-Provence (Bouches-du-Rhône), le maire de Trèbes (Aude), Eric Menassi, est revenu sur le drame survenu le 15 octobre 2018 sur sa commune de 5.300 habitants : 500 mm tombés en quelques heures, entraînant 15 morts et des dégâts considérables, 52 maisons rasées… "Le changement climatique n’est pas une opinion, c’est une réalité. Nous les maires avons une responsabilité dans l’infusion de cette réalité", clame-t-il.
"L’urgence climatique", c’est le thème que l’association des communes de 2.500 à 25.000 habitants a voulu mettre en avant pour la 27e édition de ses assises. La dernière avant les élections de mars 2026. "80% du territoire de Trèbes à rendre constructible est en zone inondable", poursuit l’élu. Les inondations ont conduit la municipalité à "changer de paradigme" et à ne plus voir le développement économique sous l’angle de la croissance démographique. C’est aussi le défi relevé par Anduze, dans le Gard, qui a connu des "inondations terribles" en 2002. Dès qu’il s’agit d’urbanisme, "embarquer la population est toujours compliqué", témoigne sa maire Geneviève Blanc. C’est pourtant ce qui a été fait. Le PLU a été retravaillé. 126 hectares ont été rendus à l’agriculture… "Si on est une commune touristique aujourd’hui c’est sans doute parce qu’à cause des inondations survenues il y a très longtemps, on n’a pas pu continuer à faire ce qu’on voulait, ça a permis de préserver le paysage", reconnaît l’édile. Un mal pour un bien. "On a l’opportunité de mettre l’aménagement du territoire au cœur de nos politiques", souligne également Eric Menassi.
"L’exceptionnel a tendance à devenir de plus en plus récurrent"
Pour les intervenants, il ne fait aucun doute que ces événements extrêmes (sécheresses, inondations, feux de forêts…) sont de plus en plus fréquents. "L’exceptionnel a tendance à devenir de plus en plus récurrent", témoigne Romain Colas, maire de Boussy-Saint-Antoine, dans l’Essonne, vice-président de l’APVF. En vingt-cinq ans de mandat, son prédécesseur n’avait jamais connu de crue exceptionnelle. "J’en suis à ma troisième", constate le maire élu en 2008 dans cette commune traversée par l'Yerres qui compte un quartier entier construit en zone inondable dans les années 1960. "Plus de la moitié de la population française est en zone inondable, c’est un problème majeur", alerte-t-il. Selon lui, il y a bien "une accélération" des effets du changement climatique. C’est aussi l’avis des assureurs. "En 2024, on a connu 23 phénomènes d’inondation contre 9 en 2019", indique Eva Kaplanis, directrice du développement à la Société mutuelle d'assurance des collectivités locales (Smacl). Beaucoup ont préféré se retirer de ce marché de moins en moins rentable (les émeutes urbaines y sont aussi pour quelque chose), laissant les collectivités dans la panade. Les primes flambent : +23% en 2024 après une hausse de 11% en 2023, selon l'Observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGL). Ce qui représente un coût de 220 millions d'euros supplémentaires pour un total de 1.175 milliards d'euros. Si toutes les collectivités sont concernées, les petites communes sont les plus touchées avec une hausse de 27%. Pour tenter de remédier à cette situation, le Sénat a adopté à l’unanimité mercredi la proposition de loi du sénateur Jean-François Husson qui vise à apporter des garanties aux collectivités (voir notre article de ce jour). Une initiative soutenue par le gouvernement qui a présenté un plan d’action sur le sujet au mois d’avril (voir notre article du 15 avril). Ces intitiatives constituent "la première marche", espère Eva Kaplanis.
Pour Christophe Bouillon, le président de l’APVF, il faut aller beaucoup plus loin. Lui se dit favorable à un "droit à l’assurance". "Le coût des émeutes de 2023 n’est pas de notre fait, il faut que la solidarité nationale agisse en la matière."
"S'affranchir des lourdeurs"
"Il n’y a pas de commune qui puisse dire : le réchauffement climatique n’est pas mon affaire", abonde le paléoclimatologue Jean Jouzel invité comme grand témoin de ce débat. Sur les 52 mesures du troisième plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC) présenté en mars (voir notre article), les 14 les plus importantes concernent directement les collectivités, explique-t-il.
Pour Antoine Bristielle, directeur de l’observatoire de l’opinion à la fondation Jean Jaurès, le clivage sur ce thème est moins important qu’il n’y paraît. "Il est faux de penser qu’il existe un clivage urbain / rural où l’écologie est une problématique de bobo parisien." "Une immense majorité de la population considère que les mesures sur les sujets environnementaux doivent être territorialisées", constate-t-il. Mais une fois de plus, les élus se disent entravés dans leur action par les lourdeurs administratives. Ainsi, à Boussy-Saint-Antoine, ces derniers envisagent d’aménager des terres agricoles en amont de la commune. De quoi absorber 750.000 mètres cubes d’eau en cas de crue. Il ne s’agit pas de l’empêcher mais de la ralentir, souligne Romain Colas. Après "plusieurs milliers d’euros" dépensés dans des études, le projet pourrait commencer en 2028 (soit un délai total de neuf ans), escompte l’élu qui s’attend à des recours d’agriculteurs… L’édile appelle à s’inspirer des JO pour "s’affranchir des lourdeurs". "Est-ce qu’on ne peut pas faire la même chose pour éviter les drames" et "sortir tous les projets qui font consensus ?", lance-t-il.
Bifurcation
"On est aujourd’hui des urgentistes des territoires", abonde Christophe Bouillon qui en appelle à l’Etat pour aider les collectivités à "aller jusqu’au bout" de leurs projets. Or, les crédits ne sont pas à la hauteur selon lui de la "bifurcation" qu’impose la planification écologique. "La dette de l’Etat ne fait pas de victimes. La dette verte, environnementale, si", insiste le maire de Barentin (Seine-Maritime), quelques jours après la décision de suspendre MaPrimeRénov’ pendant la période estivale (voir notre article du 5 juin). La ministre chargée du Logement Valérie Létard a indiqué vouloir mettre ce temps à profit pour "changer les règles" et mieux gérer l'enveloppe budgétaire de 3,6 milliards pour cette année (voir notre article du 10 juin).
Le fonds vert était censé être le "fonds d’accélération de la transition écologique", rappelle aussi le président de l’association et président de l'Agence nationale de la cohésion des territoires. "Malheureusement nous voyons un fonds qui fond plus vite que la banquise." Il est passé de 2,5 milliards d’euros en 2024 à 1,15 milliard en 2025.