Simplification du droit de l’urbanisme : la proposition de loi Huwart adoptée en commission au Sénat

C’est sans grande conviction, que la commission des affaires économiques du Sénat a adopté ce 4 juin la proposition de loi de simplification dédiée à l’urbanisme et à l’habitat, perçue comme "une collection d’ajustements à des dispositifs déjà existants, trop contraignants ou mal calibrés". Et donc très loin de la "grande loi sur le logement" espérée. Plutôt que des dérogations de droit, les sénateurs ont privilégié soit l’inscription de règles dérogatoires au sein des documents d’urbanisme, soit la possibilité pour le maire de déroger au "cas par cas". Le volet "amont" a également été enrichi, s’agissant notamment d’étendre la procédure de participation du public par voie électronique et de faciliter l’adhésion des communes aux établissements publics fonciers (EPF).

La proposition de loi de simplification dédiée à l’urbanisme et à l’habitat, portée par le groupe Liot, avec le soutien du gouvernement, adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 15 mai dernier, est arrivée au Sénat. Première étape devant la commission des affaires économiques, ce 4 juin, qui a donné son feu vert, tout en déplorant un texte "patchwork", "qui ne permet ni une réforme en profondeur du droit de l’urbanisme ni des mesures fortes en faveur du logement". Les rapporteurs - Sylvianne Noël (Haute-Savoie/LR) et Guislain Gambier (Nord/UC)- se sont donc évertués à "approfondir" les mesures proposées, en restant particulièrement attentifs "à préserver les compétences des collectivités en la matière", et donc avec pour mot d’ordre "de rendre la main aux élus pour adapter les règles aux enjeux des territoires". L’examen en séance est prévu le 17 juin prochain.

Une occasion manquée

En dépit de son intitulé, le texte ne comporte qu’une "mesure orpheline" (à l’article 2) relative à l’amplification de l’offre de logements, et "manque sa cible" aux yeux de la commission. "À quand une grande loi sur le logement ?", interroge la rapporteure Sylviane Noël. Les dispositions relatives aux résidences hôtelières à vocation sociale (RHVS) et aux chantiers nucléaires ne présentent "qu’un caractère ciblé, temporaire et dérogatoire" pointe la commission. L’une (art.2) permet de déroger temporairement au seuil de 30% de publics vulnérables accueillis dans les RHVS pour y loger des salariés, dans les territoires soumis à des enjeux de développement économique particuliers. L’autre (art. 3bis), en complément, dispense de toute formalité d’urbanisme et du respect des règles de fond les constructions pour loger les salariés des grands chantiers nucléaires. 

Et, sur le volet urbanisme, la commission est tout aussi critique, faute pour le texte d’engager des chantiers structurants, comme la réforme des procédures de déclaration d’intérêt général et de mise en compatibilité. La PPL intervient en outre dans un mauvais timing : la délégation aux collectivités territoriales ayant engagé une mission d’information sur la simplification des règles d’urbanisme et du logement, "dont les conclusions auraient utilement pu enrichir les débats sur le texte", regrette encore la commission. 

Faciliter l’adaptation des documents d’urbanisme

La commission y est favorable, "tout en conservant certaines garanties". C’est pourquoi, en accord avec les associations d’élus, elle a modulé - à l’article 1er - la hausse du seuil d’augmentation de la constructibilité au-dessus duquel une enquête publique est obligatoire lors de la procédure de modification du plan local d’urbanisme (PLU) pour le porter de 20% (actuellement) à 30%. Pour rappel, la PPL initiale autorisait la modification de ce dernier selon la procédure simplifiée pour les majorations des possibilités de construction jusqu’à 50%. 

S’agissant des assouplissements des procédures d’évolution des documents d’urbanisme (art. 1er A), tout en ouvrant la possibilité de recourir à la procédure de participation du public par voie électronique (PPVE) à la place de l’enquête publique, la commission a précisé qu’un dossier papier devrait obligatoirement être mis à disposition en mairie.

Permettre une meilleure appréhension des outils par les collectivités 

"Compte tenu du coût et des délais d’élaboration des documents d’urbanisme", la commission a rétabli - à l’article 1er - la suppression du dispositif existant de caducité du Scot (prévue par le texte initial), tout en maintenant une obligation d’évaluation périodique du ScoT. Pour tenir compte de la situation de nombreux SCoT établis sur le périmètre d’un seul et unique EPCI à fiscalité propre, elle a autorisé l’adoption d’un document unique valant à la fois Scot et PLUi, afin de mutualiser les procédures et les coûts.

Pour faciliter l’accès des communes, y compris les plus petites, aux outils d’ingénierie et de portage foncier que constituent les établissements publics fonciers (EPF), la commission a - toujours à l’article 1er - ouvert la possibilité d’étendre le périmètre d’un EPF de l’Etat aux communes non compétentes en matière de document d’urbanisme qui le souhaiteraient, même si l’EPCI dont elles font partie ne le souhaite pas, par parallélisme avec ce qui est proposé pour les EPF locaux. Et permis aux communes d’adhérer de manière autonome à un EPFL dès sa création. L’amendement fait également de la création et de l’extension d’un EPFL une compétence liée pour le préfet de région, dès lors que les collectivités concernées ont délibéré en ce sens.

Par ailleurs, afin de mieux préparer et cibler les opérations d’aménagement et de requalification urbaine, les services fiscaux pourront transmettre aux collectivités, mais aussi aux services de l’État et à ses opérateurs compétents une liste élargie d’informations relatives au logement et à l’immobilier (article additionnel après l’article 1er introduit par amendement de Patrick Chaize/LR). 

Amplifier les possibilités de déroger 

Il s’agit là encore de répondre aux demandes récurrentes des associations d’élus. La commission a ainsi étendu (art.2) à l’ensemble des communes - non plus aux seules communes en zone tendue - les possibilités de dérogations au cas par cas aux règles du PLU(i). Poursuivant la même logique, en soutenant l’ambition de requalifier à grande échelle les zones commerciales d’entrée de ville (la "France moche"), la commission a cherché à rendre plus efficiente la disposition figurant dans le texte initial, qui vise à faciliter la transformation des zones d’activité économique (ZAE), notamment les zones commerciales d’entrée de ville. Pour ce faire, le texte permet à l’autorité compétente de déroger de manière ad hoc à diverses règles fixées dans le PLU pour la zone concernée, en vue de permettre l’application de règles adaptées à des bâtiments d’habitation, et en permettant également l’implantation à titre dérogatoire d’équipements publics, afin d’approfondir la mixité fonctionnelle de ces nouveaux quartiers. 

Il est en outre précisé que la servitude de résidence principale, introduite en séance à l’Assemblée, n’est pas imposée au cas par cas, mais dans les conditions de droit commun créées par la loi "Le Meur-Echaniz" (dans des secteurs fixés dans le PLU(i)). La nécessité de recueillir l’accord du maire est transférée à un autre article de la même section du code de l’urbanisme, par un autre amendement présenté par les rapporteurs.

Pour permettre la valorisation du patrimoine bâti et contribuer à la redynamisation des campagnes, la commission a également élargi les possibilités de changement de destination des bâtiments agricoles et forestiers désaffectés dans les zones "NAF" à la création de tous types d’activités, y compris pour les bâtiments non "pastillés" dans le PLU(i).

Sur le "sujet sensible" des places de stationnement, la commission a supprimé les dispositions d’application générale de l’article 2 quinquies au profit de l’inscription dans le PLU(i) de règles adaptées en matière de stationnement, notamment pour le logement social.

Le texte adopté en commission (art. 2) favorise les surélévations et transformations en laissant à l’autorité compétente la possibilité d’accorder un permis en dépit des règles applicables au moment de la demande, y compris en cas de non-conformité de la construction initiale.

Sécuriser le pouvoir des élus locaux en matière d’urbanisme

Face à la multiplication des cas de dérogation aux règles d’urbanisme, la commission a sécurisé l’accord du maire (art.2), dans les cas où il ne possède pas la compétence pour délivrer les autorisations d’urbanisme. Cette disposition vaut pour toutes les dérogations au cas par cas prévues par le code de l’urbanisme, ainsi que pour le cadre dérogatoire prévu à l’article 3 bis pour les logements et autres infrastructures liées aux chantiers nucléaires. Le texte adopté supprime également toutes les mesures de "dérégulation excessives", notamment celles qui supprimaient de manière indifférenciée les autorisations d’urbanisme, ou qui permettaient au maire de déroger seul aux règles du PLU(i) pour des projets de très grande ampleur. 

Plusieurs articles ajoutés lors de l’examen du texte à l’Assemblée ont ainsi été supprimés. C’est le cas des articles 1er bis B et 1er bis C concernant les évolutions des autorisations d’urbanisme en Guyane pour lutter contre la "cabanisation". C’est aussi le cas de l’article 2 bis qui permettait l’ajout de destinations additionnelles ou accessoires à la destination principale d'un bâtiment dans le règlement PLU. Idem pour les articles 2 sexies - dérogation aux règles des PLU relatives à la hauteur des constructions lorsque celles-ci ont pour objet d’accueillir une activité industrielle ou logistique -, 2 septies - bonification en bloc des règles du PLU pour les projets économiques d’importance - et 2 octies -qui visait à simplifier la réalisation des projets de carrières compatibles avec le Scot - (amendement de Yannick Jadot/Ecologiste). Egalement supprimés l’article 3 bis A relatif à l'alignement de la durée de validité de toutes les autorisations connexes à l’autorisation d’urbanisme, notamment environnementales ; l’article 3 bis C conditionnant la mise en concordance des documents du lotissement avec un plan local d’urbanisme à l’absence d’opposition d’une majorité qualifiée de colotis ; et enfin l’article 6 qui permettait de recourir au permis modificatif pour présenter une nouvelle demande à la suite d’un refus d’autorisation, avec une durée d’instruction réduite. 

Lever les contraintes sur les porteurs de projets

Le texte adopté ouvre la possibilité de recourir à la PPVE pour les projets de logements en zone tendue (art. additionnel après l’article 1erA). La commission a aussi supprimé l’obligation de déclaration préalable pour l’installation de panneaux solaires domestiques dédiés à l’autoconsommation hors des secteurs d’intervention de l’architecte des Bâtiments de France (art. additionnel après l’article 6). 

Elle a également (art.3 bis) approuvé la qualification automatique de projet d’intérêt majeur (PIG) des gros réacteurs nucléaires, afin d’accélérer la mise en compatibilité des documents d’urbanisme (amendement de Daniel Gremillet/LR). 

Les obligations de solarisation des bâtiments existants seront désormais "strictement calquées sur le droit européen". Les rapporteurs ont ainsi porté un amendement de "dé-surtransposition" afin de ne pas imposer de contraintes financières excessives notamment aux collectivités, pour lesquelles de tels équipements, sur des bâtiments anciens, peuvent représenter un coût non soutenable.

Sur les assouplissements des obligations de solarisation des parkings (art. 1er D), la commission a supprimé le seuil plancher de 35% de photovoltaïques (PV) en cas de mixité arbres / PV. 

La condition de demandeur unique (art. 3) pour les permis d’aménager "multisites" a également été levée

La commission a aussi approuvé la possibilité de déroger aux règles d’urbanisme de fond pour les projets liés aux chantiers nucléaires (tout en sécurisant la procédure), ainsi qu’aux seuils de logements réservés aux publics vulnérables dans les RHVS (art.2), dispositif qu’elle a par ailleurs élargi aux travailleurs saisonniers et en mobilité pour l’ensemble des territoires présentant des enjeux particuliers en termes de logement des salariés. Le texte étend aussi  la durée de mise en œuvre de cette disposition dérogatoire à 10 ans, en laissant au préfet le soin d’apprécier, en fonction de la situation locale, la durée pendant laquelle cette dérogation pourra être mise en œuvre dans chacun des établissements concernés.

On relève aussi (article additionnel après l’article 3 bis A) la création d’un nouveau certificat de projet rassemblant l’ensemble des informations nécessaires à la réalisation d’un projet, à destination des porteurs de projets de création de logements (pour les projets de réalisation de plus de cinquante logements). 

La commision a par ailleurs souhaité élargir la cristallisation des règles applicables au permis modificatif au permis d’aménager (art. 3 bis B).

Réduction des délais de recours 

Trois articles relatifs au contentieux en matière d’urbanisme ont été délégués au fond à la commission des lois (avec pour rapporteur Marc-Philippe Daubresse-Nord/LR). 

Sans remettre en cause la nécessité de trouver des moyens de limiter les recours abusifs, la commission a supprimé deux articles qui "présentaient d’importantes difficultés opérationnelles, sans bénéfice tangible quant à l’accélération des délais de recours". Ont ainsi été supprimés : l’article 5 visant à instituer une procédure d’admission préalable des recours formés contre les décisions d’urbanisme ; l'article 7 qui visait à réduire de dix à six mois les délais de traitement des contentieux en matière de logement locatif social.

À l’inverse, cinq mesures ont été ajoutées (art.4) 

  • rétablissant la réduction de deux à un mois du délai de recours gracieux ou hiérarchique formé à l’encontre d’une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou d’un permis de construire, d’aménager ou de démolir et supprimant son effet suspensif ; 

  • proposant une double évolution du régime de la police administrative de l’urbanisme en mettant fin au caractère suspensif de l’opposition, devant le juge administratif, à l’état exécutoire pris en application de l’amende ou de l’astreinte ordonnée, tout en permettant au préfet, après mise en demeure, de mettre en œuvre les outils de police administrative en lieu et place de l’autorité compétente en matière d’urbanisme ; 

  • limitant l’intérêt à agir des personnes recevables à introduire un recours contre un document d’urbanisme en conditionnant cette recevabilité à leur participation préalable aux procédures de participation du public ; 

  • encadrant dans un délai de deux mois les demandes de substitution de motifs dans le cadre des recours formés à l’encontre de refus d’autorisation d’urbanisme ;

  • garantissant l’exclusion de l’invocation des vices de forme et de procédure par voie d’exception dans le cadre d’un recours dirigé contre un acte réglementaire, conformément à une jurisprudence du Conseil d’État plus favorable que le droit de l’urbanisme.

 

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