Habitat indigne - Division pavillonnaire : les premiers outils pour contrer un inquiétant phénomène en expansion

De plus en plus de territoires situés en zone tendue de banlieue sont confrontés à la division de logements, en particulier dans leur tissu pavillonnaire. S'il est difficile aujourd'hui d'estimer précisément son ampleur, le phénomène serait en pleine accélération dans le département de Seine-Saint-Denis depuis la fin des années 2000, selon une étude menée par le cabinet-conseil Espacité, pour le compte de la Drihl 93 (direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement) et réalisée en partenariat avec le Cerema Nord-Picardie.

8,8% de l'offre nouvelle d'appartements en Seine-Saint-Denis

Environ 3.700 logements seraient apparus en Seine-Saint-Denis en 2003 et 2013 du fait de la division pavillonnaire, soit 8,8% de l'offre nouvelle d'appartements. A Neuilly-Plaisance, Montfermeil, Gagny ou Epinay-sur-Seine, plus d'un quart de l'offre nouvelle d'appartements sur la période 2003-2013 serait ainsi le fait de divisions de maisons individuelles, proportion qui monte même jusqu'à 38% à Montfermeil. La note de synthèse observe que "ce phénomène semble être, dans ces territoires, une réelle alternative à la construction".
Il concerne principalement des logements anciens (78% des maisons divisées ont été construites avant 1948), peu confortables (43% des maisons divisées sont sans confort ou avec confort partiel), vacants (26% des maisons divisées) et, bien sûr, situés dans des zones tendues en matière de logement.

Ménages modestes et marchands de sommeil

Si la division pavillonnaire n'est pas un mal en soi et peut même "constituer une réponse utile aux besoins de logements", selon Anne-Katrin Le Doeuff, directrice générale déléguée de Espacité, l'étude montre que "le phénomène contribue au développement de l’habitat indigne". Il débouche en effet sur des logements plus petits que ceux du parc privé existant, accueillant des ménages plus modestes et plus concernés par la sur-occupation que la moyenne. L'étude relève en outre que "les travaux menant à une division n'apportent globalement pas d'amélioration de la qualité du tissu pavillonnaire puisque la part des logements potentiellement indignes y reste stable".
Selon les témoignages recueillis dans le cadre de l'étude, "le développement du phénomène serait surtout le fait de ménages modestes qui divisent leur logement afin d'équilibrer leur budget et connaissent assez mal de la réglementation". Certains, par négligence ou par méconnaissance de la réglementation, deviennent sans en avoir vraiment conscience des délinquants.
Les marchands de sommeil "professionnels" sont loin d'être étrangers à cette pratique : s'ils sont moins importants en nombre, ils disposent en revanche d'un parc de logements "conséquent".

Un développement démographique non maîtrisé

Des divisions pavillonnaires peuvent aussi être liées à des regroupements communautaires : plusieurs familles achètent ensemble un pavillon, ou un propriétaire unique loge des locataires de sa nationalité. Cette forme de division, animée par la solidarité (ce qui n'empêche pas l'insalubrité des locaux), "tendrait à se développer", observe les auteurs de l'étude, précisant qu'elle demeurait "circonscrite à certains quartiers".
Quelles qu'en soient les causes, le phénomène "entraîne un développement démographique non maîtrisé et un besoin croissant, et difficile à anticiper, en services de proximité". Avec des conséquences directes pour la gestion des territoires des communes et intercommunalités sur les questions d'accueil des enfants dans les écoles ou encore de ramassage des ordures ménagères, alors que les ressources fiscales, elles, restent constantes. Le phénomène provoque également "une dégradation de la qualité urbaine et des rapports de voisinage (stationnement sauvage, circulation, nuisances sonores, etc.)", souligne l'étude.

Des dispositifs de régulation "partiels et complexes"

Face à cette évolution et à ses dérives, les dispositifs de régulation apparaissent "partiels et complexes". Ainsi, les mesures de repérage utilisées par les communes sont "artisanales et chronophages" : dénonciations, repérage des ajouts de boîtes aux lettres, demandes d'ajouts de compteurs électriques... Des techniques que les marchands de sommeil savent parfaitement contourner.
Quant aux mesures de prévention, elles sont complexes à mettre en œuvre compte tenu de la multiplicité des instruments juridiques aux mains des collectivités (codes de l'urbanisme, de la santé publique, de la construction et de l'habitation, code pénal...), même si "la très grande majorité des poursuites engagées par les communes se fait sur le fondement du code de l'urbanisme" (première infraction constatée). La loi Alur du 24 mars 2014 a introduit quelques instruments nouveaux permettant de sécuriser un certain nombre de dispositions : l’autorisation préalable à la division et surtout l'autorisation préalable à la mise en location et la déclaration de mise en location (permis de louer, voir notre article du 4 janvier 2017). Le projet de création, en Ile-de-France, d'une "société publique de marchand de bien" permettrait également de contrer plus efficacement les marchands de sommeil (voir notre article ci-dessous du 24 octobre 2016).

Mobilisation du permis de louer

L'étude d'Espacité pour la Drihl esquisse quelques enjeux et pistes d'action. Elle suggère le renforcement des moyens via la mutualisation entre communes concernées et au niveau des intercommunalités. Elle suggère également une mobilisation plus forte de certains outils de la loi Alur, comme l'autorisation préalable à la division. L'étude prône également un renforcement des moyens de la Justice, aujourd'hui débordée, envers les marchands de sommeil ou encore le développement de mécanismes existants comme le bail réel solidaire et les organismes de foncier solidaire (voir nos articles du 15 mai 2017 et du 6 février 2017).
Car si "l’ensemble des instruments, tant en termes de repérage que de régulation, sont adaptés aux phénomènes de divisions", ils seraient surtout efficaces auprès des propriétaires de bonne foi, mais "restent globalement très insuffisants envers les propriétaires les plus indélicats et inadaptés à la gravité de certaines situations rencontrées".
 

Dans un coquet pavillon en meulière, une cave louée 722 euros par mois
Dix ans sans voir la lumière du jour, dans le sous-sol humide... d'un coquet pavillon, dont le loyer engloutit les deux tiers des revenus de Monsieur V., 62 ans. C'est une meulière des années 1930 à la pelouse bien entretenue, dans le Val-d'Oise, divisée par son propriétaire en trois logements indépendants. La cave, de 47 m2, sombre et sans aération, il la loue à M. V. pour 722 euros mensuels. "J'ai emménagé là en urgence, après le décès de mon amie, ça avait l'air propre, juste un peu bas de plafond. Je travaillais 15 heures par jour, je rentrais juste dormir", dit-il à l'AFP. Puis "en hiver, des moisissures sont apparues sur les murs, le parquet, les livres, les vêtements".
Après avoir réalisé des travaux sommaires, le bailleur exige 5.000 euros d'un imaginaire "rattrapage de loyers". "Il m'a dit 'Et si tu n'es pas content, tu te barres'", rapporte M. V, qui a décidé de le poursuivre en justice. C'est plutôt rare. "Très peu de gens agissent judiciairement : ils ont peur d'être mis dehors du jour au lendemain", rapporte Edith Vilemont, bénévole de l'association Droit au logement (DAL).
Diverses formes d'habitat précaire - des garages, caves, greniers, utilisés comme des résidences principales - se sont ainsi développées "aux marges de l'hébergement et du logement, que l'on peut qualifier de 'non-logement'", observe de son côté la fondation Abbé-Pierre.
AFP
 

 

 

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