"Du vert au gris" : 1.500 km2 de terres artificialisées chaque année en Europe, selon une enquête
Chaque année, 1.500 km2 d'espaces naturels sont bétonnés en Europe. Un chiffre 1,5 fois supérieur aux dernières estimations des institutions européennes, ce qui rend l’objectif communautaire d’une artificialisation nette ramenée à zéro d’ici à 2050 encore plus hypothétique, alerte une enquête de journalistes et de scientifiques publiée par Le Monde et plusieurs médias européens ce 1er octobre.

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"Entre 2018 et 2023, nous avons perdu environ 9.000 km2" bruts de terres au profit de la construction, "une surface équivalente à la taille de Chypre", indiquent dans un communiqué les auteurs - 41 journalistes et scientifiques de onze pays - de l’enquête intitulée "Green to Grey" ("Du vert au gris") coordonnée par le réseau Arena for journalism in Europe. 1.500 km2 d'espaces naturels sont bétonnés en Europe chaque année, révèlent-ils. Près de 30 km2 de terres sont ainsi artificialisés chaque semaine, et l'équivalent de 600 terrains de football chaque jour.
Des chiffres rendant encore plus hypothétique l’objectif communautaire d’une artificialisation nette égale à zéro d’ici à 2050, soulignent les auteurs de l’enquête. Ils montrent que les données de l'Agence européenne pour l'environnement (EEA) "sous-estiment probablement l'ampleur de l'artificialisation en Europe", qui serait au moins 1,5 fois plus importante selon les données de l'enquête. Celle-ci s'appuie sur une analyse d'images satellitaires, à la résolution plus fine que celle de l'EEA, couplée à un modèle d'apprentissage automatique.
En 2019, l'EEA avait publié un rapport montrant que si "une zone considérable", d'une superficie légèrement plus petite que celle de la Slovénie, a été bétonnée ou asphaltée entre 2000 et 2018 en Europe, le rythme de croissance de cette artificialisation avait ralenti, passant de 1.086 km2 par an entre 2000 et 2006 à 711 km2 par an entre 2012 et 2018.
Les espaces naturels, premières victimes de l'artificialisation
Selon l’enquête "Green to Grey", l'artificialisation se fait d'abord au détriment des espaces naturels, comme les forêts, les prairies ou les zones humides, dont 900 km2 sont détruits chaque année. 600 km2 de terres agricoles sont elles aussi grignotées annuellement, avec de "graves conséquences sur la sécurité alimentaire et sanitaire". "Pendant des années, l'Europe a promis d'être un leader en matière de préservation du climat et de la nature, mais ce que montre cette enquête c'est que nous sommes littéralement en train de bétonner notre propre avenir", dénonce Lena Schilling, eurodéputée et militante écologiste autrichienne, citée dans le communiqué.
En valeur absolue, la France est le troisième contributeur européen à l’artificialisation, derrière la Turquie et la Pologne mais si on rapporte l’artificialisation à la population de chaque pays, ce sont les pays scandinaves, l’Estonie et l’Irlande qui occupent le haut du tableau. L’enquête montre aussi que le type de nature perdue varie selon les pays : l’Europe centrale, déjà densément construite, a surtout vu diminuer ses terres arables alors qu’en Scandinavie ou dans les pays d’Europe du Sud, les forêts et les écosystèmes côtiers ont payé le plus lourd tribut.
Le logement, secteur le plus consommateur, devant la logistique et les transports
Le logement, responsable de 41% de l’artificialisation, est le secteur le plus consommateur d’espaces naturels. Il est suivi de la logistique et des transports (22%). Sur les 240 plus grandes zones artificialisées détectées en France, la moitié correspondent à des plateformes logistiques. Viennent ensuite les activités agricoles (13% de l’artificialisation) et l’industrie manufacturière (9%). En France, le plus grand espace artificialisé par l’industrie repéré par les auteurs de l’enquête se situe à Bourbourg, près de Dunkerque. Il abrite depuis 2023 l’usine du groupe belge Clarebout Potatoes, spécialisée dans les frites surgelées et a vu se construire en un temps record l’usine géante de batteries électriques de Verkor, dont la longueur équivaut à 18 fois celle de Notre-Dame de Paris. Une parcelle adjacente doit aussi accueillir d’ici à 2030 deux nouveaux sites de l’entreprise grenobloise d’une superficie de 15 hectares chacun.
Les commerces, services, sports et loisirs sont, eux, responsables de 8,5% de l’artificialisation en Europe. Les auteurs de l’étude notent qu’en France, les Landes de Gascogne ont accueilli la plus vaste construction d’un complexe de loisirs de ces dernières années avec le village de vacances Center Parcs qui occupe 60 hectares autrefois couverts de pinède. Enfin, 2% de l’artificialisation en Europe est attribuable au secteur de l’énergie, relèvent les auteurs de l’enquête, qui citent l’exemple des parcs éoliens. Dans les zones les plus sauvages de Grèce, qui étaient dépourvues de routes, le développement des éoliennes est ainsi devenu la première cause d’artificialisation puisqu’il a fallu construire des voies d’accès.