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Emploi : la persistante inadéquation entre l’offre et la demande risque de freiner une reprise déjà fragile

Entre les diverses mesures de soutien aux entreprises (chômage partiel, activité partielle de longue durée, dispositif de transitions collectives…) et le plan de relance avec un volet conséquent consacré aux jeunes (1 jeune, 1 solution), le gouvernement pensait avoir tout prévu pour limiter au maximum l’impact de la pandémie sur l’économie. Si la "quatrième vague" de Covid-19 risque de perturber la relance de l’activité attendue à la rentrée, ce sont les difficultés de recrutement des entreprises qui pourraient au final constituer le principal écueil.

Le constat est général quel que soit le secteur d’activité et les profils recherchés : il n’y a pas ou très peu de candidats répondant aux offres d’emploi des entreprises. "La situation s’est énormément polarisée en 2021", a constaté début juillet le comité des directeurs des Maisons de l’emploi et des PLIE réunis au sein de l’Alliance ville emploi (AVE). "L’écart s’est même creusé entre les recruteurs et les personnes en recherche d’emploi dont les difficultés se sont aggravées avec la crise", ajoute Lucie Becdelièvre, la déléguée générale d’AVE. Alors que l’an dernier à la même époque on s’attendait à d’importantes défaillances d’entreprises et à une hausse du chômage à la rentrée, cette année on est face à une augmentation des recrutements qui se traduit d’ailleurs par une baisse continue du nombre de demandeurs d’emploi (lire encadré ci-dessous) et par conséquent d’importantes tensions sur l’emploi. "Le marché du travail très perturbé ne s’adapte pas aussi vite que l’activité", résume l’économiste Mathieu Plane, directeur adjoint du département analyse et prévision de l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques).

Les structures de l’accompagnement des chômeurs à la peine

Un isolement qui s’amplifie, une confiance en soi qui se réduit, autant d’éléments qui concourent à la démobilisation des publics les plus éloignés de l’emploi et un accroissement des difficultés qui rallonge le chemin vers l’emploi durable. "De plus, pointe Lucie Becdeliève, d’énormes moyens ont été déployés en faveur des jeunes au détriment des autres publics notamment les seniors". Mais la situation n’est pas réellement meilleure chez les 18/25 ans. Les directeurs de CFA constatent aussi d’importantes difficultés à trouver des candidats, "c’est une vraie tendance de fond", souligne Roselyne Hubert. "Nous ne savons pas où sont les jeunes", ajoute la présidente de la Fnadir (Fédération nationale des associations régionales de directeurs de centres de formation d’apprentis).
Pourtant, Élisabeth Borne avait dressé le 8 juillet 2021 un bilan flatteur du plan "1 jeune, 1 solution" avec "plus de deux millions de jeunes qui ont bénéficié d’une des solutions" dont 800.000 parcours d’insertion (380.000 Pacea, 200.000 AIJ et 121.000 Garantie jeunes). Sauf qu’au niveau des structures, la montée en charge de l’accompagnement prend du temps faute notamment de moyens suffisants et de la complexité pour les agences de Pôle emploi et les missions locales de s’y retrouver dans le "millefeuille des dispositifs" comme l’ont souligné les professionnels lors d’une table ronde de l’Ajis le 18 juin. Et d’autant plus que les difficultés de recrutement concernent aussi les structures publiques d’accompagnement qui auraient du mal à pourvoir les postes ouverts pour assurer cette montée en charge. "Tout le monde cherche des spécialistes de l’insertion socioprofessionnelle, des conseillers référents de parcours, etc.", confirme Lucie Becdelièvre.

Les régions veulent jouer un rôle de premier plan

Et la mise en œuvre à la rentrée du "revenu d'engagement pour les jeunes" ne devrait pas simplifier leur tâche. L’idée consiste à accorder une allocation mensuelle de 500 euros à tout jeune de moins de 26 ans qui n’est ni en emploi, ni en formation ou en emploi précaire, à condition qu’il s’engage dans un parcours vers l’emploi.
Cette énième mesure réussira-t-elle à attirer vers les métiers les plus en tension les nombreux jeunes sortis des radars ? Il faut espérer en tout cas qu’elle soit plus performante que le dispositif de reconversion professionnelle Transco (transitions collectives), visant le double objectif d’éviter le chômage des salariés et répondre aux besoins de recrutent. Car l’excellente idée sur le papier a jusqu’à présent échoué à se concrétiser.
Dans ce contexte d’inadéquation entre l’offre et la demande, les régions espèrent bien jouer un rôle de premier plan. Lors de sa rencontre avec Jean Castex le 21 juillet, Carole Delga n’a pas manqué de "rappeler au Premier ministre que la situation de notre pays et l’avenir de nos concitoyens face à la virulence de la quatrième vague de l’épidémie et ses conséquences économiques et sociales appelaient une coordination très volontariste entre l’État et les régions". "Chacun doit assumer ses responsabilités", a ajouté la toute nouvelle présidente de l’association Régions de France à la sortie de cette rencontre. La présidente de l’Occitanie s’est par ailleurs félicitée que "le Premier ministre ait accepté l’idée d’une réunion régulière des présidentes et présidents de région avec le gouvernement". La première de ces réunions aura lieu début septembre et portera sur la coordination de l’action de l’État et des régions en matière d’emploi.

Mieux coordonner les actions des divers acteurs

Appelant à la "mobilisation générale sur l’emploi" alors que les offres affluent, le Premier ministre avait dès la mi-juillet annoncé qu’il rencontrerait les présidents de région "à la rentrée". En prévision, Élisabeth Borne s’est entretenue également en juillet avec chacun des présidents des 13 régions métropolitaines afin d’évoquer la formation professionnelle et le plan d’investissement dans les compétences (PIC). Il faut dire que les sujets tant d’actualité que d’inquiétude, voire de vigilance, ne manquent pas. En effet, la Cour des comptes a produit un référé le 10 juin dernier pointant des "faiblesses dans la conception et les conditions de mise en œuvre" de l’ambitieux PIC lancé en 2018. Outre le pilotage financier ambiguë et "contestable", à cause notamment du cofinancement par France compétences gravement déficitaire (5 milliards d’euros en 2020), les Sages ont évoqué un "éparpillement des projets financés" et une "multitude d’acteurs impliqués" ne permettant pas "une appréciation d’ensemble".
Ces rendez-vous téléphoniques d’une quinzaine de minutes entre la ministre du Travail et les présidents de région avaient aussi pour objectif de prendre le pouls de la situation de l’emploi et des métiers en tension dans les territoires. Il s’agissait ainsi de voir comment mieux coordonner les actions des uns et des autres et d’évoquer le rôle des régions notamment dans la gestion des services de l’emploi. Si l’expérimentation du pilotage par les régions de la formation des chômeurs engagée début 2020 par Édouard Philippe, alors Premier ministre, ne s’est pas concrétisée pour cause de crise sanitaire, un amendement sénatorial à la loi 3DS évoque à nouveau ce sujet en élargissant les compétences dont pourraient se saisir les conseils régionaux. Reste à savoir s’il sera adopté dans la version finale du projet de loi votée par les députés. La ministre de la Cohésion des territoires Jacqueline Gourault a d'ores et déjà fait savoir qu'elle n'était pas favorable à cette décentralisation du service public de l'emploi, elle indique travailler avec Régions de France à une "instance de coordination".

La formation professionnelle toujours sous tension

L’enjeu n’est pas mince tant la formation professionnelle est également sous tension et doit encore donc évoluer. Alors que le Compte personnel de formation (CPF) dont les possibilités d’abondement ont été élargies en juin aux branches professionnelles, a boosté les entrées en formation en 2020, les actifs appréhenderaient encore mal l’accès à la formation professionnelle faute d’un accompagnement individualisé. C’est tout l’enjeu du "passeport compétences" sur lequel travaille actuellement la Caisse des Dépôts et dont l’objectif est de simplifier les démarches des candidats.

Les partenaires sociaux ont de leur côté remis le 20 juillet à la ministre du Travail 49 propositions visant à poursuivre la réforme du système de formation professionnelle et de l’alternance, trois ans après la loi de 2018. Face au déficit du système, ils réclament davantage de soutien public. Mais le ministère du Travail a prévenu que les travaux sur ces thématiques "se poursuivront sur les six prochains mois".

  • Le nombre de chômeurs poursuit sa baisse

Au cours du deuxième trimestre de 2021, le nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A (sans emploi) a diminué de 1,4% en France métropolitaine, soit 3,51 millions d’inscrits à Pôle emploi, et de 1,3% sur la totalité du territoire (y compris les départements et régions d’outre-mer hors Mayotte), soit 3,75 millions d’inscrits. Les évolutions sur un an sont de respectivement de – 15,3% et – 14,8%. La quasi-totalité des régions voit leur nombre de chômeurs se réduire sauf la Corse (+ 9,6%), la Guadeloupe (+ 0,5%), la Martinique (+ 0,1%) et la Guyane (+ 0,1%).
En revanche, le nombre de demandeurs d’emploi exerçant une activité réduite courte (catégorie B) a progressé de 4% au second trimestre, tandis que celui des demandeurs d’emploi en activité réduite longue a légèrement diminué (- 0,5%). Au total, le nombre total de demandeurs d'emploi a diminué de 0,5% sur ce trimestre (28.200) et de 2,1% sur un an en France métropolitaine pour atteindre 5,7 millions de chômeurs. Ce nombre s’élève à près de 6 millions (- 0,5% et – 2,1%) pour l’ensemble du territoire. Le Centre-Val-de-Loire (+ 0,2%) et la Provence-Alpes-Côte d’Azur (+ 0,4%) rejoignent les autres régions déjà citées où le nombre de demandeurs d’emploi total a également progressé.

F.P. / JGPmedia pour Localtis

  • Les Maisons de l’emploi de plus en plus "en première ligne" 

"Les Maisons de l’emploi (MDE) sont la porte d’entrée de nombreuses politiques publiques structurantes qui se jouent à l’échelle des territoires", revendique Lucie Becdelièvre. Pour la déléguée générale d’AVE (Alliance ville emploi), "les outils territoriaux, flexibles, agiles, capables de faire de l’ingénierie et de mettre en musique l’écosystème s’appellent les MDE". Pour autant, "la posture de l’Etat sur le sujet est paradoxale", regrette Lucie Becdelièvre évoquant l’absence de cadre juridique et institutionnel stable pour les MDE dont le statut et les financements doivent chaque année faire l’objet d’un amendement en loi de finances. Faute de sécurité sur leur avenir, "les MDE sont dans l’incapacité à se projeter d’une année sur l’autre", ajoute Lucie Becdelièvre qui place aussi comme point de vigilance pour la rentrée 2021 "la finalisation de la programmation du fonds social européen (FSE) pour la période 2021/2027 et son déploiement opérationnel".
Au rayon des bonnes nouvelles toutefois, AVE se réjouit du renforcement des clauses sociales dans l’achat public apporté par la loi Climat. Un article prévoit en effet d’élargir l’achat public responsable autant dans sa dimension sociale qu’environnementale. "On sort ainsi du tout bâtiment", commente la déléguée générale d’AVE, "les donneurs d’ordre réalisent que tous les marchés ou presque peuvent être 'clausés' : prestations intellectuelles, services informatiques, conseils, cantines scolaires…".
Enfin, Alliance ville emploi a renouvelé au printemps pour deux ans sa convention de partenariat avec l’Ademe en faveur de la montée en compétences sur les métiers à la transition écologique. Après le secteur du bâtiment, l’accord porte désormais aussi sur les nouveaux métiers qui émergent du fait de la transition écologique. "Il s’agit de détecter les métiers anciens dont les compétences évoluent (un garagiste doit être capable de réviser une voiture électrique) ou qui sont remis au goût du jour tel réparateur de vélo ou soudeur pour monter des éoliennes", précise Lucie Becdelièvre. Un groupe de travail dédié, porté par les MDE, a été lancé fin juin 2021 avec dans l’objectif in fine, "d’identifier les emplois et les compétences disponibles dans les territoires et de réfléchir à des parcours de montée en compétences pour répondre aux besoins qui émergent".

F.P. / JGPmedia pour Localtis

 

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