Espaces naturels : deux instructions indiquent la marche à suivre pour couvrir 10% du territoire en "protection forte"

Deux instructions interministérielles - rendues publiques ce 10 septembre - fournissent le modus operandi sur la démarche de labellisation d'un espace géographique terrestre ou maritime en "zone de protection forte" (ZPF) moyennant la mise en œuvre d’une protection foncière ou d’une réglementation adaptée, associée à un contrôle effectif des activités concernées.

Dans la continuité de la Stratégie nationale pour les aires protégées (Snap) 2030 et du décret n°2022-527 du 12 avril 2022 - pris en application de l'article L.110-4 du code de l’environnement introduit par la loi Climat et résilience -, deux instructions consacrées respectivement aux zones terrestres et aux zones maritimes précisent les modalités de mise en oeuvre de la notion de "protection forte". L’objectif de la Snap est de classer en aire protégée 30% des écosystèmes terrestres et marins d’ici 2030, dont 10% sous "protection forte". Cette reconnaissance en "zone de protection forte" (ZPF) s’opère soit de façon automatique (pour les cœurs de parcs nationaux, les réserves naturelles, les arrêtés de protection, etc.), soit sur la base d’une "analyse au cas par cas" pour les espaces présentant "des enjeux écologiques d’importance" (parmi lesquels on retrouve notamment les sites bénéficiant d’une obligation réelle environnementale). Tout l'intérêt de ces deux instructions - signées le 8 septembre, le jour de la chute du gouvernement Bayrou, par les ministères de la Transition écologique et de l'Outre-Mer - est précisément d’expliciter les critères de reconnaissance des ZPF au "cas par cas". Les documents sont plus expéditifs sur la procédure de reconnaissance en elle-même, à la main des préfets de région (ou préfets maritimes), faisant peu de cas des collectivités territoriales comme elles le présageaient (lire notre article du 9 février 2022).

Donner de la visibilité à la protection

Les ministères rappellent en préambule que la reconnaissance en protection forte "n’engendre pas par elle-même de nouvelle réglementation, ni de nouvelle contrainte". Il ne s’agit donc pas d’ajouter une nouvelle catégorie d’aires protégées mais plutôt, dans une "logique de labellisation", de reconnaître la qualité de la gestion de la zone considérée pour en protéger les enjeux écologiques d’importance et les services écosystémiques associés. Une zone de protection forte peut d’ailleurs être reconnue hors aires marines protégées. Autrement dit, la reconnaissance en ZPF au cas par cas est une démarche qui vise "à rendre visibles" les espaces bénéficiant d’un haut niveau de protection. Si les activités humaines y gardent une place, l’enjeu est de "démontrer une plus-value réelle, évidente et explicable en matière de protection de la biodiversité". 

Trois critères cumulatifs doivent ainsi être réunis : démontrer que les principales pressions engendrées par les activités ou aménagements (existants ou à venir), dont l’impact n’est pas compatible avec l’atteinte ou le maintien en bon état des enjeux écologiques d’importance sont absentes, supprimées, fortement diminuées ou évitées de manière pérenne ; disposer d’objectifs de protection, en priorité à travers un document de gestion ; et bénéficier d’un dispositif opérationnel de contrôle des réglementations ou des mesures de gestion. "Cette analyse sera complétée d’éléments de contexte socio-économiques, afin d’éclairer la décision et pourra dans la mesure du possible comporter un volet sur les conséquences du changement climatique sur la zone considérée", appuie également l’instruction dédiée aux espaces terrestres. Avec pour mot d’ordre : "prioriser et rechercher la cohérence du réseau de zones de protection forte", en s’appuyant sur les diagnostics effectués dans les territoires.

Pérennité des mesures

C’est un point central pour accéder à la reconnaissance en protection forte. Bien qu’elles puissent ne viser qu’une période limitée (saisonnalité), les mesures encadrant les activités (ou aménagements) susceptibles d’engendrer des pressions doivent être pérennes ou a minima prévoir une durée de protection de dix ans. L’instruction insiste par ailleurs sur certaines activités ou aménagements exerçant un niveau général de pressions requérant "une vigilance particulière" (implantation d’éoliennes, coupes rases, utilisation des pesticides, par exemple). Le cas échéant, seuls les dossiers de demande de reconnaissance "présentant un argumentaire suffisant à cet égard" pourront faire l’objet d’une décision ministérielle favorable de reconnaissance en protection forte. De nouveaux usages ou activités peuvent en outre conduire au retrait de la reconnaissance en protection forte. D’où l’importance d’une surveillance et d’un contrôle opérationnel de l’efficacité des mesures prises. Toutefois, la reconnaissance en ZPF au cas par cas "n’impose pas la mobilisation de moyens de surveillance et de contrôle dédiés à la protection spécifique de la zone candidate, si le contrôle de ces zones est bien prévu dans la mise en œuvre opérationnelle des plans de contrôle départementaux 'eau et nature'", est-il relevé. L’effort de police apporté doit être "proportionné" au nombre et à l’intensité des activités présentes et doit viser en priorité les usages susceptibles d’avoir un fort impact en cas de non-respect de la réglementation édictée sur l’objectif de protection de la zone, ajoute l'instruction. 

Des objectifs spécifiques pour les espaces maritimes

La Stratégie nationale pour la mer et le littoral (SNML) ambitionne une couverture de 5% des espaces maritimes métropolitains en ZPF d’ici à 2030, déclinée en cibles différenciées selon les quatre façades. Les documents stratégiques de façades constituent donc la référence sur laquelle s’appuient entre autres les plans d’action territorialisés (PAT) déclinant localement la SNAP. En parallèle, une stratégie dédiée à la protection des fonds marins devraient permettre de porter les surfaces marines en protection forte en métropole à 4% dès la fin 2026 (lire notre article). Au niveau national, la labellisation en protection forte concerne donc d’une part l’exemplarité de la gestion de la zone considérée au sein d’une aire marine protégée (AMP) et d’autre part, lorsqu’ils sont situés en dehors d’une AMP, la reconnaissance de la protection des fonds marins les plus fragiles et remarquables par l’interdiction de toute activité susceptible de les impacter. 

Les activités humaines ne sont pas exclues par principe des ZPF, martèle l’instruction, "à l’exception, des activités d’exploitation minière, dont l’exploitation de sables coquillers et les prélèvements de granulats marins, qui sont considérées comme incompatibles avec la labellisation en protection forte", précise-t-elle. Le chalutage de fond, une technique de pêche au filet très décriée, est en particulier dans le viseur des ONG. L’association BLOOM dédiée à l’océan avait essuyé un premier revers en attaquant vainement le décret n°2022-527 devant le Conseil d’État. Seules les techniques de pêche ou autres activités "ayant un impact sur le fond" sont concernées par une règlementation dédiée à la zone considérée, note l’instruction. Le classement de certains parcs éoliens en zone de protection forte "notamment si les études scientifiques montrent que ces zones sont devenues de facto riches en biodiversité" est aussi possible, confirme-t-elle. Sur le volet "suivi", la mise en oeuvre des objectifs annuels de contrôle dédiés aux ZPF intégrés dans les plans de surveillance et de contrôle de l’environnement marin (PSCEM) "justifie d’un contrôle opérationnel au titre du décret n°2022-527 ", indique également l’instruction.

 

Pour aller plus loin

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis